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The protagonist is alone by a river, enjoying the calmness of the night. They decide to smoke a pipe but feel uneasy and unable to light it. They feel a strange presence and hear noises around them. The river becomes covered in thick fog, causing fear and anxiety. They contemplate swimming to safety but fear being pulled under. They eventually decide to wait for help and try to calm themselves by smoking and drinking rum. Suddenly, they hear a noise and discover their friend lying on the ground, shot and dying. They had both been waiting for enemy parachutists and mistook each other for the enemy. Un soir, comme je revenais tout seul et assez fatigué, traînant péniblement mon gros bateau, un océan de douze pieds, dont je me servais toujours la nuit, je m'arrêtais quelques secondes pour reprendre haleine auprès de la pointe de l'horizon, là-bas, deux cent mètres environ avant le pont du chemin de fer. Il faisait un temps magnifique, la lune resplendissait, le fleuve brillait, l'air était calme et tout. Cette tranquillité me tenta. Je me dis qu'il serait bien bon de fumer une pipe à cet endroit. L'action suivit la pensée. Je saisis mon encre et la jetais dans la rivière. Le canot qui redescendait avec le courant filasse la chaîne jusqu'au bout, puis s'arrêta, et je m'affis à l'arrière sur ma peau de mouton aussi commodément qu'il me fut possible. On n'entendait rien. Rien. Parfois, seulement, je croyais écrire un petit clapotement presque insensible de l'eau contre la rivière, et j'apercevais des groupes de roseaux plus élevés qui prenaient des figures surprenantes et semblaient permanentement s'agiter. Le fleuve était parfaitement tranquille, mais je me suis sentie émue par le genre extraordinaire qui m'entourait. Toutes les bêtes, grenouilles et crapauds, ces chanteurs nocturnes, les marécages, se taisaient. Soudain, à ma droite, contre moi, une grenouille poise. Je présaillis. Elle se tue, je n'entendis plus rien, et j'ai résolu de fumer un peu pour me distraire. Cependant, quoi que je fusse un culotteur de pipe rénommé, je ne pue pas. Dès la seconde poussée, le cœur me tourna, et je cessais. Le son de ma voix m'était pénible. Alors, je m'attendis au fond du bateau, et je regardais le ciel. Pendant quelque temps, je demeurais tranquille, mais bientôt, les légers mouvements de la barque m'inquiétaient. Ils me semblent inquiétus sous les vents des abattants. Si leur tête, touchant tour à tour, les deux berges du fleuve. Puis, je crus qu'un être, avec une force invisible, l'a tiré doucement au fond de l'eau, et l'a soulevé ensuite, pour la laisser retomber. J'étais balotée, comme au milieu d'une tempête. J'entendis des bruits autour de moi. Je me dressais d'un bon bleu brillant. Tout était calme. Je sentis que j'avais les nerfs un peu ébranlés, et je résolus de m'en aller. Je tirai sur ma chaîne. Le canot soignant l'enfer. Puis, je sentis une résistance. Je tirai plus fort. L'encre ne l'a pas. Elle avait accroché quelque chose au fond de l'eau, et je ne pouvais la souffler. Je recommençais à tirer, mais immédiatement. Alors, avec mes ailes, mes ailes iront. Je suis tournée mon bateau, et je le porsais en amont pour changer la position de l'encre. Je suis tendance. Elle tenait toujours. Je suis pris de colère, et je souhaitais la chaîne rajouter. Rien ne remua. Je m'assis découragée, et je venis à réfléchir sur ma position. Je ne pouvais songer à casser cette chaîne, ni à la séparer de l'embarcation, car elle était énorme et rivée à l'abandon, dans un morceau de bois plus gros que mon bras. Mais comme le temps demeurait fort beau, je pensais que je ne tarderais point, sans doute, à rencontrer quelques pêcheurs, qui viendraient à mon secours. Ma mésaventure m'avait calmée. Je m'assis, et je pus enfin fumer ma piste. Je possédais une bouteille de rhum. J'en bus deux ou trois verres, et ma situation me furit. Il faisait très chaud, de sorte qu'à la rigueur, je pouvais sans grand mal passer la nuit à la belle étoile. Soudain, un petit coup sonna contre mon bordage. Je fis un soubresaut, et une sueur froide me glaça les pieds à la tête. Ce bruit venait sans doute de quelques bouts de bois entraînés par le courant. Mais cela avait suffi, et je me suis sentie envahie de nouveau par une étrange agitation nerveuse. Je saisis ma chaîne, et je me réveillais dans un effort désespéré. Longues chambres. Je me révis épuisée. Cependant, la rivière s'était peu à peu couverte d'un brouillard blanc, très épais, qui rampait sur le fort bas, de sorte qu'en me redressant debout, je ne voyais plus le feu, le fleuve, ni mes pieds, ni mon bateau. Mais j'apercevais seulement les pointes des roseaux, puis plus loin, la pleine toute pâle de la lumière de la lune, avec des grandes tâches noires qui montaient vers le ciel, formées par des groupes de peupliers d'Italie. C'était comme en sorcellerie, jusqu'à la ceinture dans une nappe de coton d'une blancheur singulière, et il me venait des imaginations fantastiques. Je me figurais qu'on essayait de monter dans mon abarc, et que je ne pouvais plus distinguer, et que la rivière, cachée par ce brouillard opaque, devait être pleine d'étranges, d'êtres étranges qui nageaient autour de moi. J'éprouvais un malaise horrible, j'avais les jambes serrées, mon cœur battait à m'étouffer, et, perdant la tête, je pensais à me sauver à la nage, puis aussitôt cette idée me fait frissonner. Dépouvante, je me vis, perdu, allant à l'aventure dans cette brume épaisse, nous débattant au milieu des herbes et des roseaux, que je ne pourrais éviter, râlant de peur, ne voyant pas la berge, ne retrouvant plus mon bateau, et il me semblait que je me sentirais tiré par les pieds tout au fond de cette eau noire. En effet, comme il me fallut remonter le courant, au moins pendant cinq cents mètres, avant de trouver un point libre d'herbe et de jambes où je puisse prendre les pieds, il y avait pour moi neuf chances sur dix de ne pas pouvoir me diriger dans ce brouillard, et de me noyer. Quelques bons nageurs que je fusse, j'essayais de ne me raisonner. Je me sentais la volonté bien ferme de ne point avoir peur. Mais il y avait en moi autre chose que ma volonté, et cette autre chose avait peur. Je me demandais ce que je pouvais redouter. Je me demandais ce que je pouvais redouter. Mon moins brave raya mon moins poltron, et j'avais aussi bien que ce jour-là, je n'essayais si l'opposition des deux maîtres qui sont en nous. L'un voulant, l'autre résistant, et chacun l'important tour à tour. Cet effroi bête et inexplicable grandissait toujours, et devenait de la terreur. Je demeurais immobile, les yeux ouverts, l'oreille tendue et attention. Quoi ? Je n'en savais rien, mais ça devait être terrible. La peur. La nuit était si belle, si transparente, que le sommeil fuyait les habitants du village. Du bois proche venait un parfum de fraises. Les cœurs étaient tristes. C'était la guerre. Le village tremblait pour ses fils absents. Les nouvelles étaient mauvaises. Les hommes murmuraient. On n'a pas fini d'en voir. Ce ne sera pas pour demain, l'annonce fit Léonce Perraudin, et son voisin et ami Joseph Voileau haucha tristement la tête sans répondre. Les domaines qu'ils sucivaient étaient proches l'un de l'autre. Ils se connaissaient depuis le temps de l'école. Ils s'étaient battus en quatorze dans la même compagnie. Voileau se lit taciturne à la barre noire. Au grand bras, une nouée avait porté sur son dos Perraudin blessé. Sous les obus, près de Peau-Péringues, ils étaient mariés à leur femme Ine. Elles-mêmes n'avaient pas réussi à trouver leur amitié. Leurs filles de Perraudin étaient soldats. A son retour, il épousa la fille Inée de Josée, une blonde à la poitrine dure et large épaule. Une femme passa et cria. Les femmes du plus haut ont une voix aiguë et perçant qui couvrent son effort les rares paroles des hommes. Parait qu'on a vu des parachutismes par ici. Même on n'aurait arrêté quatre, mais le cinquième a filé. Jouons bien. Entendu de coups de fusil hier soir, il se tourne, curant en écoutant la nuit s'y passe paisible jusqu'à là. Semblé tout d'un coup pleine d'un étrange indéfinable. Il se turent et écoutèrent la nuit s'y paisit jusqu'à là. Semblé tout d'un coup pleine d'un étrange indéfinable. Mais on n'entendait rien que le chant du rossignol et les pleurs lointains d'un enfant. Allons, c'est pas tout ça. Faut rentrer chez toi, dit Voyot. Péroudin et Voyot se dirigeaient vers leur maison. Ils approchaient de la rivière. Lorsque la nuit se voilà, il y eut un unique brouillard jeté de détresse. C'est l'eau flottait des tendres et légères vapeurs. A mesure qu'il avançait, une sorte d'aquifère s'emparait d'eux. Plusieurs fois, Péroudin tourna la tête et s'y signe à son compagnon de souterre. Mais tantôt, c'était un cheval endormi dans le trait, dont la forme émergeait, méconnissable du brouillard, tantôt un froissement de jonc au bord de la rivière. Jamais il n'apercevait ni n'entendait autre chose et malgré tout, il était troublé, pensif, inquiet et il se taisait. Il avait honte d'avouer leurs peurs. Au sein de la maison voisine, ils se séparent. Péroudin rentra chez lui. Il alla dans sa chambre et découcha son fusil. Il veillerait cette nuit. S'il apercevait un ennemi, il n'irait pas chercher des gendarmes. Il saurait se défendre. Il descendit vers le près, blanc, vaporeux, floquené dans le brouillard qui tremblait, éclairé par la lune. Il s'affiquerait de la haine qui séparait de la sienne la terre de voileux. Il attendit. Les heures passaient. Bientôt la courte nuit de mai s'achèverait. Un instant, le sommeil le saignait et tout à coup, il creusillait, s'éveilla en sursaut. Il avait distinctement entendu un bruit de pas de l'autre côté de la neige. Quelqu'un montait de la rivière vers la maison de son ami, quelqu'un qui marchait avec précaution, en retenant son souffle. Il écarta les branches et regarda. Le brouillard était tout, était si dense que tout d'abord il n'y avait rien. Seule une forme sombre apparut, puis se baissa et s'étapit derrière les jambes. Il entendit le bruit d'une arme que l'on charge. Il épaula les cheveux. Un gémissement dans l'eau qui se levait, une plainte horrible qu'il croyait reconnaître, qui veut glacer le coeur. Il s'élança. Il courut vers les jambes. Il les écarta et trouva à terre son ami mourant, atteint d'une balle dans le ventre. Son fusil était tombé auprès de lui, dans l'air. Tous deux avaient voulu guetter les parachutistes, atteindre l'ennemi. Il s'ouvre pas la tête de Volo, qui a d'une voix enrouée. « T'es pas mort ? » dit-il. « C'est moi, je suis là. C'est le sacré couillon, l'imbécile qui les écoute. Réponds-moi, Joseph, Dieu, regarde-moi ! » Mais l'homme porta les mains à son ventre avec une gémisse douloureuse et suppliante, et sans un mot, il mourut. Le lendemain, on trouva les deux cadavres. Celui de Volo est tombé dans l'air. Celui de Verdun pendu aux branches d'un arbre. La femme du tueur, Julia. Sous prétexte que je suis pas assez douce et fine, un être délicat, il ne veut pas m'apprendre. Enseigner, c'est donner. Il est égoïste et mesquin. Quand je l'ai épousée, ma mère vous l'avait prévenue. Un plouc qui se prépare à tout diriger, à jouer au grand chef. En ce temps-là, ma mère me tapait sur les nerfs. Ce qu'on me projetait, lui et moi, elle ne cessait d'y trouver à redire. La complicité entre nous deux, oh, j'y croyais ! Pour le meilleur et pour le pire, nous serions unies à jamais dans toutes nos entreprises. Certes, il accepte mon aide. Même, il la demande pour les questions de choix, de sélection. C'est un tueur qui ne tue pas au hasard. Je tiens les livres, je remplis les colonnes. Ça coule de source. Je suis douée pour les comptes. J'aimerais mieux voir le sang couler. Si j'incite, il argumente. Les femmes se croient très fortes et, au dernier moment, elles craquent. Elles s'évanouissent. Je proteste violemment. Il se fâche. Il crie. Va te faire pendre ailleurs. Je réponds que lui n'a rien à craindre. Il ne veut pas la corde pour le pendre. Avec dans ma rancœur un manque évident de logique, j'ajoute vrai gibier de potence. Rien ne change. Je reste l'humble assistante. Il refuse de me révéler l'endroit précis où enfoncer le couteau. Il me cantonne dans le tri, le marquage, des œufs garantie coque. Il ne veut pas m'apprendre à tuer les poulets. Le plafond. Jacques Tenenberg. Il était immobilisé dans son lit, les deux jambes fracturées, depuis six semaines. Il en était réduit à regarder fixement le plafond. Depuis six semaines, il cherchait en vain dans ce désert de plâtre un détail, une fissure, une tâche, n'importe quoi. Un matin, il vit la chose, là, dans un coin, près de la fenêtre. Il eut un sursaut de joie. Agitement, il s'attacha à suivre le petit point rouge qui bougeait, car il bougeait. Il bougeait, oui, rapide, et cependant si lent, car si minuscule. Il le suivit des yeux, affolé à l'idée de le perdre de vue. Ce point rouge qui venait de sortir de l'angle du plafond, c'était une fourmi. Après quelques secondes, elle parut hésiter. Elle revint sur ses pas, s'arrêta un instant près d'un angle du plafond. Elle eut lancé quelques signaux, car aussitôt une fourmi apparut. Elles s'avancèrent, mais se réparèrent aussi vite. Et venant de deux endroits différents, d'autres fourmis apparurent. Immédiatement, en quelques virevolts, bien réglées, elles se rangèrent en patrouille de six unités. Le malade, regardé toujours avec la même avidité, souriant, ébloui, subjugé. Une heure plus tard, tout le plafond grouillait. Des caravanes, dont la plus importante, filaient vers le mur, lourds comme un caillot de sang vivant. Les groupes correspondaient sans cesse entre eux, chaque mouvement paraissait médité, et des patrouilles allaient sans cesse d'un groupe à l'autre, donnant des ordres pendant que d'autres groupes semblaient assurer la circulation, qui était d'ailleurs très ordonnée. Le malade souriait toujours, empoigné, étourdi, de plaisir et d'étonnement. Vers une heure, l'armée toute entière avait abandonné le plafond et se trouvait groupé verticalement, à quelques millimètres de la jonction entre le mur et le parquet. Elle s'arrêta là, une patrouille de quelques fourmis se détacha du bloc. Elle se dirigea vers un point du parquet, et de ce point, venant de quelques gouffres dissimulées sous les lattes, une autre gorgée de fourmis se répandit sur le plancher. Cette invasion devait être le signal inattendu, car toute l'armée qui venait du plafond descendit en masse vers le parquet, opérant la fusion au ralenti sans le moindre désordre. Vers deux heures de l'après-midi, le malade brusquement cessa de sourire. Il arriva sans cesse d'autres faisceaux de fourmis, des coulées de renforts qui venaient du plafond, du sol, du mur, et tout le plancher n'était plus qu'un énorme terrain de manœuvre. Mais le malade ne sentit vraiment la peur que lorsque toute l'armée s'immobilisait. Il attendit quelques secondes. Bientôt arriva ce qu'il attendait. Une fourmi avait atteint le drap de son lit. Elle se dressa sur ses pattes, en tiquant et signalant. Elle sentait scruter les horizons, l'avenir et les choses et les buts à attendre. Une deuxième fourmi apparut. La première se défendit, et toute l'armée se remut à bouger. Alors, près de panique, le malade s'empara de la poire électronique qu'il avait à portée de ses doigts. Il se mit à sonner. Il appuya fureusement. Il appuya de plus en plus fort, mais en vain. Aucun son. Il n'y avait aucun son à entendre. Les fourmis avaient prévu ce geste depuis bien longtemps. Elles avaient coupé les films. La Mort, dit de Maupassant Je ne compterai pas en notre histoire. L'amour n'en a qu'une, toujours la même. Je l'avais rencontré et aimé. Voilà tout. Et j'avais vécu pendant un an dans sa tendresse, dans ses bras, dans sa caresse, dans son regard, dans ses robes, dans sa parole enveloppée, liée, emprisonnée, dans tout ce qui venait d'elle, d'une façon si complète que je ne savais plus s'il faisait jour ou nuit, si j'étais mort ou vivant. Sur la vieille terre ou ailleurs. Et voilà qu'elle mourut. Comment ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Elle rentra mouillée, en chaise de pluie, et le lendemain, elle toussait. Elle toussait pendant une semaine environ et prit les bouts. Que s'est-il passé ? Je ne sais plus. Des médecins venaient, écrivaient sans aller. On apportait des remèdes. Une femme lui les faisait boire. Ses mains étaient chaudes, son vent relent et humide, son regard réintégré. Je lui parlais, elle ne répondait. Que nous serions-nous ? Je ne sais plus. J'ai tout oublié, tout oublié. Elle m'oublie. Je me rappelle très bien son petit soupir, son petit soupir si faible et végèrement. La garde dit. Ah, je t'en suis, je t'en suis. Ce n'est plus rien, ce n'est plus rien. Je vis un prêtre qui prend les chansonnettes. Autre prêtre. Il me semblait qu'il m'insultait. Puisqu'il était mort, on n'avait plus le devoir de savoir cela. Je le chassais. Un autre vent qui fut très lourd, très doux. Je pleurais quand je le sentais aller. On me consulta sur les choses pour l'enterrement. Je ne sais plus. Je me rappelle cependant très bien le cercueil, le bruit des coups de marteau quand on la cloua dedans. Ah, mon Dieu ! Elle fut enterrée, enterrée, elle, dans ce trou. Quelques personnes étaient venues, les amis. Je me sauvais, je courus. Je marchais longtemps à travers les rues. Puis, je rentrais chez moi. Le lendemain, je partis pour un voyage. Je vais vous dire l'aventure telle qu'elle, sans chercher à l'expliquer. Il est bien certain qu'elle est inexplicable, à moins que je n'ai eu mon heure de folie. Mais non, je n'ai pas été fou, et vous en donnerai la preuve. Imaginez ce que vous voudrez, voici l'effet tout simple. C'était en 1827, au mois de juillet. Je me trouvais à Rouen, en garnison. Un jour, comme je me promenais sur le quai, je rencontrais un homme, et je lui fus reconnaître sans me rappeler au juste qui c'était. Je fis un instinct, par instinct, un mouvement pour m'arrêter. L'étranger aperçut ce geste, me regarda et tomba dans mes bras. C'était un ami de jeunesse que j'avais beaucoup aimé. Depuis cinq ans que je ne l'avais vu, il semblait vieilli d'un demi-siècle. Ses cheveux étaient tout blancs, et il marchait courbé comme épuisé. Il comprit ma surprise et me compta sa vie. Un malheur terrible l'avait épuisé. Devenu follement amoureux d'une jeune fille, il l'avait épousé dans une sorte d'extase de bonheur. Après un an d'une félicité surhumaine et d'une passion inabaisée, elle était morte subitement d'une maladie du coeur tuée par l'amour lui-même, sans doute. Il avait quitté son château le jour même de l'enterrement, et il était venu habiter son hôtel de Rouen. Il vivait là, solitaire et désespéré, rongé par la douleur si misérable qu'il ne pensait qu'au suicide. Puisque je vous retrouve ainsi, mes victimes, je te demanderai de me rendre un grand service. C'est d'aller chercher chez moi, dans le secrétaire de ma chambre, de notre chambre, quelques papiers dont j'ai une urgence besoin. Je ne puis charger de ce soin un subordinaire ou un homme d'affaires, car il me faut une impénétrable discrétion et un silence absolu. Quant à moi, pour bien au monde, je ne rentrerai pas dans cette maison. Je te donnerai la clé de cette chambre que j'ai fermée moi-même, en partant, et à la clé de son secrétaire. Tu remettras en outre un mot de moi à mon jardinier qui trouvera, qui tourcera le château. Mais viens déjeuner avec moi demain, et nous causerons de cela. Je lui promis de lui rendre ce léger service. Ce n'était d'ailleurs qu'une promenade pour moi. Son domaine se trouve en situé à cinq lieues de Rouen environ. J'en avais pour une heure à cheval. A dix heures le lendemain, j'étais chez lui. Nous déjeunâmes en tête à tête, mais il ne prononça pas vingt paroles. Il me pria de l'excuser. La pensée de la visite que j'allais faire dans cette chambre, où j'y sais son bonheur, le bouleversait, me disait-il. Il me parut en effet singulièrement agité, préoccupé, comme si un mystérieux combat se fût livré dans son âme. Enfin, il m'expliqua exactement ce que je devais faire. C'était bien simple. Il me fallait prendre deux paquets de lettres et une liasse de papier enfermées dans le premier tiroir de droite du meuble dont j'avais la clé. Il ajouta, « Je n'ai pas besoin de te prier, je n'y prends à jeter les yeux. » Je fus presque baissé de cette parole et je lui dis un peu vivement qu'il balbutia. Pardonnez-moi, je souffre trop et il s'est mis à pleurer. Je l'ai quitté vers une heure pour accomplir ma mission. Il faisait un temps radieux et j'allais au grand trou à travers les prairies, écoutant des chants d'alouettes et le bruit rythmé de mon sable sur ma botte. Puis j'entrais dans la forêt et je mis au pas mon cheval. Des branches d'armes caressaient le visage et parfois j'attrapais une feuille avec mes dents et je la mâchais, évidemment. Dans une de ces joies de vivre qui vous envive, on ne sait pourquoi, d'un bonheur tumultueux et comme inescapable d'une sorte d'ivresse de force. En approchant du château, je cherchais dans ma poche la lettre que j'avais pour le jardinier et je m'aperçus avec étonnement qu'elle était cachetée. Je fus tellement surpris et irrité que j'ai failli revenir sans m'acquitter de ma commission. Puis je songeais que j'allais montrer là une susceptibilité de mauvais goût. Mon ami avait pu d'ailleurs fermer ce mot sans y prendre garde, dans le trouble où il l'était. Le manoir semblait abandonné depuis vingt ans, la barrière ouverte et pourrie, tenait debout, on ne sait comment. L'herbe entissait les allées, on ne distinguait plus les plates bandes de gazon. Au bruit que je fis en tapant un coup de pied dans un volet, un vieil homme sortit d'une porte de côté et parut stupéfait de me voir. Je sautais à terre et je remis ma lettre. Il l'a lue, la relut, la retourna, me considéra en dessous, mit le papier dans sa poche et prononça. — Eh bien, qu'est-ce que vous désirez ? Je répondis brusquement. — Vous devez le savoir, puisque vous avez reçu là-dedans les ordres de votre maître. Je veux entrer dans ce château. Il semblait atterré et déclat. — Alors, vous allez dans sa chambre ? Je commençais à m'attendre sur ses yeux. — Parle-le, mais est-ce que vous auriez l'intention de m'interroger par hasard ? Il balbutiait. — Non, monsieur, mais ce que c'est qu'elle n'a pas été ouverte depuis la mort. Si vous vouliez maintenant cinq minutes, je vais aller voir si... Je l'interrompis à écoleur. — Ah ça, voyons, vous pêchez de moi. Vous n'y pouvez pas entrer, puisque voici la clé. Il ne savait plus quoi dire. — Alors, monsieur, je vais vous montrer la route. — Montrez-moi l'escalier et laissez-moi seul. Je la trouverai bien sans vous. — Mais, monsieur, cependant... Cette fois, je m'en portais tout à fait. Maintenant, taisez-vous, n'est-ce pas, ou vous aurez peur à moi. Je l'écarta violemment, et je pénétra dans la maison. Je traversai d'abord la cuisine, puis deux petites pièces que cet homme habitait avec sa femme. Je franchis ensuite un grand vestibule. Je montai l'escalier, et je reconnus la porte identique, idyllique, indiquée par un de mes amis. Je l'ouvris sous peine, et j'entris. L'appartement était tellement sombre que j'ai mis de distinguer rien. D'abord, je m'arrêtais, saisi par ses yeux, s'habitué à l'obscurité, et je vis assez nettement une grande pièce en désordre, avec un lit sans draps, mais gardant ses matelas et ses oreillers, dont un portrait, l'empreinte profonde d'un coude ou d'une tête qui venait de poser dessus. Les sièges semblaient en déroute. Je remarquai qu'une porte, celle d'une armoire sans doute, était demeurée entreouvertes. J'allais d'abord à la fenêtre pour donner du jour, et je l'ouvris, mais les ferrures du contre-vent étaient tellement rouillées que je ne pus les faire céder. J'essayais même de les casser avec mon sabre, sans y parvenir. Comme je méritais de cet effort inutile, et comme mes yeux s'étaient enfin parfaitement accoutumés à l'ombre, je renonçais à l'espoir d'y voir plus clair, et j'allais au secrétaire. Je m'assis dans un fauteuil, j'abattis la tablette, j'ouvris le tiroir indiqué. Il était plein jusqu'au bord. Il ne me fallait que trois paquets, que je savais comment reconnaître, et je les mis à chercher. Je m'écartiais les yeux à déchiffrer les subscriptions, quand je pus entendre, ou plutôt sentir, un frôlement derrière moi. Je n'y pris point gare, pendant qu'un courant d'air avait fait remuer quelques étoffes. Mais au bout d'une minute, un autre mouvement, très simple, me fit passer sur la peau un singulier petit frisson désagréable. C'était tellement bête d'être ému, même à peine, que je ne voulais pas me retourner, par pudeur pour moi-même. Je venais alors de découvrir la seconde délias qu'il me fallait, et je trouvais justement la troisième, quand un grand et pénible soupir, poussé contre mon épaule, me fit faire un bon fou à deux mètres de là. Dans mon élan, je mettais retourné la main sur la poignée de mon sabre, et certes, si je ne l'avais pas senti à mon côté, je me serais enfui comme un lâche. Une grande femme vêtue de blanc me regardait, debout derrière le fauteuil, où j'étais assise une seconde plus tôt. Une telle secousse me courut dans les membres, que je faillis m'abattre à la renverse. Oh, personne ne peut me comprendre, à moins de les avoir ressentis, ces épouvantables et stupides terreurs. L'âme se fond, on ne sent plus son cœur, le corps entier devient mou comme une éponge, on dirait que l'intérieur de nous s'écroule. Je ne crois pas aux fantômes, eh bien, j'ai défailli sous la hideuse peur des morts. Et j'ai souffert, oh, souffert en quelques instants, plus qu'en tout le reste de ma vie, dans l'angoisse irrésistible des épouvantes surnaturelles. Si elle n'avait pas parlé, je serais mort peut-être. Mais elle parla, elle parla d'une voix douce et douloureuse qui faisait vibrer les nerfs. Je n'oserais pas dire que je redevins maître de moi et que je retrouvais ma raison. Non, j'étais éperdu à ne plus savoir ce que je faisais, mais cette espèce de fierté intime que j'ai en moi, un peu d'orgueil de métier aussi, me faisait garder, presque malgré moi, une contenance honorable. Je posais sur moi, je posais pour moi et pour elle sans doute, pour elle, quelle qu'elle fût, femme ou spectre, je me suis rendu compte de tout cela plus tard, car je vous assure que dans l'instant de l'apparition, je ne songeais à rien, j'avais peur. Elle dit. Oh, monsieur, vous pouviez me rendre un grand service. Je voulais répondre, mais il me fut impossible de prononcer un mot. Un bruit vague sortit de ma gorge. Elle reprit. Voulez-vous, vous pouviez me sauver, me guérir ? Je souffre affreusement. Je souffre. Oh, je souffre. Elle m'assit doucement dans mon fauteuil. Elle me regardait. Voulez-vous ? Je fis oui, de la tête ayant encore la voix paralysée. Alors, elle me tendit un peigne et craigne, et caille, et elle murmura. Poignez-moi, oh, poignez-moi. Cela me guérira. Il faut qu'on me peigne. Regardez ma tête, comment je souffre, et mes cheveux, comment ils me font mal. Ces cheveux dénoués, très longs, très noirs, me semblaient-ils, pendaient par-dessus le dossier du fauteuil et touchaient la tête. Pourquoi ai-je fait ceci ? Pourquoi ai-je reçu en frissonnant cet effet ? Et pourquoi ai-je pris dans mes mains ces longs cheveux qui me donnèrent à la peau une sensation de froid atroce, comme si je maniais les serpents ? Je n'en sais rien. Cette sensation m'est restée dans les doigts et je tressaille en y songeant. Je la peignais. Je maniais, je ne sais comment, cette chevelure de glace. Je la tordis, je la renouais et la dénouais. Je la tressais comme on tresse la crinière d'un cheval. Elle soupirait, penchait la tête, semblait heureuse. Soudain, elle me dit merci, m'arrachait le peigne des mains et s'enfuit par la porte que j'avais remarquée entrouverte. Restée seule, j'eus pendant quelques secondes ce trouble effaré des réveils après les cauchemars. J'y repris enfin mes sens. Je courus à la fenêtre et je brisais le contrevent d'une poussée furieuse. Un flot de jour rentra. Je m'élançais sur la porte par où cet être était parti. Je la trouvais fermée et inébranlable. Alors qu'une fièvre de fuite m'envahit, une panique, la prépanique des batailles, je suscite brusquement les trois paquets de lettres sur le secrétaire ouvert. Je traversais l'appartement en courant. Je sautais les marches de l'escalier quatre par quatre. Je me trouvais dehors et je ne sais pas où. Et apercevant mon cheval à dix pas de moi, je l'enfourchais dans un banc et partis au galop. Je ne m'arrêtais qu'à moi et devant mon logis, ayant été jeté à l'abri de mon ordonnance. Je me sauvais dans ma chambre où je m'enfermais pour réfléchir. Alors, pendant une heure, je me demandais anxieusement si je n'avais pas été le jouet d'une hallucination. Certes, j'avais eu un de ces incompréhensibles ébranlements nerveux, un de ces affonnements du cerveau qui enfante les miracles, à qui le surnaturel doit sa puissance. Et j'allais croire à une vision, à une erreur de mes sens. Quand je m'approchais de ma fenêtre, mes yeux, par hasard, descendirent sur ma poitrine. Mon Don Juan était plein de longs cheveux de femme qui s'étaient enroulés au bout de moi. Je les ai saisis un à un et je les ai jetés dehors avec des tremblements dans les doigts. Puis, j'appelais mon ordonnance. Je me sentais trop ému, trop troublé pour aller le jour même chez mon ami. Et puis je voulais mûrement réfléchir à ce que je devais lui dire. Je lui fis porter ses lettres dont il remit un reçu au soldat. Il s'informa beaucoup de moi. On lui dit que j'étais souffrant, que j'avais reçu un coup de soleil, je ne sais quoi. Il parut inquiet. Je me rendis chez lui le lendemain, désobe, résolu à lui dire la vérité. Il était sorti la veille au soir et pas rempli. Je revends dans la journée, on ne l'avait pas revu. J'entendis une semaine, il ne réapparut pas. Alors je prévends la justice, on le fait rechercher partout, sans découvrir une trace de son passage ou de sa retraite. Une visite minutueuse fut faite au château abandonné. On n'y découvrit rien de suspect. Aucune idée ne révéla qu'une femme y eut été cachée. L'enquête n'aboutissant à rien, les recherches furent interrompues et depuis 56 ans, je n'ai rien appris. Je ne sais plus rien. Je ne sais rien du plus. La photographie de Jack Steinberg. Il y avait quelques mois que j'avais acquis cette photographie. Collée sur un morceau de contreplaqué, elle envahissait presque tout un mur et, bien souvent, je me demandais pourquoi je ne la remplaçais pas. Je ne lui trouvais rien de bien remarquable et en général je n'appréciais la photo. A la rigueur, on pouvait lui trouver quelque chose d'insolite. Une impression diffuse qui me dérangeait parce que, justement, je ne voyais pas exactement pourquoi je jugeais cette image insolite. Elle représentait un grand lac, vraiment très banal, avec en arrière-plan une colline déserte pas moins banale. La photo était en noir et blanc, le ciel uniformément gris sale. Sur le lac, on voyait une barque, perdue au loin, minuscule. Je mis un certain temps à me rendre à l'évidence, même si elle me paraissait difficile à accepter. La barque, de semaine en semaine, avançait. C'est ainsi. Inexorablement, se déplaçant dans un espace-temps impossible à définir, la barque grandissait parce qu'elle avançait sur le lac, venue de quelques lointains rivages pour se diriger vers le bord extérieur du cliché. Autant dire vers moi. Un jour, je pus distinguer deux personnages dans la barque. L'un ramait, l'autre assis plus en avant semblait ne rien faire. Quelques temps plus tard, d'autres détails me rentrèrent dans le regard. C'est un homme aux bras nus qui ramait et le personnage tassé à la peau ne pouvait être qu'une femme. Comme la barque se dirigeait vers moi, chaque jour où il passait, on étudiait, de la présence aux deux personnages. L'état de la femme m'intéressait, jusqu'au moment où l'inquiétude, puis l'effroi s'en mêlèrent parce que je la reconnaissais. Impossible de la confondre avec une autre. Ses longs cheveux raides et blonds, ses yeux si froids qu'ils paraissaient éteints, son corps trop massif et menaçant dans son immobilité, tout en elle me donnait froid dans le dos. Surtout qu'elle me dévisageait, les yeux dans les yeux, sans aucune trace de sentiment, et sur ses genoux il y avait un filet dont le canon également me lorgnait de son œil de cyclope martyré. Une de ses mains semblait caresser tendrement la cachette. Comment ne pas la reconnaître et me souvenir de tout sans trembler ? J'avais eu une brève liaison avec elle l'hiver dernier. Au printemps, excédé, je rompais, emporté par une brutalité qui ne me ressemblait pas, et, dès cet instant, avec une froideur sauvage, elle s'était jurée d'avoir un jour ma peau. La chose. Bermas Rio. Je me suis réveillé, le cœur battant et les mains moites. La chose était là, sous mon lit, vivante et dangereuse. Je me suis dit, surtout ne bouge pas, il ne faut pas qu'elle sache que tu es réveillé. Je la sentais gonfler, s'enfler et étirer l'un après l'autre ses tentacules innombrables. Elle ouvrait la gueule maintenant et déployait ses antennes. C'était l'heure où elle guettait sa proie. Rêtes, les bras collés au corps, je retenais ma respiration en pensant, il faut tenir cinq minutes. Dans cinq minutes, elle s'assouplira et le danger sera passé. Je comptais les secondes dans ma tête interminablement. A un moment, j'ai cru sentir le lit bouger. J'ai failli crier. Qu'est-ce qui lui prend ? Que va-t-elle faire ? Jamais elle n'est sortie de sous le lit. J'ai senti sur ma main un léger frisson comme une caresse très lente. Et puis, plus rien. J'ai continué à compter en m'efforçant de ne penser qu'aux nombrils qui défilaient dans ma tête. 51, 52, 53. J'ai laissé passer bien plus de cinq minutes. Je me suis remis enfin à respirer normalement, à me détendre un petit peu. Mais mon coeur battait toujours très fort. Il résonnait partout en moi, jusque dans la paume de mes mains. Je me répétais, n'aie plus peur. La chose a repris sa forme naturelle. Son heure est passée. Mais cette nuit-là, la peur ne voulait pas me laifier. Elle s'accrochait à moi. Elle me serrait le cou. Une question toujours la même, roulée dans ma tête. Qui est la chose, la chose qui, chaque nuit, gonfle et souffle sur mon lit et s'étire à l'affût d'une croix ? Et puis, reprend sa forme naturelle après quelques minutes. J'ai compté jusqu'à dix en déplaçant lentement ma main droite vers la lampe de chevet. À dix, j'ai allumé et j'ai sauté sur le tapis. Le plus loin possible. Et qu'est-ce que j'ai vu sous mon lit ? Mes pantoufles, mes bonnes vieilles pantoufles que je traînais au pied depuis près de deux ans. Elles ne me sont trop petites déjà et percées à plusieurs endroits. J'étais vraiment déçu et un peu triste. Je me suis dit, alors, on ne peut plus avoir confiance en rien. Il faut se méfier de tout, même des choses les plus familiers. J'ai regardé lentement les pantoufles. Elles avaient l'air parfaitement inoffensives, mais je ne m'y suis pas laissée prendre avec beaucoup de précaution. Je les ai enveloppées dans du papier journal et j'ai soigneusement fissé le paquet et j'ai jeté tout dans la chaudière. Nuit d'horreur. C'était l'hiver dernier, dans une forêt du Nord, Est de la France. La nuit vint deux heures plus tôt, tant le ciel était sombre. J'avais pour guide un paysan qui marchait à mon côté, par un tout petit chemin, sous une voûte de sapins dont le vent déchaîné tirait des hurlements entre les cimes. Je voyais courir des nuages en déroute, des nuages éperdus, qui semblaient fuir devant une épouvante. Par voie, sous une immense rafale, toute la forêt s'inclinait dans le même sens avec un gémissement de souffrance. Le narrateur arrive dans la maison d'un garde forestier. Il y découvre une famille terrorisée. Un vieil homme à cheveux blancs, à l'oeil fou, le fusil chargé dans la main, nous attendait debout au milieu de la cuisine, tandis que des grands gaillards, armés de haches, gardaient la porte. Je distinguais dans le coin sont deux femmes à genoux, le visage caché contre le mur. On s'expliqua. Le monsieur réunit son arbre contre le mur et ordonna de préparer ma chambre. Puis, comme les femmes ne bougeaient point, il me dit brusquement. Voyez-vous, monsieur, j'ai tué un homme. Voilà. Deux ans, cette nuit. L'autre année, il est revenu m'appeler. Je l'entends encore se voir. Les heures passent et l'attention monte. Tout le monde attend avec angoisse la visite du fantôme de cet homme tué deux ans auparavant. Nous restions immobiles, livides dans l'attente d'un événement affreux. L'œil tendu, le cœur battant, bouleversés au moindre bruit. Et le chien se mit à tourner autour de la pièce, en sentant les murs et gémissant toujours. Cette bête nous rendait fous. Alors le paysan qui m'avait emmené se jeta sur elle, dans une sorte de paroxysme de terreur furieuse, et ouvrant une porte, donnant sur une petite cour, jeta l'animal dehors. Il se tut aussitôt, et nous restâmes plongés dans un silence plus terrifié encore. Et soudain, tous ensemble, nous eûmes une sorte de sursaut, un être glissé contre le mur du dehors, vers la forêt. Puis il passa contre la porte, qu'il sembla tâter d'une main hésitante. Puis on n'entendit plus rien. Pendant deux minutes, qui firent de nous des insensés, puis il revient, frôlait toujours la muraille et le gratta légèrement, comme ferait un enfant avec son monde. Puis, soudain, une tête apparut contre la vitre du judas, une têche blanche avec des yeux lumineux, comme ce défaut, et un son sortit de sa bouche, un son instillé, un murmure plaintif. Alors un bruit formidable éclata dans la cuisine. Le vieux garde avait tiré, et aussitôt le fils se précipita, bouchère le judas, en dressant une grande table qui est juste tirée avec le buffet. Et je vous jure qu'au fracrant deux coups du fusil, je m'attendais point. J'ai eu tellement angoisse du cœur, de l'âme et du corps, que je me suis défaillir, prêt à mourir de peur. Nous restâmes là, jusqu'à l'aurore, incapables de bouger, de dire un mot, crespés dans un affolement insensible. On osa débarricader la sortie, qu'en apercevant, par la fente d'un auvent, un mince rayon de jour, au pied du mur, contre le poêle, le vieux chien guissait la gueule grisée d'une balle. Jacques Sternberg, le cri. La femme vit le spectacle. Il lui éclata dans le regard comme s'il avait été bourré d'explosifs. Elle se mit à hurler. Un long cri dégorgé, un tête-poing bardé de résonance, qu'un peu plus loin, une vitre vola en éclat. L'homme qui se rasait près de cette vitre reçut une flèche de verre en plein visage. Il poussa un cri, comme l'écho et le prolongement du premier cri. Il lâcha en même temps ce rasoir, qui tomba à l'âme bien droite, sur la main d'un boutiquier, en train d'ouvrir ses voilées. Le blessé hurla. Un faux mouvement du chien replaçait une barre de fer qui atteignit un enfant et l'éborgnant. Le hurlement, pour la quatrième fois, vrilla à travers la rue. Et d'événement en événement depuis ce matin. Le hurlement rejaillit dans sa fuite, gravé d'inveresse, de sang et de vie. Saturé de cause, dégorgeant des conséquences aussitôt transformées en causes nouvelles. Le hurlement traversé des cloisons rampe le long des façades, descend par les gouttières, remonte par les cours intérieures, se perd dans des caves, revient amplifié au centre des carrefours dangereux. Toujours plus aiguë, se perdant pour se trouver sans cesse et rebondir plus haut ou plus loin. Bientôt il pourra se passer d'une cause, alors il ne sera plus qu'un simple cri, un son purifié et uniforme, infiniment étiré, aussi fatal que le silence, la nuit, la lumière ou la mort. Le brochet. Depuis une semaine, je l'avais placé dans une vaste cube de verre, sur la cheminée. Sa taille donnait un léger choc quand on le voyait entièrement déployé, comme cloué dans le grand mur de cette chambre. Le soir, tous les soirs, j'avançais une chaise. Je me plaçais devant l'aquarium, je le regardais. Le brochet, presque toujours, se plaçait face à mon regard. Il avançait au ralenti, millimètre par millimètre, jusqu'à la paroi de verre. Il s'immobilisait alors et me regardait. Du brochet, je ne voyais plus alors qu'une grande gueule dont les commissures pendouillaient, étirée dans une étrange mou de dégoût ou de mépris. Puis ses yeux, sans regard, sans couleur, cette faculté de paralysie totale ou de battre des nageoires d'une façon tellement affaiblie qu'elle frôlait l'inconcevable. Je pouvais demeurer durant des heures à les pieds, à me demander ce qu'il pouvait bien comploter, car, peu à peu, je m'étais persuadé qu'il attendait quelque chose. Je ne voyais pas quoi, une occasion sans doute, une occasion favorable pour soudain. Je ne savais pas davantage dans quel acte il aurait bien pu se jeter, mais lui paraissait savoir. Cela me semblait presque certain quand je regardais sa menthe face d'objet sur noix. Cette chose qui n'était qu'une mâchoire dont on ne voyait qu'un rectus, mais qui dissimulait. Je savais ce qu'elle dissimulait. Le brochet m'avait dévoilé un soir les coulisses, ses dents comme des lames et l'implacabilité dans laquelle ses dents étaient plantées. Tout cela m'inquiétait, mais cette inquiétude me séduisait. Elle était la raison maître de mon attachement pour ce poisson. Je ne l'aurais pas aimé avec cette passion un peu affolie si je n'avais pas su ce dangereux effort. D'autre part, je l'aurais certainement supprimé si j'avais réellement cru à quelque danger. Qu'aurais-je pu craindre ? Qu'y avait-il à craindre ? Un soir seulement, j'ai compris. Je venais de m'endormir. Aucun brusquement suspect avec aucune clarté imprévue. Rien d'anormal autour de moi et pourtant il se passait quelque chose. L'intuition de l'insolite était en moi formelle, de plus en plus poignée. Je m'étais réveillé brusquement. Je me redressais. J'allumais. Sans hésiter, je me tournais vers l'aquarium. Il était vide. La lague seule flottait dans l'eau. Elle semblait vacillée sur elle-même, un peu ivre. D'y penser toute absurde me passait en une seconde dans le regard. Je me jetais hors de mon lit. J'empoignais une bouteille vide. J'allais me placer contre la porte pendant que les questions les plus ridicules me faisaient pulvériser par les réponses pas moins sangrenues. Mais toutes fausses, les questions comme les réponses et la réalité dépassait de moi l'absurde. Le brochet, je le vis soudain. J'aurais dû le voir depuis la première seconde. Mais une vision tellement peu plausible que je ne l'aurais peut-être pas reconnue. Le brochet était dans un coin de la pièce, rigide, parfaitement en vie, à deux mètres au-dessus du sol entre le parquet et le plafond. Il flottait dans cet espace. Il battait des nageoires. Il avançait lentement comme il aurait avancé dans l'eau. Implacablement se dirigeait vers moi, la gueule déjà ouverte sous ses yeux de bois mort. Le portrait de Nicolas Gogol. Thiarko est peintre dans Saint-Pétard-Bourg. Il achète un jour un étrange portrait chez un brocanteur. Une nuit, le tableau semble soudainement prendre vie. Thiarko s'approchait encore une fois du portrait pour examiner ses yeux extraordinaires et s'aperçut non sans effroi qu'il le regardait. Ce n'était plus là une copie de la nature, mais bien la vue étrange dont aurait pu s'animer le visage d'un cadavre sorti du tombeau. Épaisse en effet de la clarté lunaire, cette lumière du délire qui donne à toute chose un aspect irréel. Je ne sais, mais il éprouva un malaise soudain à trouver seul dans la pièce. Il s'éloigna lentement du portrait, se détourna à ses forçats de ne plus le regarder, mais son œil impuissant à s'en détacher, louchait sans cesse de ce côté. Finalement, il eut même peur d'arpenter ainsi la pièce. Il croyait toujours que quelqu'un allait se mettre à le suivre et se retourner craintivement sans être peureux. Il avait les nerfs et l'imagination fort sensibles, et ce soir-là il ne pouvait s'expliquer sa frayeur instinctive. Il s'assit dans un coin et là encore il eut l'impression qu'un inconnu allait se pencher sur son épaule et le dévisager. L'éronflement de Nikita, qui lui arrivait de l'antichambre, le dissipait point sa terreur. Il quitta craintivement sa place sans lever les yeux. Il se dirigea vers son lit et se coucha à travers les fendus par avant. Il pouvait voir sa chambre éclairée par la lune, ainsi que le portrait accroché bien droit au mur et dont les yeux toujours fixés sur lui, avec une expression de plus en plus effrayante, sans décidément ne vouloir regarder rien d'autre que lui. Allaitant d'angoisse, il se leva, saisit un drap et s'approcha du portrait, le recouvrant tout entier. Quelque peu tranquillisé, il se recoucha et se prit à songer à la pauvreté, au destin misérable des peintres, au chemin sème des pines qu'il doit parcourir sur cette terre. Cependant, à travers les fendus par avant, le portrait attirait toujours invinciblement son regard. Le rayonnement de la lune avivait l'avancheur du drap, à travers lesquels les terribles yeux semblaient maintenant prospérés. Tcharkov et Karkyla les tiennent, comme pour bien se convaincre qu'ils ne rêvaient pas. Mais non, ils reprennent de loin, il faut honnêtement. Le drap a disparu et, dédaignant tout ce qui l'entoure, le portrait entièrement découvert recapote droit vers lui, plonge, oui, tellement exact, toujours au très fond de son âme. Son cœur se plaça, et soudain vit le Villard renouer, s'appuyer des déceux de main au cadre, sortir les deux jambes, sauter dans la pièce, l'attendre de laisser plus entrevoir que le cadre vide. Un bruit de pas repentis se rapprocha le cœur du pauvre peintre, fatigué violemment. La respiration coupée par le froid, il s'attendait à voir le Villard surgir auprès de lui. Il surgit bientôt en effet, roulant ses grands yeux dans son magnifique visage de bronze. Tcharkov voulut crier, il n'avait plus de voix, il voulait remuer ses mains, ne remuer point. La bouche baie, le souffle court, il contemplait l'étrange fantôme d'eau à haute stature se draper dans son Villard costume asiatique. Qu'allait-il entreprendre ? Il fit un suprême effort pour bouger sur un cri aiguë. Une simple récapitulation finale. A 20h46, il serait libre dans tous les sens du mot. Il avait fixé le moment parce que c'était son 40e anniversaire et que c'était l'heure exacte où il était né. Sa mère, passionnée en astrologie, lui avait souvent rappelé la minute précise de sa naissance. Lui-même n'était pas superstitieux, mais cela flattait son sens de l'humour de commencer sa vie nouvelle à 40 ans, à une minute près. De toute façon, le temps travaillait contre lui. Homme de loi spécialisé dans les affaires immobilières, il voyait de très grosses sommes passer entre ses mains. Une partie de ces sommes y restait. Un an auparavant, il avait emprunté 5000$ pour les placer dans une affaire sûre, qu'il allait doubler ou tripler la mise, mais où il perdit la totalité. Il emprunta un nouveau capital pour diverses spéculations, et pour rattraper sa perte initiale, il avait maintenant environ 30000$ de retard. Le trou ne pouvait qu'être dissimulé, désormais plus de quelques mois. Il n'y avait pas le moindre désespoir de le combler en si peu de temps. Il avait donc résolu de réaliser le maximum en argent liquide, sans éveiller les soupçons. En vendant diverses propriétés, dans l'après-midi, il disposerait de plus de 100000$, plus qu'il ne lui en fallait jusqu'à la fin de ses jours. Et jamais il ne se réprit. Son départ, sa destination, sa nouvelle identité, tout était prévu et fignolé. Il n'avait négligé aucun détail. Il y travaillait depuis des mois. Sa décision de tuer sa femme, il l'avait prise un peu après coup. Le mobile était simple, il la détestait. Mais c'est seulement après avoir pris la résolution de ne jamais aller en prison, de se suicider s'il était pris, que l'idée lui était venue. Puisque de toute façon il voudrait s'il l'était pris, il n'avait rien à perdre en laissant derrière lui une femme morte au lieu d'une femme en vie. Il avait eu beaucoup de mal à ne pas éclater de rire devant l'opportunité du cadeau d'anniversaire qu'elle lui avait fait la veille, avec 24h d'avance. Une belle valise neuve. Elle l'avait aussi amené à accepter de fêter son anniversaire en allant dîner en ville, à cette heure. Elle ne se doutait pas de ce qui l'avait préparé pour continuer la soirée de fête. Il la ramènerait à la maison avant 20h46 et satisferait son goût pour les choses bien faites en se rendant veuve à la minute précise. Il y avait aussi un avantage pratique à la laisser morte. S'il l'abandonnait vivante et endormie, elle comprendrait ce qui s'était passé et alerterait la police en constatant au matin qu'il était parti. S'il la laissait morte, le cadavre ne serait pas retrouvé avant deux et peut-être trois jours, ce qui lui assurait une avance bien plus confortable. A son bureau, tout se passa à merveille. Quand l'heure fut venue d'aller retrouver sa femme, tout était paré. Mais elle traîna devant les cocktails et traîna encore au restaurant. Il en vint à se demander avec inquiétude s'il arriverait à la ramener à la maison avant 20h46. C'était ridicule, il le savait bien. Mais il avait fini par attacher une grande importance au fait qu'il voulait être libre à ce moment-là et non une minute avant ou une minute après. Il gardait un oeil sur sa montre. Attendre d'être rentré dans la maison, il l'aurait mis en retard de 30 secondes. Mais sur le porche dans l'obscurité, il n'y avait aucun danger, il ne risquait rien. Pas plus qu'à l'intérieur de la maison. Il abattit la matraque de toutes ses forces pendant qu'elle attendait qu'il sorte sa clé pour ouvrir la porte. Il la rattrapa avant qu'elle tombe et parvint à maintenir debout tout en ouvrant la porte de l'autre man et en la refermant de l'intérieur. Il posa alors les doigts sur l'interrupteur et une lumière jaunâtre envahit la pièce. Avant qu'il ait pu voir sa femme qui était morte et qu'il maintenait le cadavre d'un bras, tous les invités de la soirée d'anniversaire hurlèrent d'une seule voix, surprise !