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Listen to nuit de la lecture by La Jeanne en voix MP3 song. nuit de la lecture song from La Jeanne en voix is available on Audio.com. The duration of song is 57:11. This high-quality MP3 track has 157.875 kbps bitrate and was uploaded on 2 Feb 2023. Stream and download nuit de la lecture by La Jeanne en voix for free on Audio.com – your ultimate destination for MP3 music.
The protagonist is alone by a river, enjoying the calmness of the night. They decide to smoke a pipe but feel uneasy and unable to light it. They feel a strange presence and hear noises around them. The river becomes covered in thick fog, causing fear and anxiety. They contemplate swimming to safety but fear being pulled under. They eventually decide to wait for help and try to calm themselves by smoking and drinking rum. Suddenly, they hear a noise and discover their friend lying on the ground, shot and dying. They had both been waiting for enemy parachutists and mistook each other for the enemy. Un soir, comme je revenais tout seul et assez fatiguĂ©, traĂ®nant pĂ©niblement mon gros bateau, un ocĂ©an de douze pieds, dont je me servais toujours la nuit, je m'arrĂªtais quelques secondes pour reprendre haleine auprès de la pointe de l'horizon, lĂ -bas, deux cent mètres environ avant le pont du chemin de fer. Il faisait un temps magnifique, la lune resplendissait, le fleuve brillait, l'air Ă©tait calme et tout. Cette tranquillitĂ© me tenta. Je me dis qu'il serait bien bon de fumer une pipe Ă cet endroit. L'action suivit la pensĂ©e. Je saisis mon encre et la jetais dans la rivière. Le canot qui redescendait avec le courant filasse la chaĂ®ne jusqu'au bout, puis s'arrĂªta, et je m'affis Ă l'arrière sur ma peau de mouton aussi commodĂ©ment qu'il me fut possible. On n'entendait rien. Rien. Parfois, seulement, je croyais Ă©crire un petit clapotement presque insensible de l'eau contre la rivière, et j'apercevais des groupes de roseaux plus Ă©levĂ©s qui prenaient des figures surprenantes et semblaient permanentement s'agiter. Le fleuve Ă©tait parfaitement tranquille, mais je me suis sentie Ă©mue par le genre extraordinaire qui m'entourait. Toutes les bĂªtes, grenouilles et crapauds, ces chanteurs nocturnes, les marĂ©cages, se taisaient. Soudain, Ă ma droite, contre moi, une grenouille poise. Je prĂ©saillis. Elle se tue, je n'entendis plus rien, et j'ai rĂ©solu de fumer un peu pour me distraire. Cependant, quoi que je fusse un culotteur de pipe rĂ©nommĂ©, je ne pue pas. Dès la seconde poussĂ©e, le cÅ“ur me tourna, et je cessais. Le son de ma voix m'Ă©tait pĂ©nible. Alors, je m'attendis au fond du bateau, et je regardais le ciel. Pendant quelque temps, je demeurais tranquille, mais bientĂ´t, les lĂ©gers mouvements de la barque m'inquiĂ©taient. Ils me semblent inquiĂ©tus sous les vents des abattants. Si leur tĂªte, touchant tour Ă tour, les deux berges du fleuve. Puis, je crus qu'un Ăªtre, avec une force invisible, l'a tirĂ© doucement au fond de l'eau, et l'a soulevĂ© ensuite, pour la laisser retomber. J'Ă©tais balotĂ©e, comme au milieu d'une tempĂªte. J'entendis des bruits autour de moi. Je me dressais d'un bon bleu brillant. Tout Ă©tait calme. Je sentis que j'avais les nerfs un peu Ă©branlĂ©s, et je rĂ©solus de m'en aller. Je tirai sur ma chaĂ®ne. Le canot soignant l'enfer. Puis, je sentis une rĂ©sistance. Je tirai plus fort. L'encre ne l'a pas. Elle avait accrochĂ© quelque chose au fond de l'eau, et je ne pouvais la souffler. Je recommençais Ă tirer, mais immĂ©diatement. Alors, avec mes ailes, mes ailes iront. Je suis tournĂ©e mon bateau, et je le porsais en amont pour changer la position de l'encre. Je suis tendance. Elle tenait toujours. Je suis pris de colère, et je souhaitais la chaĂ®ne rajouter. Rien ne remua. Je m'assis dĂ©couragĂ©e, et je venis Ă rĂ©flĂ©chir sur ma position. Je ne pouvais songer Ă casser cette chaĂ®ne, ni Ă la sĂ©parer de l'embarcation, car elle Ă©tait Ă©norme et rivĂ©e Ă l'abandon, dans un morceau de bois plus gros que mon bras. Mais comme le temps demeurait fort beau, je pensais que je ne tarderais point, sans doute, Ă rencontrer quelques pĂªcheurs, qui viendraient Ă mon secours. Ma mĂ©saventure m'avait calmĂ©e. Je m'assis, et je pus enfin fumer ma piste. Je possĂ©dais une bouteille de rhum. J'en bus deux ou trois verres, et ma situation me furit. Il faisait très chaud, de sorte qu'Ă la rigueur, je pouvais sans grand mal passer la nuit Ă la belle Ă©toile. Soudain, un petit coup sonna contre mon bordage. Je fis un soubresaut, et une sueur froide me glaça les pieds Ă la tĂªte. Ce bruit venait sans doute de quelques bouts de bois entraĂ®nĂ©s par le courant. Mais cela avait suffi, et je me suis sentie envahie de nouveau par une Ă©trange agitation nerveuse. Je saisis ma chaĂ®ne, et je me rĂ©veillais dans un effort dĂ©sespĂ©rĂ©. Longues chambres. Je me rĂ©vis Ă©puisĂ©e. Cependant, la rivière s'Ă©tait peu Ă peu couverte d'un brouillard blanc, très Ă©pais, qui rampait sur le fort bas, de sorte qu'en me redressant debout, je ne voyais plus le feu, le fleuve, ni mes pieds, ni mon bateau. Mais j'apercevais seulement les pointes des roseaux, puis plus loin, la pleine toute pĂ¢le de la lumière de la lune, avec des grandes tĂ¢ches noires qui montaient vers le ciel, formĂ©es par des groupes de peupliers d'Italie. C'Ă©tait comme en sorcellerie, jusqu'Ă la ceinture dans une nappe de coton d'une blancheur singulière, et il me venait des imaginations fantastiques. Je me figurais qu'on essayait de monter dans mon abarc, et que je ne pouvais plus distinguer, et que la rivière, cachĂ©e par ce brouillard opaque, devait Ăªtre pleine d'Ă©tranges, d'Ăªtres Ă©tranges qui nageaient autour de moi. J'Ă©prouvais un malaise horrible, j'avais les jambes serrĂ©es, mon cÅ“ur battait Ă m'Ă©touffer, et, perdant la tĂªte, je pensais Ă me sauver Ă la nage, puis aussitĂ´t cette idĂ©e me fait frissonner. DĂ©pouvante, je me vis, perdu, allant Ă l'aventure dans cette brume Ă©paisse, nous dĂ©battant au milieu des herbes et des roseaux, que je ne pourrais Ă©viter, rĂ¢lant de peur, ne voyant pas la berge, ne retrouvant plus mon bateau, et il me semblait que je me sentirais tirĂ© par les pieds tout au fond de cette eau noire. En effet, comme il me fallut remonter le courant, au moins pendant cinq cents mètres, avant de trouver un point libre d'herbe et de jambes oĂ¹ je puisse prendre les pieds, il y avait pour moi neuf chances sur dix de ne pas pouvoir me diriger dans ce brouillard, et de me noyer. Quelques bons nageurs que je fusse, j'essayais de ne me raisonner. Je me sentais la volontĂ© bien ferme de ne point avoir peur. Mais il y avait en moi autre chose que ma volontĂ©, et cette autre chose avait peur. Je me demandais ce que je pouvais redouter. Je me demandais ce que je pouvais redouter. Mon moins brave raya mon moins poltron, et j'avais aussi bien que ce jour-lĂ , je n'essayais si l'opposition des deux maĂ®tres qui sont en nous. L'un voulant, l'autre rĂ©sistant, et chacun l'important tour Ă tour. Cet effroi bĂªte et inexplicable grandissait toujours, et devenait de la terreur. Je demeurais immobile, les yeux ouverts, l'oreille tendue et attention. Quoi ? Je n'en savais rien, mais ça devait Ăªtre terrible. La peur. La nuit Ă©tait si belle, si transparente, que le sommeil fuyait les habitants du village. Du bois proche venait un parfum de fraises. Les cÅ“urs Ă©taient tristes. C'Ă©tait la guerre. Le village tremblait pour ses fils absents. Les nouvelles Ă©taient mauvaises. Les hommes murmuraient. On n'a pas fini d'en voir. Ce ne sera pas pour demain, l'annonce fit LĂ©once Perraudin, et son voisin et ami Joseph Voileau haucha tristement la tĂªte sans rĂ©pondre. Les domaines qu'ils sucivaient Ă©taient proches l'un de l'autre. Ils se connaissaient depuis le temps de l'Ă©cole. Ils s'Ă©taient battus en quatorze dans la mĂªme compagnie. Voileau se lit taciturne Ă la barre noire. Au grand bras, une nouĂ©e avait portĂ© sur son dos Perraudin blessĂ©. Sous les obus, près de Peau-PĂ©ringues, ils Ă©taient mariĂ©s Ă leur femme Ine. Elles-mĂªmes n'avaient pas rĂ©ussi Ă trouver leur amitiĂ©. Leurs filles de Perraudin Ă©taient soldats. A son retour, il Ă©pousa la fille InĂ©e de JosĂ©e, une blonde Ă la poitrine dure et large Ă©paule. Une femme passa et cria. Les femmes du plus haut ont une voix aiguĂ« et perçant qui couvrent son effort les rares paroles des hommes. Parait qu'on a vu des parachutismes par ici. MĂªme on n'aurait arrĂªtĂ© quatre, mais le cinquième a filĂ©. Jouons bien. Entendu de coups de fusil hier soir, il se tourne, curant en Ă©coutant la nuit s'y passe paisible jusqu'Ă lĂ . SemblĂ© tout d'un coup pleine d'un Ă©trange indĂ©finable. Il se turent et Ă©coutèrent la nuit s'y paisit jusqu'Ă lĂ . SemblĂ© tout d'un coup pleine d'un Ă©trange indĂ©finable. Mais on n'entendait rien que le chant du rossignol et les pleurs lointains d'un enfant. Allons, c'est pas tout ça. Faut rentrer chez toi, dit Voyot. PĂ©roudin et Voyot se dirigeaient vers leur maison. Ils approchaient de la rivière. Lorsque la nuit se voilĂ , il y eut un unique brouillard jetĂ© de dĂ©tresse. C'est l'eau flottait des tendres et lĂ©gères vapeurs. A mesure qu'il avançait, une sorte d'aquifère s'emparait d'eux. Plusieurs fois, PĂ©roudin tourna la tĂªte et s'y signe Ă son compagnon de souterre. Mais tantĂ´t, c'Ă©tait un cheval endormi dans le trait, dont la forme Ă©mergeait, mĂ©connissable du brouillard, tantĂ´t un froissement de jonc au bord de la rivière. Jamais il n'apercevait ni n'entendait autre chose et malgrĂ© tout, il Ă©tait troublĂ©, pensif, inquiet et il se taisait. Il avait honte d'avouer leurs peurs. Au sein de la maison voisine, ils se sĂ©parent. PĂ©roudin rentra chez lui. Il alla dans sa chambre et dĂ©coucha son fusil. Il veillerait cette nuit. S'il apercevait un ennemi, il n'irait pas chercher des gendarmes. Il saurait se dĂ©fendre. Il descendit vers le près, blanc, vaporeux, floquenĂ© dans le brouillard qui tremblait, Ă©clairĂ© par la lune. Il s'affiquerait de la haine qui sĂ©parait de la sienne la terre de voileux. Il attendit. Les heures passaient. BientĂ´t la courte nuit de mai s'achèverait. Un instant, le sommeil le saignait et tout Ă coup, il creusillait, s'Ă©veilla en sursaut. Il avait distinctement entendu un bruit de pas de l'autre cĂ´tĂ© de la neige. Quelqu'un montait de la rivière vers la maison de son ami, quelqu'un qui marchait avec prĂ©caution, en retenant son souffle. Il Ă©carta les branches et regarda. Le brouillard Ă©tait tout, Ă©tait si dense que tout d'abord il n'y avait rien. Seule une forme sombre apparut, puis se baissa et s'Ă©tapit derrière les jambes. Il entendit le bruit d'une arme que l'on charge. Il Ă©paula les cheveux. Un gĂ©missement dans l'eau qui se levait, une plainte horrible qu'il croyait reconnaĂ®tre, qui veut glacer le coeur. Il s'Ă©lança. Il courut vers les jambes. Il les Ă©carta et trouva Ă terre son ami mourant, atteint d'une balle dans le ventre. Son fusil Ă©tait tombĂ© auprès de lui, dans l'air. Tous deux avaient voulu guetter les parachutistes, atteindre l'ennemi. Il s'ouvre pas la tĂªte de Volo, qui a d'une voix enrouĂ©e. « T'es pas mort ? » dit-il. « C'est moi, je suis lĂ . C'est le sacrĂ© couillon, l'imbĂ©cile qui les Ă©coute. RĂ©ponds-moi, Joseph, Dieu, regarde-moi ! » Mais l'homme porta les mains Ă son ventre avec une gĂ©misse douloureuse et suppliante, et sans un mot, il mourut. Le lendemain, on trouva les deux cadavres. Celui de Volo est tombĂ© dans l'air. Celui de Verdun pendu aux branches d'un arbre. La femme du tueur, Julia. Sous prĂ©texte que je suis pas assez douce et fine, un Ăªtre dĂ©licat, il ne veut pas m'apprendre. Enseigner, c'est donner. Il est Ă©goĂ¯ste et mesquin. Quand je l'ai Ă©pousĂ©e, ma mère vous l'avait prĂ©venue. Un plouc qui se prĂ©pare Ă tout diriger, Ă jouer au grand chef. En ce temps-lĂ , ma mère me tapait sur les nerfs. Ce qu'on me projetait, lui et moi, elle ne cessait d'y trouver Ă redire. La complicitĂ© entre nous deux, oh, j'y croyais ! Pour le meilleur et pour le pire, nous serions unies Ă jamais dans toutes nos entreprises. Certes, il accepte mon aide. MĂªme, il la demande pour les questions de choix, de sĂ©lection. C'est un tueur qui ne tue pas au hasard. Je tiens les livres, je remplis les colonnes. Ça coule de source. Je suis douĂ©e pour les comptes. J'aimerais mieux voir le sang couler. Si j'incite, il argumente. Les femmes se croient très fortes et, au dernier moment, elles craquent. Elles s'Ă©vanouissent. Je proteste violemment. Il se fĂ¢che. Il crie. Va te faire pendre ailleurs. Je rĂ©ponds que lui n'a rien Ă craindre. Il ne veut pas la corde pour le pendre. Avec dans ma rancÅ“ur un manque Ă©vident de logique, j'ajoute vrai gibier de potence. Rien ne change. Je reste l'humble assistante. Il refuse de me rĂ©vĂ©ler l'endroit prĂ©cis oĂ¹ enfoncer le couteau. Il me cantonne dans le tri, le marquage, des Å“ufs garantie coque. Il ne veut pas m'apprendre Ă tuer les poulets. Le plafond. Jacques Tenenberg. Il Ă©tait immobilisĂ© dans son lit, les deux jambes fracturĂ©es, depuis six semaines. Il en Ă©tait rĂ©duit Ă regarder fixement le plafond. Depuis six semaines, il cherchait en vain dans ce dĂ©sert de plĂ¢tre un dĂ©tail, une fissure, une tĂ¢che, n'importe quoi. Un matin, il vit la chose, lĂ , dans un coin, près de la fenĂªtre. Il eut un sursaut de joie. Agitement, il s'attacha Ă suivre le petit point rouge qui bougeait, car il bougeait. Il bougeait, oui, rapide, et cependant si lent, car si minuscule. Il le suivit des yeux, affolĂ© Ă l'idĂ©e de le perdre de vue. Ce point rouge qui venait de sortir de l'angle du plafond, c'Ă©tait une fourmi. Après quelques secondes, elle parut hĂ©siter. Elle revint sur ses pas, s'arrĂªta un instant près d'un angle du plafond. Elle eut lancĂ© quelques signaux, car aussitĂ´t une fourmi apparut. Elles s'avancèrent, mais se rĂ©parèrent aussi vite. Et venant de deux endroits diffĂ©rents, d'autres fourmis apparurent. ImmĂ©diatement, en quelques virevolts, bien rĂ©glĂ©es, elles se rangèrent en patrouille de six unitĂ©s. Le malade, regardĂ© toujours avec la mĂªme aviditĂ©, souriant, Ă©bloui, subjugĂ©. Une heure plus tard, tout le plafond grouillait. Des caravanes, dont la plus importante, filaient vers le mur, lourds comme un caillot de sang vivant. Les groupes correspondaient sans cesse entre eux, chaque mouvement paraissait mĂ©ditĂ©, et des patrouilles allaient sans cesse d'un groupe Ă l'autre, donnant des ordres pendant que d'autres groupes semblaient assurer la circulation, qui Ă©tait d'ailleurs très ordonnĂ©e. Le malade souriait toujours, empoignĂ©, Ă©tourdi, de plaisir et d'Ă©tonnement. Vers une heure, l'armĂ©e toute entière avait abandonnĂ© le plafond et se trouvait groupĂ© verticalement, Ă quelques millimètres de la jonction entre le mur et le parquet. Elle s'arrĂªta lĂ , une patrouille de quelques fourmis se dĂ©tacha du bloc. Elle se dirigea vers un point du parquet, et de ce point, venant de quelques gouffres dissimulĂ©es sous les lattes, une autre gorgĂ©e de fourmis se rĂ©pandit sur le plancher. Cette invasion devait Ăªtre le signal inattendu, car toute l'armĂ©e qui venait du plafond descendit en masse vers le parquet, opĂ©rant la fusion au ralenti sans le moindre dĂ©sordre. Vers deux heures de l'après-midi, le malade brusquement cessa de sourire. Il arriva sans cesse d'autres faisceaux de fourmis, des coulĂ©es de renforts qui venaient du plafond, du sol, du mur, et tout le plancher n'Ă©tait plus qu'un Ă©norme terrain de manÅ“uvre. Mais le malade ne sentit vraiment la peur que lorsque toute l'armĂ©e s'immobilisait. Il attendit quelques secondes. BientĂ´t arriva ce qu'il attendait. Une fourmi avait atteint le drap de son lit. Elle se dressa sur ses pattes, en tiquant et signalant. Elle sentait scruter les horizons, l'avenir et les choses et les buts Ă attendre. Une deuxième fourmi apparut. La première se dĂ©fendit, et toute l'armĂ©e se remut Ă bouger. Alors, près de panique, le malade s'empara de la poire Ă©lectronique qu'il avait Ă portĂ©e de ses doigts. Il se mit Ă sonner. Il appuya fureusement. Il appuya de plus en plus fort, mais en vain. Aucun son. Il n'y avait aucun son Ă entendre. Les fourmis avaient prĂ©vu ce geste depuis bien longtemps. Elles avaient coupĂ© les films. La Mort, dit de Maupassant Je ne compterai pas en notre histoire. L'amour n'en a qu'une, toujours la mĂªme. Je l'avais rencontrĂ© et aimĂ©. VoilĂ tout. Et j'avais vĂ©cu pendant un an dans sa tendresse, dans ses bras, dans sa caresse, dans son regard, dans ses robes, dans sa parole enveloppĂ©e, liĂ©e, emprisonnĂ©e, dans tout ce qui venait d'elle, d'une façon si complète que je ne savais plus s'il faisait jour ou nuit, si j'Ă©tais mort ou vivant. Sur la vieille terre ou ailleurs. Et voilĂ qu'elle mourut. Comment ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Elle rentra mouillĂ©e, en chaise de pluie, et le lendemain, elle toussait. Elle toussait pendant une semaine environ et prit les bouts. Que s'est-il passĂ© ? Je ne sais plus. Des mĂ©decins venaient, Ă©crivaient sans aller. On apportait des remèdes. Une femme lui les faisait boire. Ses mains Ă©taient chaudes, son vent relent et humide, son regard rĂ©intĂ©grĂ©. Je lui parlais, elle ne rĂ©pondait. Que nous serions-nous ? Je ne sais plus. J'ai tout oubliĂ©, tout oubliĂ©. Elle m'oublie. Je me rappelle très bien son petit soupir, son petit soupir si faible et vĂ©gèrement. La garde dit. Ah, je t'en suis, je t'en suis. Ce n'est plus rien, ce n'est plus rien. Je vis un prĂªtre qui prend les chansonnettes. Autre prĂªtre. Il me semblait qu'il m'insultait. Puisqu'il Ă©tait mort, on n'avait plus le devoir de savoir cela. Je le chassais. Un autre vent qui fut très lourd, très doux. Je pleurais quand je le sentais aller. On me consulta sur les choses pour l'enterrement. Je ne sais plus. Je me rappelle cependant très bien le cercueil, le bruit des coups de marteau quand on la cloua dedans. Ah, mon Dieu ! Elle fut enterrĂ©e, enterrĂ©e, elle, dans ce trou. Quelques personnes Ă©taient venues, les amis. Je me sauvais, je courus. Je marchais longtemps Ă travers les rues. Puis, je rentrais chez moi. Le lendemain, je partis pour un voyage. Je vais vous dire l'aventure telle qu'elle, sans chercher Ă l'expliquer. Il est bien certain qu'elle est inexplicable, Ă moins que je n'ai eu mon heure de folie. Mais non, je n'ai pas Ă©tĂ© fou, et vous en donnerai la preuve. Imaginez ce que vous voudrez, voici l'effet tout simple. C'Ă©tait en 1827, au mois de juillet. Je me trouvais Ă Rouen, en garnison. Un jour, comme je me promenais sur le quai, je rencontrais un homme, et je lui fus reconnaĂ®tre sans me rappeler au juste qui c'Ă©tait. Je fis un instinct, par instinct, un mouvement pour m'arrĂªter. L'Ă©tranger aperçut ce geste, me regarda et tomba dans mes bras. C'Ă©tait un ami de jeunesse que j'avais beaucoup aimĂ©. Depuis cinq ans que je ne l'avais vu, il semblait vieilli d'un demi-siècle. Ses cheveux Ă©taient tout blancs, et il marchait courbĂ© comme Ă©puisĂ©. Il comprit ma surprise et me compta sa vie. Un malheur terrible l'avait Ă©puisĂ©. Devenu follement amoureux d'une jeune fille, il l'avait Ă©pousĂ© dans une sorte d'extase de bonheur. Après un an d'une fĂ©licitĂ© surhumaine et d'une passion inabaisĂ©e, elle Ă©tait morte subitement d'une maladie du coeur tuĂ©e par l'amour lui-mĂªme, sans doute. Il avait quittĂ© son chĂ¢teau le jour mĂªme de l'enterrement, et il Ă©tait venu habiter son hĂ´tel de Rouen. Il vivait lĂ , solitaire et dĂ©sespĂ©rĂ©, rongĂ© par la douleur si misĂ©rable qu'il ne pensait qu'au suicide. Puisque je vous retrouve ainsi, mes victimes, je te demanderai de me rendre un grand service. C'est d'aller chercher chez moi, dans le secrĂ©taire de ma chambre, de notre chambre, quelques papiers dont j'ai une urgence besoin. Je ne puis charger de ce soin un subordinaire ou un homme d'affaires, car il me faut une impĂ©nĂ©trable discrĂ©tion et un silence absolu. Quant Ă moi, pour bien au monde, je ne rentrerai pas dans cette maison. Je te donnerai la clĂ© de cette chambre que j'ai fermĂ©e moi-mĂªme, en partant, et Ă la clĂ© de son secrĂ©taire. Tu remettras en outre un mot de moi Ă mon jardinier qui trouvera, qui tourcera le chĂ¢teau. Mais viens dĂ©jeuner avec moi demain, et nous causerons de cela. Je lui promis de lui rendre ce lĂ©ger service. Ce n'Ă©tait d'ailleurs qu'une promenade pour moi. Son domaine se trouve en situĂ© Ă cinq lieues de Rouen environ. J'en avais pour une heure Ă cheval. A dix heures le lendemain, j'Ă©tais chez lui. Nous dĂ©jeunĂ¢mes en tĂªte Ă tĂªte, mais il ne prononça pas vingt paroles. Il me pria de l'excuser. La pensĂ©e de la visite que j'allais faire dans cette chambre, oĂ¹ j'y sais son bonheur, le bouleversait, me disait-il. Il me parut en effet singulièrement agitĂ©, prĂ©occupĂ©, comme si un mystĂ©rieux combat se fĂ»t livrĂ© dans son Ă¢me. Enfin, il m'expliqua exactement ce que je devais faire. C'Ă©tait bien simple. Il me fallait prendre deux paquets de lettres et une liasse de papier enfermĂ©es dans le premier tiroir de droite du meuble dont j'avais la clĂ©. Il ajouta, « Je n'ai pas besoin de te prier, je n'y prends Ă jeter les yeux. » Je fus presque baissĂ© de cette parole et je lui dis un peu vivement qu'il balbutia. Pardonnez-moi, je souffre trop et il s'est mis Ă pleurer. Je l'ai quittĂ© vers une heure pour accomplir ma mission. Il faisait un temps radieux et j'allais au grand trou Ă travers les prairies, Ă©coutant des chants d'alouettes et le bruit rythmĂ© de mon sable sur ma botte. Puis j'entrais dans la forĂªt et je mis au pas mon cheval. Des branches d'armes caressaient le visage et parfois j'attrapais une feuille avec mes dents et je la mĂ¢chais, Ă©videmment. Dans une de ces joies de vivre qui vous envive, on ne sait pourquoi, d'un bonheur tumultueux et comme inescapable d'une sorte d'ivresse de force. En approchant du chĂ¢teau, je cherchais dans ma poche la lettre que j'avais pour le jardinier et je m'aperçus avec Ă©tonnement qu'elle Ă©tait cachetĂ©e. Je fus tellement surpris et irritĂ© que j'ai failli revenir sans m'acquitter de ma commission. Puis je songeais que j'allais montrer lĂ une susceptibilitĂ© de mauvais goĂ»t. Mon ami avait pu d'ailleurs fermer ce mot sans y prendre garde, dans le trouble oĂ¹ il l'Ă©tait. Le manoir semblait abandonnĂ© depuis vingt ans, la barrière ouverte et pourrie, tenait debout, on ne sait comment. L'herbe entissait les allĂ©es, on ne distinguait plus les plates bandes de gazon. Au bruit que je fis en tapant un coup de pied dans un volet, un vieil homme sortit d'une porte de cĂ´tĂ© et parut stupĂ©fait de me voir. Je sautais Ă terre et je remis ma lettre. Il l'a lue, la relut, la retourna, me considĂ©ra en dessous, mit le papier dans sa poche et prononça. — Eh bien, qu'est-ce que vous dĂ©sirez ? Je rĂ©pondis brusquement. — Vous devez le savoir, puisque vous avez reçu lĂ -dedans les ordres de votre maĂ®tre. Je veux entrer dans ce chĂ¢teau. Il semblait atterrĂ© et dĂ©clat. — Alors, vous allez dans sa chambre ? Je commençais Ă m'attendre sur ses yeux. — Parle-le, mais est-ce que vous auriez l'intention de m'interroger par hasard ? Il balbutiait. — Non, monsieur, mais ce que c'est qu'elle n'a pas Ă©tĂ© ouverte depuis la mort. Si vous vouliez maintenant cinq minutes, je vais aller voir si... Je l'interrompis Ă Ă©coleur. — Ah ça, voyons, vous pĂªchez de moi. Vous n'y pouvez pas entrer, puisque voici la clĂ©. Il ne savait plus quoi dire. — Alors, monsieur, je vais vous montrer la route. — Montrez-moi l'escalier et laissez-moi seul. Je la trouverai bien sans vous. — Mais, monsieur, cependant... Cette fois, je m'en portais tout Ă fait. Maintenant, taisez-vous, n'est-ce pas, ou vous aurez peur Ă moi. Je l'Ă©carta violemment, et je pĂ©nĂ©tra dans la maison. Je traversai d'abord la cuisine, puis deux petites pièces que cet homme habitait avec sa femme. Je franchis ensuite un grand vestibule. Je montai l'escalier, et je reconnus la porte identique, idyllique, indiquĂ©e par un de mes amis. Je l'ouvris sous peine, et j'entris. L'appartement Ă©tait tellement sombre que j'ai mis de distinguer rien. D'abord, je m'arrĂªtais, saisi par ses yeux, s'habituĂ© Ă l'obscuritĂ©, et je vis assez nettement une grande pièce en dĂ©sordre, avec un lit sans draps, mais gardant ses matelas et ses oreillers, dont un portrait, l'empreinte profonde d'un coude ou d'une tĂªte qui venait de poser dessus. Les sièges semblaient en dĂ©route. Je remarquai qu'une porte, celle d'une armoire sans doute, Ă©tait demeurĂ©e entreouvertes. J'allais d'abord Ă la fenĂªtre pour donner du jour, et je l'ouvris, mais les ferrures du contre-vent Ă©taient tellement rouillĂ©es que je ne pus les faire cĂ©der. J'essayais mĂªme de les casser avec mon sabre, sans y parvenir. Comme je mĂ©ritais de cet effort inutile, et comme mes yeux s'Ă©taient enfin parfaitement accoutumĂ©s Ă l'ombre, je renonçais Ă l'espoir d'y voir plus clair, et j'allais au secrĂ©taire. Je m'assis dans un fauteuil, j'abattis la tablette, j'ouvris le tiroir indiquĂ©. Il Ă©tait plein jusqu'au bord. Il ne me fallait que trois paquets, que je savais comment reconnaĂ®tre, et je les mis Ă chercher. Je m'Ă©cartiais les yeux Ă dĂ©chiffrer les subscriptions, quand je pus entendre, ou plutĂ´t sentir, un frĂ´lement derrière moi. Je n'y pris point gare, pendant qu'un courant d'air avait fait remuer quelques Ă©toffes. Mais au bout d'une minute, un autre mouvement, très simple, me fit passer sur la peau un singulier petit frisson dĂ©sagrĂ©able. C'Ă©tait tellement bĂªte d'Ăªtre Ă©mu, mĂªme Ă peine, que je ne voulais pas me retourner, par pudeur pour moi-mĂªme. Je venais alors de dĂ©couvrir la seconde dĂ©lias qu'il me fallait, et je trouvais justement la troisième, quand un grand et pĂ©nible soupir, poussĂ© contre mon Ă©paule, me fit faire un bon fou Ă deux mètres de lĂ . Dans mon Ă©lan, je mettais retournĂ© la main sur la poignĂ©e de mon sabre, et certes, si je ne l'avais pas senti Ă mon cĂ´tĂ©, je me serais enfui comme un lĂ¢che. Une grande femme vĂªtue de blanc me regardait, debout derrière le fauteuil, oĂ¹ j'Ă©tais assise une seconde plus tĂ´t. Une telle secousse me courut dans les membres, que je faillis m'abattre Ă la renverse. Oh, personne ne peut me comprendre, Ă moins de les avoir ressentis, ces Ă©pouvantables et stupides terreurs. L'Ă¢me se fond, on ne sent plus son cÅ“ur, le corps entier devient mou comme une Ă©ponge, on dirait que l'intĂ©rieur de nous s'Ă©croule. Je ne crois pas aux fantĂ´mes, eh bien, j'ai dĂ©failli sous la hideuse peur des morts. Et j'ai souffert, oh, souffert en quelques instants, plus qu'en tout le reste de ma vie, dans l'angoisse irrĂ©sistible des Ă©pouvantes surnaturelles. Si elle n'avait pas parlĂ©, je serais mort peut-Ăªtre. Mais elle parla, elle parla d'une voix douce et douloureuse qui faisait vibrer les nerfs. Je n'oserais pas dire que je redevins maĂ®tre de moi et que je retrouvais ma raison. Non, j'Ă©tais Ă©perdu Ă ne plus savoir ce que je faisais, mais cette espèce de fiertĂ© intime que j'ai en moi, un peu d'orgueil de mĂ©tier aussi, me faisait garder, presque malgrĂ© moi, une contenance honorable. Je posais sur moi, je posais pour moi et pour elle sans doute, pour elle, quelle qu'elle fĂ»t, femme ou spectre, je me suis rendu compte de tout cela plus tard, car je vous assure que dans l'instant de l'apparition, je ne songeais Ă rien, j'avais peur. Elle dit. Oh, monsieur, vous pouviez me rendre un grand service. Je voulais rĂ©pondre, mais il me fut impossible de prononcer un mot. Un bruit vague sortit de ma gorge. Elle reprit. Voulez-vous, vous pouviez me sauver, me guĂ©rir ? Je souffre affreusement. Je souffre. Oh, je souffre. Elle m'assit doucement dans mon fauteuil. Elle me regardait. Voulez-vous ? Je fis oui, de la tĂªte ayant encore la voix paralysĂ©e. Alors, elle me tendit un peigne et craigne, et caille, et elle murmura. Poignez-moi, oh, poignez-moi. Cela me guĂ©rira. Il faut qu'on me peigne. Regardez ma tĂªte, comment je souffre, et mes cheveux, comment ils me font mal. Ces cheveux dĂ©nouĂ©s, très longs, très noirs, me semblaient-ils, pendaient par-dessus le dossier du fauteuil et touchaient la tĂªte. Pourquoi ai-je fait ceci ? Pourquoi ai-je reçu en frissonnant cet effet ? Et pourquoi ai-je pris dans mes mains ces longs cheveux qui me donnèrent Ă la peau une sensation de froid atroce, comme si je maniais les serpents ? Je n'en sais rien. Cette sensation m'est restĂ©e dans les doigts et je tressaille en y songeant. Je la peignais. Je maniais, je ne sais comment, cette chevelure de glace. Je la tordis, je la renouais et la dĂ©nouais. Je la tressais comme on tresse la crinière d'un cheval. Elle soupirait, penchait la tĂªte, semblait heureuse. Soudain, elle me dit merci, m'arrachait le peigne des mains et s'enfuit par la porte que j'avais remarquĂ©e entrouverte. RestĂ©e seule, j'eus pendant quelques secondes ce trouble effarĂ© des rĂ©veils après les cauchemars. J'y repris enfin mes sens. Je courus Ă la fenĂªtre et je brisais le contrevent d'une poussĂ©e furieuse. Un flot de jour rentra. Je m'Ă©lançais sur la porte par oĂ¹ cet Ăªtre Ă©tait parti. Je la trouvais fermĂ©e et inĂ©branlable. Alors qu'une fièvre de fuite m'envahit, une panique, la prĂ©panique des batailles, je suscite brusquement les trois paquets de lettres sur le secrĂ©taire ouvert. Je traversais l'appartement en courant. Je sautais les marches de l'escalier quatre par quatre. Je me trouvais dehors et je ne sais pas oĂ¹. Et apercevant mon cheval Ă dix pas de moi, je l'enfourchais dans un banc et partis au galop. Je ne m'arrĂªtais qu'Ă moi et devant mon logis, ayant Ă©tĂ© jetĂ© Ă l'abri de mon ordonnance. Je me sauvais dans ma chambre oĂ¹ je m'enfermais pour rĂ©flĂ©chir. Alors, pendant une heure, je me demandais anxieusement si je n'avais pas Ă©tĂ© le jouet d'une hallucination. Certes, j'avais eu un de ces incomprĂ©hensibles Ă©branlements nerveux, un de ces affonnements du cerveau qui enfante les miracles, Ă qui le surnaturel doit sa puissance. Et j'allais croire Ă une vision, Ă une erreur de mes sens. Quand je m'approchais de ma fenĂªtre, mes yeux, par hasard, descendirent sur ma poitrine. Mon Don Juan Ă©tait plein de longs cheveux de femme qui s'Ă©taient enroulĂ©s au bout de moi. Je les ai saisis un Ă un et je les ai jetĂ©s dehors avec des tremblements dans les doigts. Puis, j'appelais mon ordonnance. Je me sentais trop Ă©mu, trop troublĂ© pour aller le jour mĂªme chez mon ami. Et puis je voulais mĂ»rement rĂ©flĂ©chir Ă ce que je devais lui dire. Je lui fis porter ses lettres dont il remit un reçu au soldat. Il s'informa beaucoup de moi. On lui dit que j'Ă©tais souffrant, que j'avais reçu un coup de soleil, je ne sais quoi. Il parut inquiet. Je me rendis chez lui le lendemain, dĂ©sobe, rĂ©solu Ă lui dire la vĂ©ritĂ©. Il Ă©tait sorti la veille au soir et pas rempli. Je revends dans la journĂ©e, on ne l'avait pas revu. J'entendis une semaine, il ne rĂ©apparut pas. Alors je prĂ©vends la justice, on le fait rechercher partout, sans dĂ©couvrir une trace de son passage ou de sa retraite. Une visite minutueuse fut faite au chĂ¢teau abandonnĂ©. On n'y dĂ©couvrit rien de suspect. Aucune idĂ©e ne rĂ©vĂ©la qu'une femme y eut Ă©tĂ© cachĂ©e. L'enquĂªte n'aboutissant Ă rien, les recherches furent interrompues et depuis 56 ans, je n'ai rien appris. Je ne sais plus rien. Je ne sais rien du plus. La photographie de Jack Steinberg. Il y avait quelques mois que j'avais acquis cette photographie. CollĂ©e sur un morceau de contreplaquĂ©, elle envahissait presque tout un mur et, bien souvent, je me demandais pourquoi je ne la remplaçais pas. Je ne lui trouvais rien de bien remarquable et en gĂ©nĂ©ral je n'apprĂ©ciais la photo. A la rigueur, on pouvait lui trouver quelque chose d'insolite. Une impression diffuse qui me dĂ©rangeait parce que, justement, je ne voyais pas exactement pourquoi je jugeais cette image insolite. Elle reprĂ©sentait un grand lac, vraiment très banal, avec en arrière-plan une colline dĂ©serte pas moins banale. La photo Ă©tait en noir et blanc, le ciel uniformĂ©ment gris sale. Sur le lac, on voyait une barque, perdue au loin, minuscule. Je mis un certain temps Ă me rendre Ă l'Ă©vidence, mĂªme si elle me paraissait difficile Ă accepter. La barque, de semaine en semaine, avançait. C'est ainsi. Inexorablement, se dĂ©plaçant dans un espace-temps impossible Ă dĂ©finir, la barque grandissait parce qu'elle avançait sur le lac, venue de quelques lointains rivages pour se diriger vers le bord extĂ©rieur du clichĂ©. Autant dire vers moi. Un jour, je pus distinguer deux personnages dans la barque. L'un ramait, l'autre assis plus en avant semblait ne rien faire. Quelques temps plus tard, d'autres dĂ©tails me rentrèrent dans le regard. C'est un homme aux bras nus qui ramait et le personnage tassĂ© Ă la peau ne pouvait Ăªtre qu'une femme. Comme la barque se dirigeait vers moi, chaque jour oĂ¹ il passait, on Ă©tudiait, de la prĂ©sence aux deux personnages. L'Ă©tat de la femme m'intĂ©ressait, jusqu'au moment oĂ¹ l'inquiĂ©tude, puis l'effroi s'en mĂªlèrent parce que je la reconnaissais. Impossible de la confondre avec une autre. Ses longs cheveux raides et blonds, ses yeux si froids qu'ils paraissaient Ă©teints, son corps trop massif et menaçant dans son immobilitĂ©, tout en elle me donnait froid dans le dos. Surtout qu'elle me dĂ©visageait, les yeux dans les yeux, sans aucune trace de sentiment, et sur ses genoux il y avait un filet dont le canon Ă©galement me lorgnait de son Å“il de cyclope martyrĂ©. Une de ses mains semblait caresser tendrement la cachette. Comment ne pas la reconnaĂ®tre et me souvenir de tout sans trembler ? J'avais eu une brève liaison avec elle l'hiver dernier. Au printemps, excĂ©dĂ©, je rompais, emportĂ© par une brutalitĂ© qui ne me ressemblait pas, et, dès cet instant, avec une froideur sauvage, elle s'Ă©tait jurĂ©e d'avoir un jour ma peau. La chose. Bermas Rio. Je me suis rĂ©veillĂ©, le cÅ“ur battant et les mains moites. La chose Ă©tait lĂ , sous mon lit, vivante et dangereuse. Je me suis dit, surtout ne bouge pas, il ne faut pas qu'elle sache que tu es rĂ©veillĂ©. Je la sentais gonfler, s'enfler et Ă©tirer l'un après l'autre ses tentacules innombrables. Elle ouvrait la gueule maintenant et dĂ©ployait ses antennes. C'Ă©tait l'heure oĂ¹ elle guettait sa proie. RĂªtes, les bras collĂ©s au corps, je retenais ma respiration en pensant, il faut tenir cinq minutes. Dans cinq minutes, elle s'assouplira et le danger sera passĂ©. Je comptais les secondes dans ma tĂªte interminablement. A un moment, j'ai cru sentir le lit bouger. J'ai failli crier. Qu'est-ce qui lui prend ? Que va-t-elle faire ? Jamais elle n'est sortie de sous le lit. J'ai senti sur ma main un lĂ©ger frisson comme une caresse très lente. Et puis, plus rien. J'ai continuĂ© Ă compter en m'efforçant de ne penser qu'aux nombrils qui dĂ©filaient dans ma tĂªte. 51, 52, 53. J'ai laissĂ© passer bien plus de cinq minutes. Je me suis remis enfin Ă respirer normalement, Ă me dĂ©tendre un petit peu. Mais mon coeur battait toujours très fort. Il rĂ©sonnait partout en moi, jusque dans la paume de mes mains. Je me rĂ©pĂ©tais, n'aie plus peur. La chose a repris sa forme naturelle. Son heure est passĂ©e. Mais cette nuit-lĂ , la peur ne voulait pas me laifier. Elle s'accrochait Ă moi. Elle me serrait le cou. Une question toujours la mĂªme, roulĂ©e dans ma tĂªte. Qui est la chose, la chose qui, chaque nuit, gonfle et souffle sur mon lit et s'Ă©tire Ă l'affĂ»t d'une croix ? Et puis, reprend sa forme naturelle après quelques minutes. J'ai comptĂ© jusqu'Ă dix en dĂ©plaçant lentement ma main droite vers la lampe de chevet. Ă€ dix, j'ai allumĂ© et j'ai sautĂ© sur le tapis. Le plus loin possible. Et qu'est-ce que j'ai vu sous mon lit ? Mes pantoufles, mes bonnes vieilles pantoufles que je traĂ®nais au pied depuis près de deux ans. Elles ne me sont trop petites dĂ©jĂ et percĂ©es Ă plusieurs endroits. J'Ă©tais vraiment déçu et un peu triste. Je me suis dit, alors, on ne peut plus avoir confiance en rien. Il faut se mĂ©fier de tout, mĂªme des choses les plus familiers. J'ai regardĂ© lentement les pantoufles. Elles avaient l'air parfaitement inoffensives, mais je ne m'y suis pas laissĂ©e prendre avec beaucoup de prĂ©caution. Je les ai enveloppĂ©es dans du papier journal et j'ai soigneusement fissĂ© le paquet et j'ai jetĂ© tout dans la chaudière. Nuit d'horreur. C'Ă©tait l'hiver dernier, dans une forĂªt du Nord, Est de la France. La nuit vint deux heures plus tĂ´t, tant le ciel Ă©tait sombre. J'avais pour guide un paysan qui marchait Ă mon cĂ´tĂ©, par un tout petit chemin, sous une voĂ»te de sapins dont le vent dĂ©chaĂ®nĂ© tirait des hurlements entre les cimes. Je voyais courir des nuages en dĂ©route, des nuages Ă©perdus, qui semblaient fuir devant une Ă©pouvante. Par voie, sous une immense rafale, toute la forĂªt s'inclinait dans le mĂªme sens avec un gĂ©missement de souffrance. Le narrateur arrive dans la maison d'un garde forestier. Il y dĂ©couvre une famille terrorisĂ©e. Un vieil homme Ă cheveux blancs, Ă l'oeil fou, le fusil chargĂ© dans la main, nous attendait debout au milieu de la cuisine, tandis que des grands gaillards, armĂ©s de haches, gardaient la porte. Je distinguais dans le coin sont deux femmes Ă genoux, le visage cachĂ© contre le mur. On s'expliqua. Le monsieur rĂ©unit son arbre contre le mur et ordonna de prĂ©parer ma chambre. Puis, comme les femmes ne bougeaient point, il me dit brusquement. Voyez-vous, monsieur, j'ai tuĂ© un homme. VoilĂ . Deux ans, cette nuit. L'autre annĂ©e, il est revenu m'appeler. Je l'entends encore se voir. Les heures passent et l'attention monte. Tout le monde attend avec angoisse la visite du fantĂ´me de cet homme tuĂ© deux ans auparavant. Nous restions immobiles, livides dans l'attente d'un Ă©vĂ©nement affreux. L'Å“il tendu, le cÅ“ur battant, bouleversĂ©s au moindre bruit. Et le chien se mit Ă tourner autour de la pièce, en sentant les murs et gĂ©missant toujours. Cette bĂªte nous rendait fous. Alors le paysan qui m'avait emmenĂ© se jeta sur elle, dans une sorte de paroxysme de terreur furieuse, et ouvrant une porte, donnant sur une petite cour, jeta l'animal dehors. Il se tut aussitĂ´t, et nous restĂ¢mes plongĂ©s dans un silence plus terrifiĂ© encore. Et soudain, tous ensemble, nous eĂ»mes une sorte de sursaut, un Ăªtre glissĂ© contre le mur du dehors, vers la forĂªt. Puis il passa contre la porte, qu'il sembla tĂ¢ter d'une main hĂ©sitante. Puis on n'entendit plus rien. Pendant deux minutes, qui firent de nous des insensĂ©s, puis il revient, frĂ´lait toujours la muraille et le gratta lĂ©gèrement, comme ferait un enfant avec son monde. Puis, soudain, une tĂªte apparut contre la vitre du judas, une tĂªche blanche avec des yeux lumineux, comme ce dĂ©faut, et un son sortit de sa bouche, un son instillĂ©, un murmure plaintif. Alors un bruit formidable Ă©clata dans la cuisine. Le vieux garde avait tirĂ©, et aussitĂ´t le fils se prĂ©cipita, bouchère le judas, en dressant une grande table qui est juste tirĂ©e avec le buffet. Et je vous jure qu'au fracrant deux coups du fusil, je m'attendais point. J'ai eu tellement angoisse du cÅ“ur, de l'Ă¢me et du corps, que je me suis dĂ©faillir, prĂªt Ă mourir de peur. Nous restĂ¢mes lĂ , jusqu'Ă l'aurore, incapables de bouger, de dire un mot, crespĂ©s dans un affolement insensible. On osa dĂ©barricader la sortie, qu'en apercevant, par la fente d'un auvent, un mince rayon de jour, au pied du mur, contre le poĂªle, le vieux chien guissait la gueule grisĂ©e d'une balle. Jacques Sternberg, le cri. La femme vit le spectacle. Il lui Ă©clata dans le regard comme s'il avait Ă©tĂ© bourrĂ© d'explosifs. Elle se mit Ă hurler. Un long cri dĂ©gorgĂ©, un tĂªte-poing bardĂ© de rĂ©sonance, qu'un peu plus loin, une vitre vola en Ă©clat. L'homme qui se rasait près de cette vitre reçut une flèche de verre en plein visage. Il poussa un cri, comme l'Ă©cho et le prolongement du premier cri. Il lĂ¢cha en mĂªme temps ce rasoir, qui tomba Ă l'Ă¢me bien droite, sur la main d'un boutiquier, en train d'ouvrir ses voilĂ©es. Le blessĂ© hurla. Un faux mouvement du chien replaçait une barre de fer qui atteignit un enfant et l'Ă©borgnant. Le hurlement, pour la quatrième fois, vrilla Ă travers la rue. Et d'Ă©vĂ©nement en Ă©vĂ©nement depuis ce matin. Le hurlement rejaillit dans sa fuite, gravĂ© d'inveresse, de sang et de vie. SaturĂ© de cause, dĂ©gorgeant des consĂ©quences aussitĂ´t transformĂ©es en causes nouvelles. Le hurlement traversĂ© des cloisons rampe le long des façades, descend par les gouttières, remonte par les cours intĂ©rieures, se perd dans des caves, revient amplifiĂ© au centre des carrefours dangereux. Toujours plus aiguĂ«, se perdant pour se trouver sans cesse et rebondir plus haut ou plus loin. BientĂ´t il pourra se passer d'une cause, alors il ne sera plus qu'un simple cri, un son purifiĂ© et uniforme, infiniment Ă©tirĂ©, aussi fatal que le silence, la nuit, la lumière ou la mort. Le brochet. Depuis une semaine, je l'avais placĂ© dans une vaste cube de verre, sur la cheminĂ©e. Sa taille donnait un lĂ©ger choc quand on le voyait entièrement dĂ©ployĂ©, comme clouĂ© dans le grand mur de cette chambre. Le soir, tous les soirs, j'avançais une chaise. Je me plaçais devant l'aquarium, je le regardais. Le brochet, presque toujours, se plaçait face Ă mon regard. Il avançait au ralenti, millimètre par millimètre, jusqu'Ă la paroi de verre. Il s'immobilisait alors et me regardait. Du brochet, je ne voyais plus alors qu'une grande gueule dont les commissures pendouillaient, Ă©tirĂ©e dans une Ă©trange mou de dĂ©goĂ»t ou de mĂ©pris. Puis ses yeux, sans regard, sans couleur, cette facultĂ© de paralysie totale ou de battre des nageoires d'une façon tellement affaiblie qu'elle frĂ´lait l'inconcevable. Je pouvais demeurer durant des heures Ă les pieds, Ă me demander ce qu'il pouvait bien comploter, car, peu Ă peu, je m'Ă©tais persuadĂ© qu'il attendait quelque chose. Je ne voyais pas quoi, une occasion sans doute, une occasion favorable pour soudain. Je ne savais pas davantage dans quel acte il aurait bien pu se jeter, mais lui paraissait savoir. Cela me semblait presque certain quand je regardais sa menthe face d'objet sur noix. Cette chose qui n'Ă©tait qu'une mĂ¢choire dont on ne voyait qu'un rectus, mais qui dissimulait. Je savais ce qu'elle dissimulait. Le brochet m'avait dĂ©voilĂ© un soir les coulisses, ses dents comme des lames et l'implacabilitĂ© dans laquelle ses dents Ă©taient plantĂ©es. Tout cela m'inquiĂ©tait, mais cette inquiĂ©tude me sĂ©duisait. Elle Ă©tait la raison maĂ®tre de mon attachement pour ce poisson. Je ne l'aurais pas aimĂ© avec cette passion un peu affolie si je n'avais pas su ce dangereux effort. D'autre part, je l'aurais certainement supprimĂ© si j'avais rĂ©ellement cru Ă quelque danger. Qu'aurais-je pu craindre ? Qu'y avait-il Ă craindre ? Un soir seulement, j'ai compris. Je venais de m'endormir. Aucun brusquement suspect avec aucune clartĂ© imprĂ©vue. Rien d'anormal autour de moi et pourtant il se passait quelque chose. L'intuition de l'insolite Ă©tait en moi formelle, de plus en plus poignĂ©e. Je m'Ă©tais rĂ©veillĂ© brusquement. Je me redressais. J'allumais. Sans hĂ©siter, je me tournais vers l'aquarium. Il Ă©tait vide. La lague seule flottait dans l'eau. Elle semblait vacillĂ©e sur elle-mĂªme, un peu ivre. D'y penser toute absurde me passait en une seconde dans le regard. Je me jetais hors de mon lit. J'empoignais une bouteille vide. J'allais me placer contre la porte pendant que les questions les plus ridicules me faisaient pulvĂ©riser par les rĂ©ponses pas moins sangrenues. Mais toutes fausses, les questions comme les rĂ©ponses et la rĂ©alitĂ© dĂ©passait de moi l'absurde. Le brochet, je le vis soudain. J'aurais dĂ» le voir depuis la première seconde. Mais une vision tellement peu plausible que je ne l'aurais peut-Ăªtre pas reconnue. Le brochet Ă©tait dans un coin de la pièce, rigide, parfaitement en vie, Ă deux mètres au-dessus du sol entre le parquet et le plafond. Il flottait dans cet espace. Il battait des nageoires. Il avançait lentement comme il aurait avancĂ© dans l'eau. Implacablement se dirigeait vers moi, la gueule dĂ©jĂ ouverte sous ses yeux de bois mort. Le portrait de Nicolas Gogol. Thiarko est peintre dans Saint-PĂ©tard-Bourg. Il achète un jour un Ă©trange portrait chez un brocanteur. Une nuit, le tableau semble soudainement prendre vie. Thiarko s'approchait encore une fois du portrait pour examiner ses yeux extraordinaires et s'aperçut non sans effroi qu'il le regardait. Ce n'Ă©tait plus lĂ une copie de la nature, mais bien la vue Ă©trange dont aurait pu s'animer le visage d'un cadavre sorti du tombeau. Épaisse en effet de la clartĂ© lunaire, cette lumière du dĂ©lire qui donne Ă toute chose un aspect irrĂ©el. Je ne sais, mais il Ă©prouva un malaise soudain Ă trouver seul dans la pièce. Il s'Ă©loigna lentement du portrait, se dĂ©tourna Ă ses forçats de ne plus le regarder, mais son Å“il impuissant Ă s'en dĂ©tacher, louchait sans cesse de ce cĂ´tĂ©. Finalement, il eut mĂªme peur d'arpenter ainsi la pièce. Il croyait toujours que quelqu'un allait se mettre Ă le suivre et se retourner craintivement sans Ăªtre peureux. Il avait les nerfs et l'imagination fort sensibles, et ce soir-lĂ il ne pouvait s'expliquer sa frayeur instinctive. Il s'assit dans un coin et lĂ encore il eut l'impression qu'un inconnu allait se pencher sur son Ă©paule et le dĂ©visager. L'Ă©ronflement de Nikita, qui lui arrivait de l'antichambre, le dissipait point sa terreur. Il quitta craintivement sa place sans lever les yeux. Il se dirigea vers son lit et se coucha Ă travers les fendus par avant. Il pouvait voir sa chambre Ă©clairĂ©e par la lune, ainsi que le portrait accrochĂ© bien droit au mur et dont les yeux toujours fixĂ©s sur lui, avec une expression de plus en plus effrayante, sans dĂ©cidĂ©ment ne vouloir regarder rien d'autre que lui. Allaitant d'angoisse, il se leva, saisit un drap et s'approcha du portrait, le recouvrant tout entier. Quelque peu tranquillisĂ©, il se recoucha et se prit Ă songer Ă la pauvretĂ©, au destin misĂ©rable des peintres, au chemin sème des pines qu'il doit parcourir sur cette terre. Cependant, Ă travers les fendus par avant, le portrait attirait toujours invinciblement son regard. Le rayonnement de la lune avivait l'avancheur du drap, Ă travers lesquels les terribles yeux semblaient maintenant prospĂ©rĂ©s. Tcharkov et Karkyla les tiennent, comme pour bien se convaincre qu'ils ne rĂªvaient pas. Mais non, ils reprennent de loin, il faut honnĂªtement. Le drap a disparu et, dĂ©daignant tout ce qui l'entoure, le portrait entièrement dĂ©couvert recapote droit vers lui, plonge, oui, tellement exact, toujours au très fond de son Ă¢me. Son cÅ“ur se plaça, et soudain vit le Villard renouer, s'appuyer des dĂ©ceux de main au cadre, sortir les deux jambes, sauter dans la pièce, l'attendre de laisser plus entrevoir que le cadre vide. Un bruit de pas repentis se rapprocha le cÅ“ur du pauvre peintre, fatiguĂ© violemment. La respiration coupĂ©e par le froid, il s'attendait Ă voir le Villard surgir auprès de lui. Il surgit bientĂ´t en effet, roulant ses grands yeux dans son magnifique visage de bronze. Tcharkov voulut crier, il n'avait plus de voix, il voulait remuer ses mains, ne remuer point. La bouche baie, le souffle court, il contemplait l'Ă©trange fantĂ´me d'eau Ă haute stature se draper dans son Villard costume asiatique. Qu'allait-il entreprendre ? Il fit un suprĂªme effort pour bouger sur un cri aiguĂ«. Une simple rĂ©capitulation finale. A 20h46, il serait libre dans tous les sens du mot. Il avait fixĂ© le moment parce que c'Ă©tait son 40e anniversaire et que c'Ă©tait l'heure exacte oĂ¹ il Ă©tait nĂ©. Sa mère, passionnĂ©e en astrologie, lui avait souvent rappelĂ© la minute prĂ©cise de sa naissance. Lui-mĂªme n'Ă©tait pas superstitieux, mais cela flattait son sens de l'humour de commencer sa vie nouvelle Ă 40 ans, Ă une minute près. De toute façon, le temps travaillait contre lui. Homme de loi spĂ©cialisĂ© dans les affaires immobilières, il voyait de très grosses sommes passer entre ses mains. Une partie de ces sommes y restait. Un an auparavant, il avait empruntĂ© 5000$ pour les placer dans une affaire sĂ»re, qu'il allait doubler ou tripler la mise, mais oĂ¹ il perdit la totalitĂ©. Il emprunta un nouveau capital pour diverses spĂ©culations, et pour rattraper sa perte initiale, il avait maintenant environ 30000$ de retard. Le trou ne pouvait qu'Ăªtre dissimulĂ©, dĂ©sormais plus de quelques mois. Il n'y avait pas le moindre dĂ©sespoir de le combler en si peu de temps. Il avait donc rĂ©solu de rĂ©aliser le maximum en argent liquide, sans Ă©veiller les soupçons. En vendant diverses propriĂ©tĂ©s, dans l'après-midi, il disposerait de plus de 100000$, plus qu'il ne lui en fallait jusqu'Ă la fin de ses jours. Et jamais il ne se rĂ©prit. Son dĂ©part, sa destination, sa nouvelle identitĂ©, tout Ă©tait prĂ©vu et fignolĂ©. Il n'avait nĂ©gligĂ© aucun dĂ©tail. Il y travaillait depuis des mois. Sa dĂ©cision de tuer sa femme, il l'avait prise un peu après coup. Le mobile Ă©tait simple, il la dĂ©testait. Mais c'est seulement après avoir pris la rĂ©solution de ne jamais aller en prison, de se suicider s'il Ă©tait pris, que l'idĂ©e lui Ă©tait venue. Puisque de toute façon il voudrait s'il l'Ă©tait pris, il n'avait rien Ă perdre en laissant derrière lui une femme morte au lieu d'une femme en vie. Il avait eu beaucoup de mal Ă ne pas Ă©clater de rire devant l'opportunitĂ© du cadeau d'anniversaire qu'elle lui avait fait la veille, avec 24h d'avance. Une belle valise neuve. Elle l'avait aussi amenĂ© Ă accepter de fĂªter son anniversaire en allant dĂ®ner en ville, Ă cette heure. Elle ne se doutait pas de ce qui l'avait prĂ©parĂ© pour continuer la soirĂ©e de fĂªte. Il la ramènerait Ă la maison avant 20h46 et satisferait son goĂ»t pour les choses bien faites en se rendant veuve Ă la minute prĂ©cise. Il y avait aussi un avantage pratique Ă la laisser morte. S'il l'abandonnait vivante et endormie, elle comprendrait ce qui s'Ă©tait passĂ© et alerterait la police en constatant au matin qu'il Ă©tait parti. S'il la laissait morte, le cadavre ne serait pas retrouvĂ© avant deux et peut-Ăªtre trois jours, ce qui lui assurait une avance bien plus confortable. A son bureau, tout se passa Ă merveille. Quand l'heure fut venue d'aller retrouver sa femme, tout Ă©tait parĂ©. Mais elle traĂ®na devant les cocktails et traĂ®na encore au restaurant. Il en vint Ă se demander avec inquiĂ©tude s'il arriverait Ă la ramener Ă la maison avant 20h46. C'Ă©tait ridicule, il le savait bien. Mais il avait fini par attacher une grande importance au fait qu'il voulait Ăªtre libre Ă ce moment-lĂ et non une minute avant ou une minute après. Il gardait un oeil sur sa montre. Attendre d'Ăªtre rentrĂ© dans la maison, il l'aurait mis en retard de 30 secondes. Mais sur le porche dans l'obscuritĂ©, il n'y avait aucun danger, il ne risquait rien. Pas plus qu'Ă l'intĂ©rieur de la maison. Il abattit la matraque de toutes ses forces pendant qu'elle attendait qu'il sorte sa clĂ© pour ouvrir la porte. Il la rattrapa avant qu'elle tombe et parvint Ă maintenir debout tout en ouvrant la porte de l'autre man et en la refermant de l'intĂ©rieur. Il posa alors les doigts sur l'interrupteur et une lumière jaunĂ¢tre envahit la pièce. Avant qu'il ait pu voir sa femme qui Ă©tait morte et qu'il maintenait le cadavre d'un bras, tous les invitĂ©s de la soirĂ©e d'anniversaire hurlèrent d'une seule voix, surprise !