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LBJdel'aventure_10_01_1997_Afghanistan

LBJdel'aventure_10_01_1997_Afghanistan

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LBJ de l'aventure dirigé par Sylvain Tesson, invités : - Eric Girard : photographe - Alain Boinet : président de l'Association "Action humanitaires d'urgence en pays de guerre" - Renaud Girard : journaliste SUJETS : L'Afghanistan

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The radio show is discussing the situation in Afghanistan and its ongoing war for the past 20 years. They mention that France has played a significant role in this conflict since 1979, both in terms of resistance and humanitarian aid. The guests on the show, Alain Boinet and Éric Girard, share their personal experiences and engagements in Afghanistan. They talk about their first mission in Afghanistan, which involved crossing the border clandestinely from Pakistan and facing various challenges. Despite the dangers, they decided to continue their humanitarian work in Afghanistan, and have been doing so for nearly 17 years. Throughout their missions, they had to navigate through Soviet-controlled areas, mines, and offensives, while also avoiding ambushes by Soviet commandos. Although they lost friends in these missions, they consider themselves fortunate overall. ... Vous écoutez le Libre-Journal de l'Aventure dirigé par Sylvain Tesson. Bienvenue au Libre-Journal de l'Aventure sur Radio Côte d'Oisy. Aujourd'hui nous allons parler de l'Afghanistan. Alors le pays a fait la une de tous les journaux et des médias à la rentrée à l'automne 1996, au moment où les talibans sont rentrés dans le Kaboul. On a vu des tas d'images très spectaculaires de ces jeunes étudiants islamiques déferlés depuis le sud de l'Afghanistan vers le nord, prendre la ville et apposer une charia implacable au pays. Mais ça c'est un peu le côté spectaculaire de l'actualité en Afghanistan. On a un peu oublié derrière ces images qui accrochaient, on a oublié que le pays est en guerre maintenant depuis près de 20 ans et que le pays est véritablement à feu et à sang. Et on a oublié aussi que la France a joué un rôle privilégié dans ce conflit, dans cette histoire de l'Afghanistan depuis 1979 sur plusieurs plans. D'abord sur le plan de la résistance, de la résistance des moudjahidines afghans, puisqu'on n'oublie pas que Jean-François Degnaud a été l'un des coordonnateurs d'un certain nombre de mouvements de résistance. Il y a eu beaucoup de volontaires français qui sont allés se battre aux côtés des moudjahidines contre l'invasion soviétique. Et sur un autre plan qui est le plan de l'action humanitaire. Alors c'est de tout cela que l'on va parler aujourd'hui avec nos invités. Nous recevons Alain Boinet qui est le directeur de Solidarité. Nous recevons Éric Girard. Il est photographe spécialisé dans la photographie de conflits, de guérillins. Et donc tous les deux vont nous parler d'abord de leur engagement personnel en Afghanistan et de leurs fonctions, de leurs métiers exercés dans une atmosphère, dans un climat de guerre. Alors Alain Boinet, bonjour, merci d'être ici. Bonjour. Et tout d'abord, je voudrais vous demander ce qui vous a poussé vers l'Afghanistan. Comment avez-vous rencontré le pays ? Qu'est-ce qui vous a amené dans ces frontières ? Écoutez, là on remonte à décembre 1980. Et comme vous le rappeliez tout à l'heure, l'Afghanistan a été envahi à partir de la fin décembre 1979. Et à la fin de l'année 1980, en fait, nous nous retrouvons avec quelques amis. Et nous avions le projet de partir en Ouganda, puisque une association humanitaire recrutait des volontaires pour partir dans ce pays. Et puis finalement, dans notre petit groupe, deux seulement sont partis. Et les autres se sont posé la question de savoir s'ils allaient se disperser ou faire quelque chose ensemble. Et c'est à ce moment donc que Patrice Francheschi, qui est un ami rentré d'Afghanistan, il venait de passer plusieurs mois comme journaliste. Et nous avons donc fait le projet de nous rendre en Afghanistan pour apporter une aide humanitaire à la population afghane. Un an après que les Russes... Donc en 1980, près d'un an après le début de l'invasion soviétique. C'est ça. Environ un an après l'invasion de l'Afghanistan. C'était en septembre. Il nous a fallu quelques mois pour réunir... En fait, nous n'avions rien entre les mains. Donc il a fallu trouver des billets d'avion, des médicaments, de l'argent. Cela nous a demandé environ trois mois. Et puis nous sommes partis vers la fin décembre pour l'Afghanistan. Donc ça, c'était la première expérience d'Afghanistan. Et ce qu'on appelle les caravanes de l'espoir. Alors en fait, on réalise donc une première caravane de l'espoir en Afghanistan. Enfin à l'époque, elle ne portait pas ce nom-là. Enfin la première fois en tout cas. Et donc on a été confrontés... Alors nous sommes arrivés au Pakistan. De là, on a pris des contacts. Et puis on est partis en Afghanistan. On a passé d'ailleurs le premier de l'an sur le sommet d'une montagne dans la neige. On a eu énormément de difficultés parce qu'en fait, après qu'on ait pénétré clandestinement venant du Pakistan et rentrant en Afghanistan, il y a eu de très très gros chutes de neige. Nous avions des cols à passer qui étaient à plus de 3000 mètres. On était avec une caravane de chevaux. Les chevaux étaient embourbés dans la neige jusqu'au poitrail. Enfin bon, on a eu beaucoup de problèmes lors de cette première opération. Et puis c'est au retour de cette première mission qu'on a décidé de continuer. Et c'est la situation que nous avions découverte sur place qui nous amenait à nous décider de continuer. Alors qu'avant de partir, nous n'avions pas fait le choix de poursuivre par d'autres actions humanitaires. Et je dirais qu'aujourd'hui, au fond, ça fait 17 ans pratiquement que nous agissons en Afghanistan de manière ininterrompue. C'est à dire qu'une première opération presque fortuite a finalement conduit à vivre une succession après d'opérations et à vous installer véritablement avec des institutions donc en Afghanistan. Alors revenons à cette première expédition, cette première opération en Afghanistan. Vous avez pris donc la route du Sud. Vous veniez du Pakistan. Vous êtes passé par la route de Peshawar et la Khyber Pass. Quelle était la route que vous avez empruntée pour cette première opération ? Alors effectivement, nous avons rejoint Peshawar qui est une grande ville au nord de l'Afghanistan dans ce qu'on appelle la zone tribale. C'est la province du Nord-Ouest et qui a été la province qui a accueilli tous les réfugiés afghans après l'invasion soviétique et dans les années qui ont suivi. Et c'était aussi bien sûr la capitale de la résistance afghane pendant toute la durée de la guerre. Donc c'est à partir de Peshawar que nous avons franchi la frontière en direction d'une province du centre qui s'appelle le Wardak qui est une province des régions sud de l'Afghanistan mais qui se trouve au sud central de l'Afghanistan. Nous sommes passés par une ville frontalière qui s'appelle Miram Shah. Et j'ai le souvenir d'ailleurs que, évidemment c'est un passage clandestin parce que vous imaginez bien avec la guerre en Afghanistan, la présence des troupes soviétiques, on n'allait pas demander de visa puisqu'on allait aider les populations qui étaient dans des zones contrôlées par la résistance afghane. Donc nous pénétrions clandestinement sans l'accord naturellement ni l'autorisation des Pakistanais. Donc il fallait franchir toute la zone tribale qui est une zone interdite aux étrangers. Il fallait la franchir clandestinement. Déguisée ? Déguisée. Et j'ai le souvenir d'ailleurs, quand nous sommes partis en voiture, nous étions 5. Puisque tout en réalisant une caravane, on a réalisé un film pour TF1, pour une émission de TF1, qui s'appelait d'ailleurs Caravane pour l'Afghanistan. Un film de 24 minutes en 16 millimètres. Et donc dans la voiture, ceux qui ressemblaient le plus aux Afghans, qui s'étaient laissés pousser la barbe, sont passés habillés comme des Afghans. Avec leur turban, avec le shawarkami. Et puis un autre de nos amis qui lui était très très blond, alors on lui avait volé la tête dans une bande velpo, et on lui avait mis du mercurochrome sur l'œil, pour que les gens pensent que c'est un blessé de guerre qui rentrait dans son pays. Et nous, nous avons été deux à passer en tchadri, donc déguisé en femme afghane, si je puis dire, dans la voiture, qui nous a permis de passer tous les checkpoints de l'armée pakistanaise sans être ennuyé. Et alors de l'autre côté, vous rejoignez donc la frontière afghane, vous rentrez en Afghanistan, et là vous n'avez pas été inquiété par les troupes soviétiques ? Alors, cette question c'est celle de toutes les missions que nous avons menées en Afghanistan, et que d'autres associations humanitaires, ou que d'autres associations humanisées ont été confrontées. Bon, le principe de ces missions d'aide humanitaire, c'était bien sûr... Il n'y avait pas de... La première chose, c'est qu'on ne pouvait pas pénétrer dans ce pays pour aider la population autrement que clandestinement, et deuxième point, on ne pouvait pas y pénétrer naturellement sans partir avec des afghans de la région, originaires de la région où nous voulions nous rendre, et qui étaient en fait toujours des gens de la résistance afghane. Enfin, il faut dire, quand on parle de la résistance afghane, il faut imaginer que 80% voire plus de l'Afghanistan ont toujours été sous contrôle de la résistance, mais la résistance, c'était la population habitant dans ces régions. On traversait des villages qui étaient tous tirés dans la résistance afghane. Ce n'était pas d'un côté des combattants, puis de l'autre côté des populations civiles. Les gens qui faisaient la guerre, ils vivaient avec leurs familles, leurs femmes, leurs enfants, leurs voisins, leurs parents, leurs cousins... Allant faire le coup de poing, rentrant chez eux... Exactement, donc c'était une résistance de cette nature. Et donc, nous, nous devions rejoindre telle ou telle région que nous avions prévu d'aider. Alors ce qu'il fallait, c'était éviter évidemment tous les pièges, donc éviter les grandes villes qui étaient tenues par les soviétiques, éviter les routes qu'ils utilisaient, éviter éventuellement les régions minées, éviter aussi les offensives, parce qu'il y avait parfois des offensives qui n'étaient pas annoncées à l'avance, on risquait de tomber dedans, et ça s'est produit, puis voire aussi éviter de se retrouver dans une embuscade tendue par des commandos soviétiques. Et là, on a eu un certain nombre, en l'espace de... Pendant toute la guerre, puisque les soviétiques sont intervenus le 27 décembre 1979, ils sont partis le 15 février 1989, donc ça a duré dix ans. Pendant ces dix ans, on a été constamment confrontés à ce problème, et on a eu à la fois, je dirais, beaucoup de chance, globalement, même si, malheureusement, il faut le dire, on a perdu plusieurs amis qui ont été tués dans ces missions. Nous, nous avons eu, dans notre association, deux membres de l'association qui ont été tués, et on se souvient, donc, que d'autres Français, notamment, ont été arrêtés par les troupes soviétiques. Je pense au docteur Philippe Augoyard, je pense à Alain Guyot, enfin, à l'époque, ça a défrayé la chronique. Bien sûr. Et alors, quelle était la relation, justement, des populations afghanes dans les régions que vous traversiez ? Parce que, ce qu'il faut dire, c'est que l'Afghanistan vit un peu sous le problème du déchirement ethnique, et c'est même un euphémisme. En fait, le pays est réparti en grandes zones ethniques et religieuses. Alors, vous allez me corriger, c'est les Pashtuns au sud, ce sont les Tajiks au nord. En gros, le pays vit sur cette fracture, sur cette opposition nord-sud, avec quelques chiites au centre, mais qui ne pèsent pas beaucoup. Alors, quand on traverse une région et une ethnie pour aller en aider une autre, quelles sont les relations, justement, de ces gens qui vous voient passer, qui vivent la guerre, qui peuvent éventuellement vous aider ? Alors, est-ce qu'ils vous mettent des bâtons dans les roues ? Est-ce qu'au contraire, ils vous aident à passer, même si c'est pour aller aider des gens qui ne correspondent pas, qui n'appartiennent pas à leur propre ethnie ? Et ça, c'est valable. Je vous pose la question pour les premiers caravanes d'espoir, mais c'est valable ensuite pour toutes les autres opérations conduites par solidarité. Alors, effectivement, la Waganistan, c'est une mosaïque d'ethnies, et c'est aussi un pays au carrefour de l'Asie centrale. Donc, c'est un pays important de ce point de vue-là, parce qu'il a toujours été... C'est un carrefour, donc c'est vrai que sur le plan géopolitique, c'est pas sans importance. Et on se souvient, donc, à l'époque de l'Empire russe et de l'Empire des Indes, l'Empire britannique, il y a eu toute cette époque qu'on appelait le Grand Jeu, précisément, et où l'Afghanistan était un état très convoité qui, de fait, est devenu un état tampon entre l'Empire russe et l'Empire britannique, pour éviter la confrontation entre les deux empires. Et aujourd'hui, d'ailleurs, on en parlera peut-être plus tard, le problème se repose un peu dans ces termes, d'état tampon, d'état carrefour, à la jonction de beaucoup de convoitis, d'intérêts divergents, voire opposés. Donc, mosaïque ethnique, alors, effectivement, au sud, les Pashtuns, qui sont, disons, les plus nombreux, qui ont toujours eu le pouvoir à Kaboul, y compris, d'ailleurs, du temps des communistes, qui étaient majoritairement des Pashtuns. Au nord, et puis au nord, donc, les Tajiks, mais aussi des Ouzbeks, des Turkmens. Et puis, au centre, donc, les Hazaras, donc les Pashtuns doivent représenter à peu près la moitié de la population, les Hazaras, 15%. Alors, évidemment, il n'y a pas eu de, comment dirais-je, sur le plan démographique, des tensions d'enquête, et tout ça est assez approximatif. Il doit y avoir à peu près 8 ou 9% d'Ouzbeks et de Turkmens, et puis moins de 30% de Tajiks. Maintenant, ce qui est vrai, c'est que, et alors, ce qu'il faut dire, c'est que vous avez des Pashtuns, bien sûr, en Afghanistan, mais aussi au Pakistan. Vous avez des Tajiks, bien sûr, en Afghanistan, mais aussi au Tadjikistan, qui étaient, c'est les anciennes républiques musulmanes de l'ex-URSS. Vous avez des Turkmens et des Ouzbeks des deux côtés de la frontière, donc à la fois en Afghanistan, mais aussi maintenant au Turkmenistan et en Ouzbékistan. Et puis, vous avez les Hazaras, qui ne vivent qu'en Afghanistan, mais qui sont les seuls chiites, les seuls chiites, musulmans chiites, dirons-nous, en Afghanistan, puisque les autres sont des musulmans sunnites. Soutenus par l'Iran, alors, ceux-là ? Alors, oui, qui ont des liens, pour des raisons religieuses évidentes, avec l'Iran, mais qui pèsent, ce qu'ils représentent, je dirais, démographiquement, c'est-à-dire 15% de la population, qui est une population assez pauvre, d'ailleurs. Mais alors, ce qui est très étonnant, c'est que de part et d'autre de la frontière afghane, on a des populations, ou des Tajiks, des Ouzbeks, des populations qui appartiennent à la même ethnie, qui étaient séparées au moment où les Anglais ont tracé la frontière, de façon, sans doute, un peu arbitraire, à la fin du XIXe siècle. Alors, effectivement, c'est ce qu'on appelle la ligne Mortimer-Durand, qui a été tracée par les Anglais. Alors, en fait, toutes ces ethnies... En fait, il y a très peu de mélange inter-ethnique en Afghanistan. Alors, ça s'explique parce que c'est un pays de montagne. Le massif de l'Indoukouj, qui est la poursuite de la chaîne himalayenne, coupe le pays en deux. Et donc, les sommets les plus élevés sont quand même à 6-7 000 mètres. Donc, les passes à 5 000. Donc, les passes, l'école à 5 000, 4 000, 4 000 mètres. Et donc, c'est un pays assez cloisonné, en vallée. Et au fond, comme la majorité de la population est rurale, les gens ont toujours vécu dans leur vallée. Et donc, il y a eu assez peu de mélange. Sauf peut-être à Kaboul, qui est la capitale et qui est un endroit où tout le monde se retrouve. A Maïdan aussi. Pardon ? A Maïdan aussi. A Maïdan aussi. Alors, Maïdan, c'est un cas particulier. C'est une grande vallée qui est à l'ouest de Kaboul. Et alors, en fait, on y retrouve à la fois des Pashtuns, mais aussi des Hazaras, parce qu'on est pratiquement à la limite du Hazarajat, mais aussi des Tajiks. Et en fait, ces populations vivent... On retrouve, par exemple, ces trois ethnies dans cette vallée de Maïdan, qui fèvent environ 50 kilomètres de long, mais ils ne vivent pas mélangés. Ce sont des villages. Ce sont des villages Pashtuns, des villages Hazaras, des villages Tajiks, qui cohabitent les uns avec les autres, mais qui vivent... Chaque village est habité par une ethnie précise. Ce qu'il faut dire peut-être, si vous voulez, pour répondre plus complètement à votre question, c'est que les Afghans sont à la fois des gens très indépendants, ils l'ont prouvé dans leur histoire, mais aussi très hospitaliers. Ce sont des gens qui pratiquent l'hospitalité habituelle, des régions rurales. Je pense que l'islam n'y est pas non plus pour rien. Donc à la fois des gens très rudes et très indépendants, mais aussi des gens très hospitaliers avec ceux qui ne les menacent pas ou qui viennent en amie. Ah oui. Ce qui veut dire que, finalement, la Macédoine, la mosaïque de peuples et d'ethnies très diverses, ne constitue pas un problème quand on vient apporter une aide humanitaire, ne constitue pas un problème d'un vu rouge. Ces différences d'ethnies peuvent, et d'ailleurs débouchent sur des rivalités qui pourraient conduire à vouloir bloquer un convoi qui va d'un endroit à un autre. C'est ça, en fait, la question. Est-ce que vous avez ressenti, en tant que chef d'action d'opération humanitaire, est-ce que vous avez senti cette opposition ethnique et cette diversité ? Écoutez, bon, il est vrai que... Est-ce que vous en avez pas dit ? Il est vrai que nous avons eu des problèmes lors de ces missions. Quand nous allions dans telle région avec tel groupe d'Afghans affiliés à la résistance de telle partie et de telle ethnie, bon, sur la route, on pouvait avoir des problèmes avec d'autres parties, d'autres ethnies. Encore que, bon, mais ça n'a jamais été des problèmes majeurs. Pourquoi ? Parce que je crois que ce qui caractérise les Afghans, sans doute, c'est que face à un ennemi commun, ils sont tous unis. Et là, il y avait un ennemi extérieur, donc, qui avait pénétré dans leur pays. Les Afghans n'ont jamais demandé, sauf le parti communiste afghan, mais les Afghans, dans leur immense majorité, n'avaient jamais demandé aux Soviétiques de venir. Les Soviétiques étaient considérés comme des envahisseurs, des ennemis. Et donc, les Afghans se sont tous liés, au-delà de leur différence, contre la menace principale. En plus, non seulement c'était des étrangers qui les envahissaient, enfin, bon, c'était une armée qui les envahissait, mais en plus de ça, c'est une armée porteuse d'une idéologie, je dirais, qui combattait à la fois, bon, la liberté et l'indépendance des Afghans, mais aussi leur foi. Et pour les Afghans, les Soviétiques, c'était des sans-dieux. Et pour être encore plus précis, si vous voulez, pour comprendre un peu la psychologie des Afghans, les Afghans sont musulmans à 99,99% de la population, donc leur monde, c'est un monde religieux. Et ils n'imaginent pas un monde qui n'est pas religieux. Ce qui veut dire que, eux, considéraient que les Russes, les Soviétiques, étaient des sans-dieux, ça voulait dire que c'était quasiment des animaux, quoi. Parce que quelqu'un qui ne croit pas en Dieu, c'est pas un homme. Donc, c'est dire, si vous voulez, la manière dont ils voyaient les Soviétiques. Et aujourd'hui, bien sûr, la situation a tout à fait changé, parce qu'il n'y a plus d'envahisseurs extérieurs, ils doivent régler leurs problèmes entre eux. Et là, en revanche, la division, elle existe, comme on le sait, quoi, elle existe bel et bien. Et alors, pour vous, chrétien, il y avait un plus grand respect parce que vous étiez en religion du livre ? Alors, ils nous posaient toujours la question, quoi. Ils finissaient par nous poser la question de savoir qui nous étions, si on était chrétien, etc. Et en fait, on n'a jamais senti en général, sauf dans certains cas particuliers, parce qu'il y a aussi des extrémistes musulmans en Afghanistan. Mais en général, d'abord, l'hospitalité fait qu'on reçoit bien ses hôtes, surtout quand ils viennent vous apporter une aide humanitaire dans une guerre où vous êtes quand même très seul. Donc, on respecte les gens qui viennent vous aider. Mais en fait, ils nous posaient beaucoup de questions et c'est vrai qu'il y a beaucoup de proximité. Enfin, je veux dire que la personne de Jésus et la personne de Marie, pour les musulmans, c'est des personnages connus et respectés, même si eux se sentent probablement supérieurs, je dirais, considérant que l'islam, c'est ce qu'il y a de mieux. Et j'ai le souvenir d'une discussion assez homérique, assez incroyable, avec des Afghans une nuit dans une maison dans la montagne. Et un Afghan me dit, mais combien il y a-t-il d'habitants dans ton pays ? Alors, je lui réponds, environ 55 millions. Et après, il me dit, mais il y a combien de musulmans en France ? Alors, je lui dis, 2 millions. Grande surprise de sa part, il me dit, mais les autres, qu'est-ce qu'ils sont ? Alors, je lui réponds, pour simplifier, ils sont chrétiens. En tout cas, de mon chrétien ou de... Oui, de culture, de vieilles... Jusqu'aux chrétiennes. Et là, c'est un peu réfléchi, il me dit, il n'y a pas de doute, quand même, dans ce monde. Il n'y a que ces chiens de soviétiques qui sont des infidèles. Donc, voilà un peu un témoignage, quoi, pour répondre à la question. Bien. Alors, après, j'ai là un message d'un auditeur. Alors, une auditrice vous rend hommage pour le courage que vous avez eu en Afghanistan. Elle désirait savoir si les tatars sont ethiquement apparentés aux afghans. Les tatars qui sont... Les tatars de Crimée ? Les tatars de Crimée, non, je crois que les tatars sont plutôt des kurs qui sont venus... Ils ont traversé la mer Noire au moment où l'Empire Ottoman est à son apogée. Et ils ont envahi la Crimée, mais je ne pense pas qu'ils aient été vers l'Orient, vers l'Est. Parce que l'invasion ottomane, elle se faisait plutôt vers l'Occident. Il y a eu quelques ramifications... Autour du bassin méditerranéen, bien sûr. Un peu autour de la mer Noire. Mais il me semble que ce sont des turcs. Oui, alors, on pourrait les... Alors, il n'y a pas de tatars, d'abord, en Afghanistan. Et puis, effectivement, il y a des populations, disons turcophones, des anciennes républiques d'Asie centrale soviétique, qui maintenant sont des pays indépendants. Je pense au Turkménistan. Les turkmènes sont des populations d'origine, disons turcophones, qui les rapprochent. Tu peux les rapprocher, de ce point de vue-là, des tatars de Crimée. Mais il n'y a pas de relation, effectivement, en Afghanistan avec les tatars de Crimée. Alors, maintenant que vous nous avez parlé de ces premières expériences en Afghanistan, donc dans les années 80, ces premières caravanes, comment s'est fait le passage de ces, disons, on dirait, ces balbutiements d'aide humanitaire apportés là-bas, donc le passage des caravanes à Solidarité ? En fait, pour être précis, lorsque nous sommes partis la première fois, donc en décembre 1980, nous disposions d'un budget d'environ 50 000 francs français, avec lesquels nous avons acheté notamment des couvertures, des vêtements chauds, et que nous avons chargé sur des chevaux en direction de cette province du centre de l'Afghanistan, le Wardak. Et puis, on a développé une action en France pour collecter des fonds et pour accroître cette action. Et j'ai calculé qu'au fond, entre 1980 et 1988, en 8 ans, on a réalisé environ 50 missions. Donc une mission, c'était le plus souvent deux volontaires qui partaient un mois, deux mois, trois mois. Pour vous donner une idée, quand même, quand on partait du Pakistan et que l'on faisait une mission, par exemple, au nord de l'Afghanistan, le long de la frontière soviétique de l'époque, ça représentait un mois de marche à pied. C'est-à-dire qu'il fallait un mois pour arriver là-haut, si je puis dire. Parce qu'on avait tant de pays à traverser et tout ça se faisait à pied avec des chevaux. Et alors, à quoi correspondait la mission ? On apportait des biens ? On apportait des vivres ? Alors, en fait, il y a eu, si vous voulez, principalement deux types de missions. Les missions médicales, du type médecin sans frontières, médecin du monde, aide médicale internationale. Donc là, c'est une petite équipe, médecins, infirmiers, hommes et femmes, qui partent, comme nous le faisions, au caravane, mais qui s'installent quelque part dans une province, qui installent une sorte de petit hôpital de campagne, et qui soignent à la fois des blessés, mais aussi tout simplement des gens malades. Et puis, les caravanes que nous avons organisées. Et là, au début, nous nous avons pensé qu'on pourrait faire des caravanes transportant, par exemple, du blé, des produits alimentaires, de la graisse de vache, des choses comme ça. Et puis, très vite, on s'est rendu compte que ça n'était pas possible pour deux raisons. La première, c'est qu'il aurait fallu qu'on loue des chevaux, des dromadaires, pour transporter ces produits depuis Pakistan. Or, l'allocation coûtait très cher. Et puis, ça aurait fait des caravanes étendues sur des centimètres. Et la deuxième raison, c'est qu'en fait, il aurait fallu louer 100, 200 ou 300 chevaux à chaque fois, avec pas mal d'hommes, quand même, pour les diriger. Et donc, c'était, en termes de sécurité, extrêmement dangereux. Si une caravane est tendue, ça peut être invulnérable. Une caravane de bras, d'hélicoptères ou de MIG, ou de Sukhoi, vous imaginez à peu près, même dans la montagne, ça se voit. Une caravane de 200 ou 300 chevaux dans une montagne, ça se voit. Un pompier tendu. Donc, c'était quand même très dangereux, puis c'était très coûteux. Donc, au fond, très vite, nous, nous avons mené des missions qu'on appelait, disons, du cash for food, pour parler franglais. Ce qui consistait à se rendre dans une région qui avait été touchée, par exemple, par une offensive soviétique. Et là, imaginons une vallée, des villages, touchés par une offensive dans les mois précédents. Et là, nous allions, donc, de village en village, avec les représentants de la population locale, qui pouvaient être le Malek, l'équivalent du maire, le Mola, le commandant, le chef du comité, le RAN, le propriétaire plus important des environs, etc. Disons, les autorités traditionnelles et localisantes, les notables, mais très participant totalement, je dirais, à la vie de la population. Et sans qu'on puisse partir vraiment les remarquer les autres, en termes vestimentaires. Et donc, tout ça, ça se faisait dans les, je veux dire, on se réunissait la plupart du temps, ou dans les mosquées, ou sur la place du village. Et là, la population du village était invitée. Et chacun, les questions étaient posées à chacun, chaque chef de famille, en disant, ben, qu'est-ce qui est arrivé pendant cette offensive ? Alors, bon, l'un avait sa maison détruite, l'autre avait perdu un enfant, etc., etc. L'autre n'avait rien eu particulier, mais la guerre, je veux dire, avait des conséquences sur la vie économique, la vie sociale, la vie des familles. Et donc, on distribuait des petites sommes d'argent, disons, de 300 à 500 francs, en moyenne, ou 800, 500, 600 francs, selon les besoins des uns et des autres. Le tout se faisant en public, et on établissait des listes. Alors, on disait, bon, un tel, qui es-tu, tu es le fils d'un tel, enfin, parce que les gens se connaissent comme ça, ils n'ont pas de nom de famille. On est le fils de quelqu'un. Donc, on dressait des listes, et puis, les gens signaient au fur et à mesure de l'argent qu'ils recevaient. Et on faisait village par village, toute la vallée, de cette façon-là. Donc, au fond, on partait avec des sacs marins remplis d'argent. Au début, on avait très peu d'argent. A la fin, on a commencé, donc, avec 50 000 francs. Mais, en général, dans les années 86, 87, 88, quand on partait en mission, on avait un million de francs français, l'équivalent d'un million de francs français, deux millions de francs français, dans les sacs marins, sur les chevaux. Et là, donc, on pouvait distribuer pas mal d'argent. Si vous faites une division, un million de francs divisé par 400 francs, 300, 500 francs, vous voyez le nombre de familles que ça permet d'aider. Et vous aviez une sécurité ? Comment est-ce que vous assuriez votre sécurité pour aller convoyer des masses d'argent, pareil, dans une zone totalement prise par la guerre ? Alors, en fait, on partait toujours avec des combattants qui étaient sous l'autorité d'un commandant important. Mais qui étaient des Afghans ? Qui étaient des Afghans, des Moudjahidines. Et qui étaient volontaires ? Ah oui, de toute manière, eux, ils étaient venus au Pakistan pour des raisons diverses. Ils repartaient dans leur région. C'était une forme de résistance pour eux ? Ah ben, de toute manière, eux, il fallait qu'ils rentrent chez eux. Donc, vous savez, on est arrivés au Pakistan, on prenait contact avec, par exemple, Amin Ouardak, qui nous disait, ben voilà, dans une semaine, j'ai une quinzaine d'hommes qui repartent dans la province. Vous allez partir avec eux. Il n'est pas responsable. Et surtout, ce qui était très important, c'est qu'on était sous sa responsabilité. C'est-à-dire qu'il était chargé d'assurer notre sécurité. Et en Afghanistan, c'est très important, parce que si d'autres Afghans s'étaient attaqués à nous, en fait, ils s'attaquaient à lui. Si vous voulez, dans le mode de vie afghan, quand vous êtes reçu chez quelqu'un, les personnes qui vous reçoivent doivent assurer votre protection, y compris au péril de leur vie. C'est-à-dire que si on vous attaque, on s'attaque à eux. Et donc, leur réputation, leur honneur était en cause, quoi. Oui, c'est l'hospitalité à l'antique. Et donc, vous aviez une sécurité qui était assurée par ces gens-là, et les populations locales qui vous aidaient également. Tout à fait. Alors ensuite, racontez-nous solidarité, racontez-nous la création, la naissance de l'association. En fait, on a mené cette action, les caravanes de l'espoir, pendant longtemps, dans le cadre, d'ailleurs, d'une association qui s'appelle la Guilde Européenne du Raid. Et puis, en 1987, donc, on a créé Solidarité Afghanistan. Qui n'avait plus rien à voir avec la Guilde. Qui n'avait plus rien à voir au sens juridique du terme. Oui, administratif. Parce qu'en fait, il fallait une structure vraiment adaptée pour mener ce type d'action, quoi, spécifiquement. Et puis ensuite, on a créé Solidarité Mission Liban. Ensuite, on a créé Solidarité Roumanie. Et puis, en août 1991, on a décidé de regrouper ces associations d'une seule, qui s'appelle Solidarité avec un S. Mais la première qui est née était à destination de l'Afghanistan. Absolument. Donc, la solidarité est née de l'Afghanistan. C'est ça, c'est ce que nous, nous appelons la mission fondatrice, qui est très importante, comme toute fondation. Et c'était en quelle année, la création de Solidarité Afghanistan ? On a commencé, donc, cette action humanitaire en 1980. Et puis, on a créé Solidarité Afghanistan en 1987, le 27 décembre, d'ailleurs, pour fêter le 8e anniversaire de l'invasion soviétique. Et puis, on a créé Solidarité, donc, le 29 août 1991, il y a maintenant 6 ans. Qui regroupe, donc, toutes les... Qui regroupe. Alors, maintenant, c'est une seule et même association qui développe des programmes d'aide humanitaire permanents, en Afghanistan toujours, bien sûr, mais aussi en Roumanie, en Bosnie, au Rwanda, au Burundi et à l'avenir dans d'autres pays. Alors, comment est-ce que l'association fonctionne aujourd'hui ? Eh bien, aujourd'hui, donc, au moment même où nous parlons, nous avons, donc, des volontaires dans les 5 pays que je viens d'énumérer, qui mènent, donc, des programmes humanitaires au quotidien. Donc, ça représente une quarantaine de volontaires qui sont partis des bureaux de l'association à Paris, qui eux-mêmes, donc, travaillent avec des cadres locaux qui peuvent être des ingénieurs agronomes, des ingénieurs d'unité civile, des nutritionnistes. Donc, une centaine sur ces 5 missions. Et puis, il y a aussi, bien sûr, disons, des personnes qui travaillent sur les programmes, les assomptes chauffeurs, les autres font du terrassement, et ça représente à peu près un millier de personnes. À Paris, nous avons des bureaux, bien sûr, et nous sommes une dizaine de permanents. On a toujours un centre de stagiaires. Et puis, à la fois, nous collectons des fonds pour mener à bien ces missions auprès du public en France. Nous avons des partenariats avec les institutions internationales, enfin, que ce soit le gouvernement français, la communauté européenne, les Nations Unies. Et puis, nous organisons cette action pour mener des programmes. Ça peut être un programme de transport avec des camions-vendas. Ça peut être un programme de transport d'aides alimentaires, de colis, par exemple, comme nous le faisons en Bosnie pour ce qu'on appelle les cas sociaux. Donc, les gens qui sont dans les situations les plus difficiles. Ça peut être distribuer les produits pour les bien-nécessités. Quand on est un réfugié, par exemple, aujourd'hui, dans les Kivu, au Burundi, et qu'on est en saison des pluies, ce qu'il faut, c'est donner aux gens des bâches plastiques. Il faut leur donner un géricane pour qu'ils puissent avoir de l'eau potable. À chaque fois, des réponses ponctuelles et adaptées. Pour ce qui est de l'Afghanistan, combien y a-t-il de volontaires qui travaillent sur les missions en Afghanistan ? Ecoutez, la mission Afghanistan s'est beaucoup développée ces dernières années. En fait, on a deux implantations. Nous sommes présents à Kaboul, donc la capitale. Et nous sommes présents à Maïdan, qui est une grande vallée à l'ouest de Kaboul, à 50 km. Et nous aurons bientôt 17 volontaires, donc 17 volontaires français, entre Kaboul, Maïdan et Peshawar, au Pakistan. Et puis, nous avons des équipes d'ingénieurs afghans, et puis aussi des gens qui, tous les jours, travaillent sur des programmes d'assainissement, d'adduction d'eau, de creusement de pluies. L'agriculture aussi. Vous avez des programmes à long terme d'agriculture, est-ce que j'ai compris ? À Kaboul et à Maïdan. Tout à fait, tout à fait. À Maïdan, effectivement, nous avons un programme agricole, depuis plusieurs années. Donc, nous avons un ingénieur agronome français, avec une équipe de 7 ingénieurs agronomes afghans, ou techniciens agricoles. Et on travaille sur cette vallée de 50 km, dans différents domaines, arbres fruitiers, ruches, pisciculture, engrais, etc., etc. Ce sont quand même des programmes plus difficiles à tenir, parce que ce sont des programmes à long terme, au niveau agricole, qui ne sont pas toujours évidents. En fait, si vous voulez, la spécificité de Solidarité, dans le domaine de l'aide humanitaire d'urgence, c'est de commencer dans l'urgence, notamment dans les situations de guerre, et puis d'évoluer quand c'est possible, ou parce que la paix revient, ou parce que la situation se calme, en tout cas momentanément, par des programmes de réhabilitation. Donc, c'est réhabiliter ce qui a été détruit ou non entretenu. Donc, à Maïdan, par exemple, effectivement, on a un programme agricole, et là, ça se fait avec des ingénieurs agronomes, donc c'est très technique. Mais on est dans un contexte de guerre, si vous voulez. Tout environnement est un contexte de guerre et de conflit. Quand les Russes sont partis, en fait, la résistance et la guerre civile est tombée sur l'Afghanistan, et les différents mouvements de résistance se sont mis à se battre entre eux. Donc, en fait, quand Solidarité a continué à envoyer des missions après le départ des Soviétiques, le contexte était effectivement toujours un contexte de guerre comme celui qui avait connu les caravanes dans les années 80. Justement, j'ai là un article qui est paru dans Agriculture Magazine en juin 1996, où on entend le témoignage d'un de vos volontaires qui s'appelle Nicolas Rivière, qui vient d'ailleurs de l'ISA de Beauvais, qui était formé par Philippe Gouault, que vous connaissez peut-être, qui a contribué à monter ces réseaux d'échange entre l'ISA et différentes missions humanitaires. Alors, lui raconte son expérience en Afghanistan. Je vais lire son témoignage, juillet 1995. Alors, voilà ce qu'il dit. La vie en Afghanistan ne manque pas de risques. On est obligé de traverser chaque semaine la ligne de front pour aller à Kaboul, au siège de Solidarité, avec le risque de recevoir un obus ou une requête. Le drapeau sur la voiture nous protège d'une certaine façon, mais la traversée dangereuse dure une demi-heure. Nous travaillons au territoire Taleb, les étudiants religieux. Ils comprennent bien nos activités. Le problème, c'est qu'ils veulent utiliser notre aide pour des couvertures ou de la nourriture. Ce n'est pas acceptable pour nous et principalement parce qu'on ne veut pas intervenir dans le conflit. L'ensemble des ONG sur place essaie de faire un front commun du refus. Voilà justement la question à laquelle je veux arriver. Les talibans ont pris la ville de Kaboul à l'automne 1996, en septembre, mais ils avaient déjà commencé à leur avancer depuis 1994. Comment est-ce que vous, en tant que responsable d'une action humanitaire, vous réussissez à continuer votre travail de soutien et d'aide apportée aux populations en essayant de rester en dehors du conflit ? Est-ce que l'arrivée des talibans a changé quelque chose dans vos modes de fonctionnement et de travail ? Même si on a beaucoup glosé et conspué l'arrivée des talibans en Europe, en ne s'attachant qu'au côté un peu extrémiste de l'islamisme, on a un peu oublié que la sécurité est revenu dans une certaine partie des villes d'Afghanistan grâce à eux. Donc voilà mes deux questions. Comment faites-vous pour échapper à l'embroglio du conflit et qu'est-ce que l'arrivée des talibans a changé pour solidarité ? A nous, notre attitude et le discours qu'on tient aux afghans, quels qu'ils soient, c'est de dire que nous apportons une aide à la population afghane, sans distinction, là où nous sommes. Nous ne voulons pas nous ingérer dans les affaires politiques afghanes parce que nous ne sommes pas afghans. Donc ne nous demandez pas de prendre parti pour les uns ou pour les autres. Nous sommes là pour aider la population, quelle que soit la zone dans laquelle elle se trouve et sous quel contrôle politique ou militaire elle se trouve. Vous venez de citer le témoignage de Nicolas Rivière. Effectivement, à Maïdan, jusqu'à une date encore récente, nous travaillions dans une zone contrôlée par les talibans. Et puis à Kaboul, on était, jusqu'à la fin septembre, dans une région contrôlée par le président Rabhani, le général Massoud, enfin disons le djamiat islami plus ses alliés. Et régulièrement, nous allions de Maïdan à Kaboul, si vous voulez, en passant la ligne de front. Personne ne nous a jamais empêché de travailler d'un côté ou de l'autre. Alors ça, c'est ce qu'on essaye de faire respecter. C'est vrai que les talibans ont essayé même, ils voulaient qu'on leur prête, on a des motos pour les techniciens agricoles pour qu'ils sillonnent la vallée. Bon, les talibans voulaient qu'on leur prête les motos. Ah oui, c'est les fameuses BMW de solidarité. Alors oui, l'ingénieur agronome a acheté une BMW qu'il a trouvée là-bas. Mais enfin, non, c'était plutôt des motos russes qu'on trouvait ou des motos japonaises. Et donc, oui, vous connaissez bien, je crois, ou Eric, en tout cas, un spécialiste dans ce domaine. Et donc là, ça a toujours bien marché. Maintenant, pour la deuxième partie de la question, concernant la prise de Kaboul par les talibans, pour l'instant, je dirais que ça n'a pas, pour nous, ça n'a pas changé grand-chose. Il est vrai quand même que les talibans ont pris un certain nombre de mesures quand ils ont pris Kaboul, notamment vis-à-vis des femmes, c'est-à-dire qu'ils ont interdit aux femmes et de travailler et de pouvoir suivre des cours dans les écoles. Même aux femmes occidentales. Alors, ça, c'est d'abord les femmes afghanes. Et c'est vrai que les associations humanitaires qui employaient les femmes afghanes ont été confrontées à ce problème, je pense notamment aux associations médicales. Et ce n'est pas sans importance parce que, si vous voulez, pour soigner notamment des femmes en Afghanistan, il faut être une femme. Un homme, a priori, ne soigne pas une femme. Donc, elle peut être soignée par une femme afghane ou une occidentale, naturellement. Pour les occidentales, il y a eu des problèmes au départ et puis, finalement, ça s'est réglé. C'est-à-dire qu'ils ont fini par accepter et admettre que des femmes occidentales travaillent ici et là. Et c'est vrai que, dans ce domaine, ils sont très stricts. Et pas seulement dans ce domaine, je dirais, sur le plan religieux de manière générale, mais aussi sur le plan vestimentaire. C'est-à-dire qu'ils ont dit maintenant qu'on a pris Kaboul. Donc, tous les Afghans doivent porter la barbe parce que c'est un signe religieux chez eux. Donc, les gens qui étaient un peu occidentalisés ou russifiés, si je puis dire, qui n'avaient pas de barbe, ils ont dû cesser de pousser la barbe. Ils l'auront dit aussi. Mais ce qu'il faut, c'est que vous vous habillez l'Afghane avec le shawarkami. Alors, les gens ont dû mettre le shawarkami, etc., etc. Maintenant, on le disait tout à l'heure, effectivement, la question, c'est jusqu'où cela ira-t-il. Et est-ce qu'il y aura un moment donné où on sera dans une situation de rupture avec eux ? Ce n'est pas le cas pour l'instant. A l'inverse, il est vrai que, dans les régions qu'ils contrôlent, la sécurité est revenue. Je prends l'exemple de Maïdan. Avant l'arrivée des talibans, chaque village avait son barrage. Donc, tous les kilomètres, vous aviez un barrage tenu par des combattants d'un parti différent ou d'une étie différente. Sur 50 kilomètres, ça faisait beaucoup de barrages. Ça y est, 20, 30 barrages ont passé. On perd du temps. Les gens essayent d'obtenir quelque chose. Maintenant, il n'y a plus un seul barrage. Et vous ne voyez plus de gens armés, parce qu'ils ont désarmé tout le monde. Donc, avantage et inconvénient. Maintenant, le problème, c'est combien de temps ça va durer. Vous avez le sud qui est contrôlé par les talibans. Et puis, vous avez le nord qui est contrôlé par les autres. Donc, quel est l'avenir de l'Afghanistan ? Vaste question. On peut peut-être se tourner vers Eric Girard pour essayer de la démêler, cette vaste question. Car Eric Girard vient d'arriver dans le studio il y a 5 minutes. Alors, je rappelle Eric que vous êtes photographe à l'agence Gamma et que vous vous intéressez depuis un certain moment à l'Afghanistan, à d'autres pays, mais en particulier à l'Afghanistan. Alors, dites-nous d'abord comment et pourquoi vous en êtes venu à vous approcher de ce pays ? On a posé tout à l'heure la même question à Alain Boinet. Et vous, quel est votre témoignage personnel ? Comment en êtes-vous venu à l'Afghanistan ? D'une manière un petit peu particulière, c'est que j'ai été amené à rencontrer Rabbani qui était uniquement un chef de partie du Jamiat Islami lors d'un de ses voyages en France. Je crois que c'était peut-être même le premier voyage en France. Et je l'ai rencontré dans un château normand où il était venu pour essayer de rencontrer les responsables de notre pays. Il était venu pour essayer de rencontrer Mitterrand d'une part et d'autre part, Chirac qui était actuellement le premier ministre. Il n'était pas encore président ? Il était en 86. Non, il était juste un chef d'un des nombreux partis de Peshawar, mais quand même un des partis qui semblait déjà un des plus structurés, un des plus importants et un des mieux représentés militairement. Il nous a simplement proposé de venir le voir à Peshawar et qu'il nous faciliterait un passage parmi les gens du Jamiat Islami qui tenaient certaines vallées, certaines positions en Afghanistan. On l'avait vu au printemps 86 et donc mon premier voyage date de septembre 86 où j'ai été à Peshawar puis en Afghanistan à pied. C'est au moment où les combats avec les russes faisaient rage ? Absolument, ce n'était pas spécialement des russes, c'était plutôt des soviétiques à l'époque et l'armée soviétique tenait pas si mal le pays que ça et la résistance avait quand même des assez grosses difficultés à résister. Mais je suis arrivé à un moment un petit peu clé puisque les américains via les pakistanais leur avaient fourni des missiles Stinger qui a permis d'obliger les avions à voler très très haut et obliger les hélicoptères de combat qui étaient absolument redoutables à ralentir leurs ardeurs et surtout à voler également un petit peu plus haut. Donc effectivement on a senti que militairement et je pense qu'Alain qui se promenait assez souvent en Afghanistan à cette époque là a dû sentir cette différence. Alors justement tous les deux vous vous connaissez, vous vous êtes rencontré sur un chemin de ligne de couche ou vous vous connaissiez auparavant à Paris ? Je ne me souviens plus très bien, nos rencontres datent de cette époque là, je ne sais plus très bien où on s'est rencontré pour la première fois mais en tout cas c'est probablement au quartier latin mais effectivement comme nous avions des intérêts communs et une sympathie commune pour l'Afghanistan nous avons commencé à nous voir régulièrement à partir de cette époque là mais je pense que c'était effectivement dans le quartier latin à Paris. Et alors quand on est reporter, photographe et qu'avec ou pas les aides et les contacts qu'on peut obtenir par Rabani, comment fait-on pour pénétrer en Afghanistan et effectuer son travail de reporter ? Alors tout d'abord vous avez raison d'appuyer sur le fait aide ou pas de Rabani, tout ça c'est des paroles, ils sont tout à fait gentils mais il y a une telle désorganisation apparente de ces parties, c'est pas parce qu'on vous a promis quelque chose à Paris que vous retrouverez les contacts à Peshawar et c'est pas pour ça que à Peshawar vous pouvez voir Rabani, c'est pas pour ça que le lendemain on vous organisera quoi que ce soit et tout peut se désorganiser. Et quatre fois dans la journée, se réorganiser aussi rapidement d'ailleurs avec une surprenante efficacité. Et le charme de l'approximation ? Oui mais je dirais très efficace dans un pays où il y avait un désordre maximum, où rien n'était écrit, les liaisons étaient très difficiles, les liaisons radio étaient très locales, c'est-à-dire avec des talkie-walkie d'une vallée à une autre maximum et j'étais quand même très impressionné d'un bon niveau d'efficacité. Je crois que vous ne les avez pas fait tout seul, vous étiez accompagné par un parent ? Absolument, j'étais accompagné ou j'accompagnais un de mes cousins, Renaud Girard qui voyageait et faisait des reportages pour le Figaro. Justement, il est en ligne. Alors bonjour Renaud, nous recevons Alain Boinet et Eric Girard, votre cousin, vous êtes sur Radio Courtoisie. Vous revenez, vous étiez inséré il n'y a pas très longtemps, assez récemment en Afghanistan puisque je crois que vous revenez d'un voyage que vous avez effectué au mois de septembre. J'ai passé effectivement trois semaines à l'automne, septembre, octobre en Afghanistan, ce qui a déclenché mon départ du Figaro pour là-bas, ça a été l'arrivée des talibans à Kaboul, la prise de la capitale par Kaboul. Et donc j'avais Eric avec moi et nous avons traversé le pays par la quai Burpass, on se montrait dans le pays par la quai Burpass et ensuite nous avons été à Kaboul et ensuite nous avons traversé le pays, nous avons été au nord à Mazar-e-Sharif par un avion de la Croix-Rouge. Ensuite nous sommes descendus pour passer une dizaine de jours en compagnie du commandant de Massoud qui combattait donc les hommes avec qui nous avions passé dix jours précédemment et le front était en quarante kilomètres au nord de Kaboul. Mais alors vous étiez de quel côté ? Vous avez d'abord travaillé côté taliban et ensuite vous êtes passé de l'autre côté du front ? C'est vrai qu'un journaliste doit travailler des deux côtés pour recueillir le plus d'informations et ne pas se montrer partisan et bien évidemment un reporter n'a aucune raison de se montrer jamais partisan et donc nous avons enquêté, écrit des reportages sur ce qui se passait à Kaboul, la situation des femmes, la stratégie des talibans. Nous avons été le plus près du front possible avec ces fous de Dieu, ces combattants islamiques. Vous en avez rencontré de ces jeunes minis de 23 ans qui sont déjà à la tête de... Qui sont barbus, chevelus, entourbanés, qui ont un discours assez frustre, qui ont été formés dans les écoles coraniques qui se trouvent à la frontière du Pakistan et de l'Afghanistan, mais qui ont l'air d'être sincèrement convaincus qu'ils ont dû... Comme les autres d'ailleurs. Comme les autres, mais eux, si vous voulez, c'est comme ça qu'ils ont pu... Il y a quand même une certaine sincérité qui n'empêche pas le pragmatisme de la politique, du soutien par les pakistanais, etc. Mais ils ont quand même réussi à conquérir les deux tiers de l'Afghanistan, et ils ont contre eux d'avoir évidemment ramené la capitale afghane au Moyen-Âge. Ils ont simplement pour eux d'être honnêtes, c'est-à-dire de ne pas rançonner les voyageurs au barrage. Ils ne nous ont jamais rançonné, ils ont simplement vérifié que nous n'avions pas de cassette impie, de musique impie. La musique impie, ça peut être l'égyptien, ça peut être Mozart, ça peut être tout ce qui n'est pas du Coran. Mais à part ça, ils n'ont jamais essayé de nous prendre notre argent, ce qui évidemment tranchait beaucoup avec l'Afghanistan. D'après le départ des soviétiques avant l'arrivée des talibans, ils s'appliquent à eux-mêmes à la loi islamique, c'est-à-dire qu'ils sont honnêtes. Et ils traquent les pirates. Ils traquent les pirates, et c'est comme ça d'ailleurs qu'ils ont gagné leur popularité, parce qu'on ne conquiert pas l'Egyptie et l'Afghanistan sans avoir quand même un certain soutien populaire. Ils ont brûlé les champs de pavot. Ça c'est moins sûr, parce qu'ils n'ont pas réussi à s'attaquer directement aux barons de la drogue, à toute la paysannerie qui vit de ça. Mais en revanche, ils ont arrêté le pillage, le raquettage systématique des convois. L'aventure des talibans a commencé par des gros commerçants pakistanais qui se sont plaints auprès de leur gouvernement qu'un gros convoi de vivres avait été pillé et arrêté du côté de Kandahar, justement cette grande ville du sud où vient le mouvement taliban. Et le gouvernement pakistanais a envoyé ses propres troupes, qui ont été une ingérence flagrante, a envoyé ces types, ces étudiants des écoles coraniques, qui avaient été donc formés, c'était des réfugiés afghans qui vivaient au Pakistan à la frontière, et qui ont pris le fusil et ont été battre les raquetteurs et les gangsters, et qui ont rendu leurs camions aux légitimes propriétaires. Et ensuite, ce mouvement s'est étendu jusqu'à conquérir Herat, la grande ville du nord-ouest, puis ensuite Kaboul en septembre 1996. Alors vous êtes passé ensuite, après avoir travaillé et fait vos reportages chez les talibans, vous êtes passé de l'autre côté du front qui était à l'époque à 40 kilomètres de Kaboul au nord, et vous êtes passé de l'autre côté pour rencontrer les armées de Massoud qui s'étaient alliés, de façon peut-être un peu contre nature, à Dostum. D'abord on l'a vu, on l'a rencontré un général de Dostum à Mazar-e-Sharif, ce sont deux villes qui fédéraient l'implantation soviétique dans la steppe. Ça ressemble entre quelques immeubles à la soviétique, quelques souks orientaux, quelques tentes et des bidonvilles de conteneurs. C'est un général de Dostum, qui parlait un russe parfait, il avait été formé dans les académies militaires soviétiques. Dostum était un allié des russes jusqu'au bout, il était un milicien, c'est lui qui contrôlait les Ouzbeks du nord de l'Afghanistan, et il a contrôlé le régime communiste à Kaboul jusqu'au dernier moment, jusqu'à ce qu'il retourne sa veste en 1992, si je me souviens bien, ce qui a permis l'arrivée de Massoud et des autres à Kaboul. Aujourd'hui, il est toujours soutenu par la Russie, c'est normal car il est soutenu par les Ouzbeks russes, qui sont restés communistes, et par la Russie. Dostum, lorsqu'il a vu qu'on pendait Nadjiboullah son procès à Kaboul, a eu très peur et s'est dit, le prochain c'est moi, et il a accepté de s'allier dans une alliance défensive avec Massoud, qui deviendra presque offensive un peu plus tard. Alors ensuite vous avez rencontré Massoud, et ça c'est intéressant dans la mesure où on n'a pas souvent l'occasion de voir beaucoup d'interviews, ni même de photos du commandant, qui reste encore un peu une figure mystérieuse, un héros pour les Afghans et aussi pour les Occidentaux, mais qui reste nimbé d'un certain mystère, on ne voit pas souvent d'interview de Massoud. Comment avez-vous fait pour le rencontrer ? Comment l'avez-vous connu d'abord ? Comment l'avez-vous revu ? J'avais emmené un jeune étudiant, qui était réfugié à Paris, comme interprète. Ce jeune étudiant s'appelle Daoud Mir, c'est la première fois qu'il parcourait les montagnes de son pays. C'est la première fois que les Afghans lui ont donné une Kalashnikov, puisqu'il était un Afghan comme eux. Évidemment, moi j'ai refusé qu'on me donne la moindre arme. Et mon jeune interprète, que j'ai ensuite ramené à Paris, mais évidemment nous nous sommes liés d'amitié, à la question de ce long voyage à pied, un long voyage qui était un peu risqué, on avait été chassé par les hélicoptères soviétiques, est devenu entre temps l'ambassadeur, le chargé d'affaires, le numéro de l'ambassade d'Afghanistan à Paris, et le représentant de Massoud et de Rabani à Paris. Évidemment, il a passé un coup de fil satellite à Massoud, en lui disant, voilà, je connais bien ce journaliste. J'ai été reçu tout de suite, et ensuite Massoud nous a emmené au front, il nous a montré comment il envisageait sa stratégie. Et effectivement, c'est un personnage qu'on connait peu, parce qu'il est sorti qu'une seule fois dans sa vie de son pays, pour aller au Pakistan, à une réunion de commandants, à l'époque de la lutte contre l'armée rouge, à Peshawar. Et donc il n'est jamais sorti de son pays. Il a une certaine ouverture sur l'Occident, c'est qu'il a été formé au lycée français de Kaboul. Donc quand on lui parle français, il ne parle plus très bien français lui-même, mais quand il parle français, il comprend. Et il a beaucoup d'amis autour de lui, d'aides, qui eux parlent très bien français, qui ont été formés au lycée de Kaboul, et il y a toute une sorte d'intelligentsia francophile autour de lui. Mais on ne peut pas dire évidemment que Massoud est un islamiste, au même titre que tous les chefs de guerre et tout homme politique qui veut compter en Afghanistan. Il n'est pas question, en Afghanistan, sur la politique de faire l'économie de l'islam. Chacun doit se battre au nom de l'islam. Il n'est pas question de croire que Massoud s'oppose de façon religieuse aux talibans. C'est-à-dire qu'il estime que les talibans déforment la religion, que ce statut fait aux femmes n'est absolument pas dans le Coran, et c'est au nom du Coran qu'il va combattre les talibans. Mais chacun invoque le Coran dans son combat. Il n'y a aucun chef laïc qui compte. Le dernier chef laïc était peut-être le communiste Najib Oula, et encore celui-là. Celui-là prenait bien soin d'aller tous les vendredis à la mosquée et de se faire filmer par les caméras du régime. Oui, ce qu'il n'a pas empêché de se faire prendre. Ce qu'il n'a pas empêché de se faire prendre. En septembre, vous avez rencontré un nouveau Massoud. Voilà. Longuement. Il est très ouvert. C'est un type qui est très populaire parce qu'il est très intègre personnellement, à la différence de beaucoup de chefs. Par contre, il vit de manière très simple. Il vivait d'ailleurs à Djabul Sarraj, une maison d'État, l'ancienne maison du directeur de la cimenterie. Il vit de manière extrêmement simple, toujours proche de ses hommes. Il n'a jamais essayé d'amasser de richesse. Il est courageux. Il est toujours en première ligne. Il est un peu imprévisible. C'est ce à quoi se tient sa sécurité. On ne sait jamais où il est. Tout d'un coup, il apparaît comme ça. Il disparaît, il apparaît, il disparaît. Chacun peut rentrer chez lui. Il n'a pas d'eux. Il a évidemment quelques gardes du corps, mais sa vraie sécurité, c'est son imprévisibilité. On ne sait jamais où on va le trouver, ce qu'il va faire. Il n'y a qu'un homme qui soit vraiment au courant de ces faits et gestes. C'est son fidèle directeur de cabinet, qui est un médecin. Ce docteur Abdullah, qui était un médecin réputé de Kaboul, est allé le suivre à monter une clinique dans la vallée du Panjshir pendant la guerre contre les Russes. Ensuite, il s'est fait apprécier de Massoud. C'est lui qui avait noué les contacts avec les médecins sans frontières, etc. Il est devenu le principal conseiller politique de Massoud. C'est un homme qui s'habille un peu à l'anglaise et qui parle un anglais très châtié. Pour conclure, vous nous dites qu'on ne sait jamais où est Massoud. Est-ce que vous pouvez nous dire où il est en ce moment ? Là, non. J'ai son numéro de satellite privé. Où est le front à présent ? Le front est toujours à peu près à 50 km au nord de Kaboul. Il n'y a pas eu une évolution notable depuis l'automne ? Non, c'est la guerre d'usure. C'est la guerre d'usure l'hiver. On a beaucoup entendu parler du spectacle des talibans au mois de septembre-octobre. L'Occident a bien conspué ces jeunes islamistes sans du tout reconnaître leur mérite. Depuis quelques mois, on n'en entend plus du tout parler. Est-ce que vous pouvez, en guise de dernier mot, nous dire quelle a été l'évolution depuis deux mois et qu'elle va être, selon vous, une des issues possibles de ce conflit ? Ce qui est certain, c'est qu'on ne peut pas faire un Afghanistan uni sans Massoud, qui représente toutes les tajiks du nord, les persénophones, et sans les talibans, qui représentent les pashtuns religieux du sud. Chaque mouvement est suffisamment fort et peut suffisamment se défendre pour qu'une unité nationale ne veut pas se passer de l'un ou de l'autre. En Afghanistan, la guerre est vraiment la continuation de la politique par d'autres moyens. Vous aurez sans doute déjà des contacts secrets avec les talibans. Cette guerre du jour est mise à profit pour essayer de trouver une solution, peut-être de préparer ce qu'on appelle une jirga, c'est une grande assemblée des notables afghans qui pourraient ramener la paix dans ce pays. La seule chose que je peux vous dire, c'est que Massoud est trop bon chef de guerre pour être battu, pour être éliminé physiquement, ça, ils n'y arriveront jamais, et les talibans représentent suffisamment de poids, non seulement à cause du soutien du bénéfice du Pakistan, mais aussi d'une certaine partie de la population, en tout cas des populations des campagnes, des pashtuns du sud, et bien sûr que les talibans n'ont pas le soutien des citadins évolués de Kaboul, mais ils ont les campagnes du sud avec eux. Donc, ou bien ils s'entendront, ou bien on aura une continuation de la guerre pour 10 ans, 20 ans. Nous, on a vu ça, on a vu des villages qui vivaient normalement, et à 5 kilomètres, c'était la guerre. Mais bon, pour le villageois, tant que la guerre n'est pas dans son village, demain est un autre jour, et voilà. Renaud, vous retournez bientôt en Afghanistan avec Eric ? Ben, l'actualité est plutôt en ce moment, l'activité se passe plutôt en Yougoslavie, et donc Figaro m'a envoyé en fin novembre couvrir les éléments à Belgrade, je pensais partir pour une semaine, je suis resté 37 jours, et donc pour le moment, la tension de la plus grande histoire en politique étrangère se passe plutôt en Yougoslavie. Alors, avant de raccrocher, une question d'un auditeur pour vous Renaud. Donc, un auditeur qui fait remarquer que le commandant Massoud est certainement sorti plus d'une fois de son pays, il l'a entendu 2 fois ou 3 fois sur Radio Solidarité, et également sur Radio Courtoisie. C'est bizarre comme information, quoi pensez-vous ? Oui, écoutez, c'est son propre directeur de communique qui m'a dit qu'il était sorti qu'une seule fois du pays, mais ceci dit, c'est tout à fait possible qu'il ait été entendu sur des radios, puisqu'il dispose d'un téléphone satellite, et moi-même, quand j'étais là-bas, je faisais la correspondance pour la chaîne américaine CNN, qui n'avait pas d'envoyé sur place, puisque les équipes américaines, évidemment, se déplacent moins vite et moins bien que les journalistes français plus habitués du terrain, et j'ai mis moi-même en contact, enfin j'ai branché à l'antenne, le directeur de l'équipement, M. Dr. Abdullah, qui parle très bien l'anglais, Massoud était dans la pièce, mais il ne peut pas s'exprimer en anglais, sur CNN. Mais ce qui ne veut pas dire que M. Abdullah soit allé à Atlanta parler à CNN. Mais à ma connaissance, par exemple, Massoud n'est jamais venu, contrairement à beaucoup d'autres chefs afghans, contrairement à son président Rabbani, n'est jamais venu à Paris. Je vous remercie beaucoup Renaud, et je rappelle aux éditeurs de Radio Courtoisie qu'on peut lire les articles de Renaud Girard régulièrement dans les pages de La Vie Internationale du Figaro. Merci beaucoup. Au revoir. Alors, nous revenons à nos invités qui sont dans le studio, Alain Boinet, directeur de Solidarité, et Éric Girard, qui est photographe chez Gamin. Alors Éric, on parlait de vos rentrées, de vos essais de pénétration en Afghanistan. Quelle était la route que vous empruntiez ? Est-ce que vous passiez par les mêmes endroits qu'Alain Boinet, c'est-à-dire plutôt la route du Sud, en fait ? Ou alors avez-vous déjà emprunté la route du Nord qui consiste à atterrir à Tashkent et essayer de passer par la frontière du Nord vers Mazar-i-Sharif et rejoindre Kaboul par là ? Ça dépend des époques. Effectivement, en 86, c'était plutôt des routes qui partaient de Peshawar et qui rejoignaient l'Est de l'Afghanistan ou le Sud-Est de l'Afghanistan. Les routes un petit peu plus au Nord par Chitral étaient difficiles parce que les cols étaient très hauts et longtemps enneigés dans l'année. Pour ce qui se passe ces jours-ci en Afghanistan, comme vous l'a expliqué Renaud Girard, il y a une espèce de ligne de front qui coupe globalement l'Afghanistan d'Est en Ouest en passant un petit peu par le Nord de Kaboul. Il est sûr que pour aller rendre visite à Massoud, il est plus facile et plus rapide de passer directement par les républiques d'Asie centrale ex-soviétiques et de rejoindre l'Afghanistan que de passer par Kaboul, ce qui nécessite obligatoirement un passage par avion au-dessus de la ligne de front. Renaud Girard nous rappelait que les talibans avaient lavé le pays de toutes ces bandes de factions de pirates qui utilisaient des barrages sur les routes qui rançonnaient les voyageurs et les convois. Un abonné, est-ce que des caravanes de solidarité ont été pendant leurs opérations inquiétés, pris dans des embuscades et rançonnés ou raquettés par ces pirates ? Oui, plusieurs fois. D'abord, nous nous déplaçions toujours avec un groupe de combattants qui assuraient la sécurité non seulement des personnes mais aussi des biens. Ceci étant dit, à plusieurs reprises, effectivement, on a été attaqué ou on s'est fait voler de l'argent, une partie de l'argent que l'on transportait. Vous savez, ça a été à plusieurs reprises, ça a été en 84, en 85, en 86, en 87. Pourquoi ? Parce que, par exemple, il y a eu des oppositions très importantes entre le Djamiat islami et l'USB islami. J'ai le souvenir d'une caravane qui s'est très mal terminée parce que l'équipe avec laquelle on était du Djamiat, et d'ailleurs qui montait dans le Panjshir pour apporter une aide humanitaire dans cette vallée, a été attaqué, je dirais, par un groupe de combattants de l'USB islami qui est un parti rival. Mais il nous est arrivé aussi de nous faire voler la nuit avec une Kalashnikov sur le vent dans une Chayrana. Ça, c'est un peu les risques d'émissions d'urgence dans ce genre de circonstances. Eric, y a-t-il des risques du métier quand on est reporter-photographe ? Un souvenir d'un moment où, comme dans le jargon des reporters, ça a un peu chauffé ? Oui, il y a deux sortes de risques. Effectivement, quand on est pris dans une attaque, notamment à l'époque soviétique, ça tombe un petit peu de tous les sens. On ne sait pas très bien où aller. Il y a aussi les problèmes au niveau des barrages. Les barrages sont généralement tenus par des petits combattants, des gens pas toujours très disciplinés. Et effectivement, les choses peuvent mal tourner de manière tout à fait imprévisible. Renaud nous disait tout à l'heure que vous étiez, quand vous avez fait votre voyage, votre dernier reportage en septembre, vous étiez à la fois intéressé aux côtés talibans et aux côtés massouds d'Omstom, parce que justement le reporter doit avoir la double vision. Mais quand on est reporter et qu'on part travailler en Afghanistan, est-ce qu'on n'a pas tendance quand même à choisir le camp de la résistance, en tout cas de l'époque des soviétiques ? En fait la question c'est est-ce que vous avez déjà fait vos reportages et vos travaux côté soviétique ? Non, moi personnellement jamais. Je ne pense pas que Renaud l'ait fait. Le problème c'est que du côté soviétique, on a peut-être un petit peu oublié ça parce que l'Union soviétique a disparu, mais c'est extrêmement difficile de se déplacer, extrêmement difficile d'avoir la moindre autorisation. Je sais que les journalistes qui ont pu aller à Kaboul au moment de l'époque soviétique ont eu extrêmement peu d'autorisation et généralement ils étaient cantonnés à Kaboul même ou dans le périmètre immédiat de Kaboul, mais n'ont même pas pu aller filmer, photographier ou voir ce qu'il se passait dans les lignes de défense de Kaboul qui étaient parfois seulement à 20 km. Donc évidemment à l'époque de l'invasion soviétique, il était plus facile d'aller faire un reportage du côté des Moudjahidines bien que, contrairement à ce qui s'est passé au moment où les talibans sont rentrés dans Kaboul, il y avait extrêmement peu de journalistes. Je pense même, je m'avance peut-être, mais que Renaud Girard était le seul journaliste du Figaro à rendre visite à la résistance entre 1980 et 1988. Donc contrairement à ce qu'on a vu à Djabul Sarraj autour de Massoud au mois d'octobre dernier, il n'y avait pas de foule. Et ça je pense qu'Alain Boinet, qui a beaucoup circulé à ce moment-là, n'a pas vu beaucoup de journalistes. Mais il y avait quand même quelques photographes, quelques freelance, mais peu de rédactions de grands journaux français ou internationaux envoyaient des gens précisément sur place. – Et alors quand vous intégrez un corps, une compagnie, je ne sais pas comment ça se passe, une division, une section, vous intégrez donc un petit groupe de combattants, vous êtes bien accepté ? – Oui, on est assez bien accepté. A partir du moment où on part avec eux, généralement ça se passe plutôt bien. Et les moudjaïdines afghans ont très très bien compris que c'était extrêmement important de donner au monde une information. Et j'ai même eu l'impression qu'ils aimaient mieux des journalistes et des photographes que des organisations humanitaires qui, de temps en temps, les contraignaient un petit peu plus que nous pouvions le faire. – C'est-à-dire que, oui, je vois à quoi Eric fait allusion. Le problème c'est que quand vous transportez de l'argent, que vous voulez le distribuer à la population, bon, il faut faire attention de ne pas être, je dirais, manipulé ou orienté dans des directions qui ne seraient pas, je dirais, humanitaires. C'est vrai que pour des médecins, par exemple, qui étaient là, je dirais, toute l'année, ça pose des problèmes de cohabitation. Et c'est vrai qu'il y a des contraintes logistiques, des contraintes humanitaires qui sont celles qui correspondent à nos principes. Et que parfois, il peut y avoir des désaccords. Sans parler aussi du fait que, parfois, il peut y avoir des gens dans un pays comme l'Afghanistan qui ne comprennent pas très bien comment il faut se comporter et à qui ils ont affaire. Enfin, qui ne respectent pas toujours les us et les coutumes du pays en question. Ce qui crée en plus, alors là, des tensions supplémentaires, quoi. Quand on va chez les autres, il vaut mieux savoir s'adapter à ce qu'ils sont et à la manière dont ils vivent. Parce que sinon, il vaut mieux rester chez soi. Bon, c'est vrai que, de ce point de vue-là, ça n'a pas toujours été, ce n'est pas forcément toujours le cas. Alors, Eric, vous nous rappeliez que, très souvent, les moudjahidines étaient, finalement, contents d'avoir avec eux, pendant leurs opérations, des journalistes parce qu'ainsi, ils pouvaient transmettre à l'Occident une image de même. C'est, d'ailleurs, un peu le même phénomène que la guérilla Karen qui a toujours tenu à avoir presque une politique de communication, une politique médiatique. J'ai l'impression, moi, que vous avez bien réussi, enfin, en tout cas, les moudjahidines ont bien réussi leur travail parce qu'il y a eu, en tout cas, durant l'invasion soviétique, une bonne image de la résistance afghane en France. Alors, je ne sais pas si c'est lié au fait qu'il y a eu beaucoup de volontaires qui sont partis là-bas. Il y a eu beaucoup d'informations véhiculées par les Français. Peut-être y a-t-il une vieille tradition de vieux liens d'amitié franco-afghan. Il y a eu les actions humanitaires. Enfin, toujours est-il qu'on a l'impression qu'il y a une bonne représentation de la mouvance et de la résistance moudjahidine en France. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette impression ? Oui, moi, je suis tout à fait d'accord. Je pense que c'est plutôt les organisations humanitaires qui ont été très vite très présentes et beaucoup d'organisations humanitaires françaises qui ont véhiculé une information qui n'était pas très facile à obtenir. C'est tout à fait vrai que ça a été bien fait par les Français. Beaucoup mieux fait, à la limite, que par les Américains ou les Anglo-Saxons. Et d'ailleurs, l'information n'est pas, à mon avis, très bien remontée, mais là, je m'avance peut-être un peu, très bien remontée au niveau du gouvernement américain, qui n'a peut-être pas joué le meilleur cheval au moment de la période de la résistance afghane. C'est-à-dire qu'ils ont favorisé, à travers les Pakistanais, le Hasb-Islami, qui était un mouvement, disons, plus radical que le Jamiat-Islami, mais beaucoup moins représenté sur place, alors qu'ils avaient des moyens que leur donnaient les Américains tout à fait considérables et disproportionnés. Il est sûr qu'en France, on a eu, à mon avis, une perception d'assez bonne qualité, mais on ne peut pas dire tellement pour les autres. — Éric, quels ont été vos autres voyages ? Vous nous avez parlé du premier. Vous avez eu ces contacts par Rabani qui m'étaient plus ou moins efficaces. On a entendu Renaud et vous sur le dernier voyage. Entre les deux ? — Entre les deux, j'y suis retourné une fois en mai 88, au moment d'une date très importante. C'était le départ effectif de l'armée rouge et de l'armée afghane de Kaboul, des positions tout à fait périphériques et très difficiles à tenir le long de la frontière pakistanaise et des positions très excentrées. C'est à ce moment-là que je suis retourné. J'ai vu plusieurs choses. Tout d'abord, effectivement, quelques positions ont été évacuées, mais c'étaient des positions très difficiles à tenir. Et on voyait très très rapidement que s'il n'y avait pas une solution politique derrière, la résistance n'allait pas avancer beaucoup plus vite derrière. On sentait aussi que la fin de la guerre étant proche, les résistants qui avaient de temps en temps des problèmes de cohabitation difficiles commençaient à ne plus s'entendre. En plus de ça, il y a eu une quantité d'armement laissée par les soviétiques et qui arrivait par le Pakistan, qui a commencé à renforcer certains chefs de guerre. Et l'impression que j'ai eue, c'est qu'effectivement, ça me semblait une bonne chose que les soviétiques partent, que leur position était attenable, mais on a senti très rapidement qu'il allait y avoir des problèmes entre les afghans et entre les résistants. Et ensuite, vous êtes retourné au moment où les russes ont définitivement quitté le pays, en février 1989 ? Non, non, non, non, parce que là, il y avait une très très grosse couverture à Kaboul même, et donc je ne me suis pas déplacé pour cette évacuation un peu symbolique de la ville de Kaboul. On a quelques messages d'auditeurs de Radio-Bourgeoisie. Priscilla ? Alors, un auditeur, il a écrit qu'il existait une mission médicale française en Afghanistan de 1965 à 1970. Elle était dirigée par le professeur Agrégé Geoffroy. Que reste-t-il de cette mission médicale ? Alain Boinet, est-ce que vous connaissez cette mission qui était un petit peu vieille à présent ? Écoutez, moi, je n'étais pas en Afghanistan entre 1965 et 1970, donc je ne connais pas particulièrement cette mission. Simplement, ce que je peux dire, c'est qu'effectivement, comme l'a dit Renaud, il y avait un lycée français à Kaboul qui s'appelle le lycée Stiklal, ce qui veut dire indépendance, qui a formé beaucoup d'afghans. Qu'il y avait une mission archéologique, que la France avait le monopole, disons, des fouilles archéologiques en Afghanistan, et qu'il y avait un certain nombre de programmes, y compris effectivement médicaux, mais pas seulement. Il y avait également, sur le plan du coton, toute une coopération entre la France et l'Afghanistan, mais qu'il est vrai que dans le domaine médical et notamment dans un certain nombre d'universités, d'hôpitaux, il y avait des jumelages et une coopération avec certaines, notamment à Kaboul. Mais c'est vrai également dans le domaine juridique, c'est-à-dire qu'il y a par exemple la faculté de droit de Lyon entretenait des relations suivies avec la faculté de droit de Kaboul. Donc il y a toutes ces relations qui existaient et qui pourraient réexister à l'avenir dans un Afghanistan en paix. Eric Girard, j'en reviens à vous. Est-ce que le métier de reporter-photographe ou de journaliste tout court dans ces contextes de guérilla consiste à interviewer les états-majors, essayer d'analyser, de se rendre compte sur place ? Ou est-ce que vous suivez véritablement les combattants en première ligne au front ? Deuxième question, mais qui est la même. Avez-vous des souvenirs de grandes offensives comme celles qu'il y a pu y avoir dans la vallée du Penchir dans les années 82-84 ? Est-ce que vous avez des souvenirs de grandes confrontations entre moudjahidines et soviétiques ? Tout d'abord, pour répondre à la première question, il est évident que les Afghans, comme tous les militaires du monde, sont très très forts pour intoxiquer les journalistes et les photographes. Et que si vous ne faites pas les deux ou trois kilomètres qui vous séparent de la ligne de front, je pense au front qu'ont installé les talibans et les soldats de Massoud au nord de Kaboul, toutes les interprétations, tout est fait totalement fantaisiste. Donc il est absolument indispensable, et je le répète bien, indispensable, même si ça comporte certains risques, d'aller voir sur place. Et c'est comme ça qu'on se rend compte de ce qui se passe, et c'est le seul moyen de savoir que les soldats de Massoud ne sont pas en train de tirer à l'arme légère sur Kaboul, mais qu'ils sont quand même à 25 kilomètres de la ville, et ce qui change quand même considérablement les choses. Et c'est pour ça que je crois qu'on ne peut pas faire l'économie d'aller voir soi-même les choses. Alors vous avez connu l'Afghanistan avant l'arrivée des talibans, vous avez connu l'Afghanistan pendant leur prise de Kaboul, puisque vous étiez à ce moment là en reportage en septembre dernier, alors est-ce que vous êtes d'accord avec les analyses de Renaud Girard sur l'après, sur le dénouement éventuel de cette confrontation entre les armées de Massoud et des talibans ? Qu'est-ce que vous pensez pour l'Afghanistan futur ? Ce que je pense pour l'Afghanistan, c'est qu'effectivement il y a des opérations militaires qui sont un peu figées parce que ce n'est plus la saison de se battre en Afghanistan, et je pense surtout, ce qui m'a surtout frappé après avoir passé 10 jours auprès de Massoud, c'est d'abord son incroyable capacité à remonter une armée alors qu'il avait, je ne sais plus, je vous dirais une bêtise, mais disons entre 300 et 1000 hommes autour de lui dans la vallée du Panjshir, et quand on est parti, il y avait facilement une vingtaine de milliers d'hommes engagés avec les forces de Dostum, ça c'est la première chose, mais je sais que d'après ce que disait Massoud, il ne va absolument pas rentrer dans Kaboul pour recommencer des guerres qui seront très très difficiles, et il est surtout en train de faire, et c'est surtout ce que je l'ai vu faire plus que de conduire ces opérations, c'est passer des heures et des heures de discussion avec des chefs, des commandants locaux acquis aux talibans quelques heures avant, quelques jours avant, passer des heures de discussion avec les gens de Dostum, avec les gens de la région d'Erat, de la région Est, pour essayer de réunir la plus grande partie de l'Afghanistan sous forme d'alliés, et que comme ça, c'est un petit peu un jeu d'alliance qui va faire, à mon avis, évoluer la situation. Ces jeux d'alliance sont très très longs parce que Massoud n'a pas beaucoup de moyens au dehors de persuasion, il peut effectivement des petits commandants locaux qui raquettaient les troupes sur la route au nord de Kaboul, et c'est d'ailleurs ce qui a fait perdre un petit peu pied aux talibans, c'est facile de leur donner un petit peu d'argent et quelques armes, mais quand il s'agit de commandants qui contrôlent des régions beaucoup plus importantes comme l'Ismail Khan et autres, c'est évidemment des jeux d'alliance qui sont très très longs, donc je pense que la situation est figée, je ne sais pas très bien comment les opérations militaires vont redémarrer à la fin de l'hiver, je pense que si Massoud n'a pas réussi à avoir suffisamment d'alliés pour un petit peu entourer Kaboul, je ne vois pas un dénouement immédiat de cette nouvelle crise afghane, mais en reprenant l'histoire de l'Afghanistan, c'est quand même des situations qui sont très très fréquentes, très cycliques, et qui se refont finalement à ces cours de 20, 30, 40 ans, même depuis le début du siècle. Vous parlez tous de cette situation bloquée, à la fois par l'hiver et la situation des rapports de force, Alain Boinet, après cette invasion des talibans et la conquête de Kaboul, l'action de solidarité n'a pas diminué en Afghanistan ? Non, l'activité de solidarité n'a pas diminué, ni sur Kaboul, ni sur Maïdan, ça veut dire concrètement qu'on approche de notre millième puits creusé, entre 30 et 40 mètres de profondeur équipé, qu'on assure le service sur 24 réseaux d'adduction d'eau, qu'on est en train de réhabiliter une station d'épuration et de remettre en place une briquetterie, en bref, ça représente un travail extrêmement important, je signale d'ailleurs que ce qui est étonnant c'est que le travail qu'on fait c'est le travail des services publics ou un travail d'entreprise, pourquoi ? Parce qu'il n'y a plus de services publics ni d'entreprise, donc ce sont aujourd'hui des ONG qui font ce travail, et on fait la même chose du côté de Maïdan. Ce que je voudrais dire concernant la situation, c'est que les talibans ont pris Kaboul, il faut voir que les combats n'ont pas duré, il n'y a pas eu de combats, très peu de combats dans Kaboul même, ou aux environs de Kaboul, ça veut dire que Masoud n'a pas voulu faire la guerre dans Kaboul, je pense pour différentes raisons, militairement parce que c'est très difficile de défendre une ville avec un front aussi important, donc on peut dire d'un côté qu'il a subi une défaite militaire, un revers militaire, à l'inverse, je crois que les deux avantages pour lui, c'est que d'une part, les talibans se sont, disons, relativement déconciliés au niveau international, puis ça c'est surtout fait des journalistes qui ont connu l'événement, et puis deuxième point c'est qu'au fond... Ils en ont été surpris d'ailleurs, je crois, de la réaction internationale. C'est une revanche des pays, non ? Et que maintenant on voit bien que l'Afghanistan est un peu coupé en deux, d'un côté au sud, et au sud-ouest, les talibans, et au nord, Masoud, Dostoum principalement. Donc la question c'est comment, est-ce que c'est la guerre qui va durer, ou est-ce qu'ils finiront par trouver un accord entre eux ? Moi, simplement, mon sentiment c'est que, comme le disait Renaud Girard, effectivement, aucune force ne peut l'emporter sur l'ensemble du territoire afghan de manière durable. Donc la question c'est quand est-ce que les Afghans vont comprendre ça ? Et le jour où ils comprendront ça, peut-être qu'on trouvera une solution politique qui ramènera la paix dans ce pays. Et c'est ce que tout le monde souhaite. Donc je vous remercie, un abonné, d'avoir bien voulu participer à cette émission. Merci à vous Eric Girard. Je donne simplement, en guise de conclusion, le titre d'un livre qu'on peut lire sur l'Afghanistan. C'est l'œuvre de Patrice Francheschi, président d'ailleurs de Solidarité, qui s'appelle Un capitaine sans importance, paru chez Robert Laffont en 87. C'est un roman, et c'est l'histoire tragique d'un capitaine russe, officier de l'armée rouge, et de son retournement. Il y a aussi un autre livre du même Francheschi, mais là qui est plutôt un reportage, je ne sais pas s'il n'est pas épuisé. En 1981, ils ont choisi la liberté chez Artaud. Merci Eric Girard, merci à l'abonné, merci virtuel à Renaud Girard, merci Priscilla. C'est la fin de cette émission. A bientôt dans 3 semaines, pour un nouveau Libre Journal de l'Aventure. Le 31 janvier, nous nous retrouverons. Merci beaucoup.

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