Details
Sans me vanter, je suis exceptionnellement doué pour faire d’une vie qui aurait tout pour être heureuse un véritable…
BLACK FRIDAY SALE
Premium Access 35% OFF
Details
Sans me vanter, je suis exceptionnellement doué pour faire d’une vie qui aurait tout pour être heureuse un véritable…
Comment
Sans me vanter, je suis exceptionnellement doué pour faire d’une vie qui aurait tout pour être heureuse un véritable…
The speaker talks about Emmanuel Carrère's book "Yoga" and how they found it at a train station. They share a quote from the book about self-discovery. The speaker mentions the challenges they faced while writing the book, including dealing with depression and losing their editor. They then describe their journey to a retreat and the people they encounter there. The speaker fills out a questionnaire and observes the others around them. The conversation revolves around what to expect from the retreat. The speaker finds the diverse group of people interesting and notices one person who stands out. They conclude by recommending the book "Yoga" by Emmanuel Carrère. Yoga écrit par Emmanuel Carrère, publié dans la collection Folio, achetez ce livre, achetez ce livre, je viens de le trouver ici à Poitiers à la gare, et donc il y a une petite phrase là, une petite citation que je tiens à partager, si tu fais advenir ce qu'il y a à l'intérieur de toi, ce que tu feras devenir te sauvera, si tu ne fais pas advenir ce qu'il y a à l'intérieur de toi, ce que tu n'auras pas fait advenir te tuera, évangile apocryphe de Thomas, première partie, donc intitulé l'enclos, paragraphe intitulé l'arrivée, puisqu'il faut commencer quelque part le récit de ces quatre années au cours desquelles j'ai essayé d'écrire un petit livre souriant et subtil sur le yoga, affronter les choses aussi peu souriantes et subtiles que le terrorisme djihadiste et la crise des réfugiés, plonger dans une dépression mélancolique telle que j'ai dû être interné quatre mois à l'hôpital Saint Anne, enfin perdu mon éditeur qui pour la première fois depuis 35 ans ne lira pas un livre que j'ai écrit puisqu'il faut donc commencer quelque part, je choisis ce matin de janvier 2015 où en bouclant mon sac je me suis demandé s'il valait mieux emporter mon téléphone dont j'aurais de toute façon à me défaire là où j'allais ou le laisser à la maison, j'ai choisi l'option radicale, j'ai à peine sorti de notre immeuble trouvé excitant d'être passé au-dessous des radars, c'était un petit pas de côté encore de prendre le train à la gare de Bercy, un satellite de la gare de Lyon modeste et déjà provincial spécialisé dans la France profonde, wagon vétuste, compartiment à l'ancienne, six places en première, huit en seconde, couleur marron et verre de gris rappelant les trains de ma lointaine enfance dans les années soixante, des troufions dormaient étendues sur les banquettes comme si on ne les avait pas prévenus que le service militaire n'existe plus, tournée contre la vitre poussiéreuse ma seule voisine regardait défiler sous une pluie fine et grise les immeubles tagués de la sortie de Paris puis de la banlieue S1, c'était une jeune femme au physique et à la tenue de randonneuse équipée d'un énorme facadeau, je me suis demandé si elle allait marcher dans le morvan comme il m'était arrivé de le faire autrefois en partant de Vézelay et dans des conditions pas plus clémentes ou si elle allait, qui sait, au même endroit que moi, délibérément je n'avais pas emporté de livre et j'ai passé le trajet une heure et demie à laisser flotter mon regard et mes pensées dans une sorte d'impatience tranquille, sans savoir vraiment quoi, j'attendais beaucoup de ces dix jours déconnectés de tout, injoignables, hors d'atteinte, j'observais mon attente, j'observais mon impatience tranquille, c'était intéressant, quand le train s'est arrêté à La Roche-Migène, la jeune femme au gros sac à dos est descendue en même temps que moi et comme moi, comme une vingtaine d'autres personnes, s'est dirigée vers le terre-plein d'avant la gare où une navette devait venir me chercher. Nous l'avons entendue en silence, personne ne connaissant personne, chacun regardait ses compagnons en se demandant jusqu'à quel point ils avaient l'air normaux, j'aurais dit oui plutôt. Quand le car est arrivé, quelques-uns se sont assis, deux par deux, moi seule, mais juste avant le départ, une femme d'une cinquantaine d'années, au beau visage grave et creusé, est montée la dernière et a pris place à mes côtés. Un bonjour rapide, à mi-voix, puis elle a fermé les yeux, signifiant sans hostilité qu'elle ne tenait pas à engager la conversation, personne ne parlait. Le car est très vite sorti de la ville et s'est mis à rouler sur de toutes petites routes, traversant des hameaux où rien ne semblait ouvert, pas même les volets. Au bout d'une demi-heure, il s'est engagé dans un chemin de terre bordé de chaînes et arrêté sur une aire de gravier devant un corps de ferme bas. Nous sommes descendus. On a déchargé les bagages de la soute afin d'entrer dans le bâtiment par des portes séparées, une pour les hommes, une pour les femmes. Nous nous sommes retrouvés, entre hommes, dans une grande salle aménagée comme un réfectoire d'école, éclairée au néon, les murs peints en jaune pâle et ornés d'affichettes sur lesquelles étaient calligraphiées des sentences de sagesse bouddhiste. Il y avait de nouveaux visages, des gens qui n'étaient pas dans le car et avaient dû arriver en voiture. Derrière une table en formicat, un jeune homme au visage ouvert et sympathique, vêtu d'un t-shirt à manches courtes alors que tout le monde portait au moins un pull ou un polaire, recevait un par un les nouveaux arrivants. Avant de se présenter à lui, il fallait remplir un questionnaire. Le questionnaire Après m'être servi du thé, conversé dans des verres de cantine en tournant le robinet d'un grand samovar en fer blanc, je me suis assis devant le questionnaire, quatre pages recto verso. Les premières n'appelaient pas de longue réflexion, état civil, personne à prévenir, cas d'urgence, problèmes médicaux, traitements en cours. J'indiquais que j'étais en bonne santé mais que j'avais à plusieurs reprises souffert de dépression. Ensuite, on était invité à dire comment on avait connu Vipassana, 2, quelles expériences on avait de la méditation, 3, à quel moment de la vie on se trouvait, 4, ce qu'on attendait de la session. Les espaces réservés aux réponses ne dépassant pas le tiers de page, j'ai pensé que si je voulais attaquer sérieusement ne serait-ce que la seconde question, il me faudrait écrire tout un livre et que ce livre, justement, j'étais venu ici pour l'écrire. Et ça, je n'allais pas en parler. Évidemment, je me suis contenté de dire que je pratiquais la méditation depuis une vingtaine d'années et que cette pratique avait longtemps été liée à celle du Taï-Chi Chuan. J'ai précisé en parenthèse, petite circulation, pour qu'on comprenne que je n'étais pas tout à fait un débutant et aujourd'hui à celle du yoga. Cependant, elle restait irrégulière et j'espérais m'y ancrer davantage, raison pour laquelle je m'étais inscrit à une session intensive. Quant au moment de la vie où je me trouvais, la vérité est que c'était un bon moment, un cycle extrêmement favorable qui durait depuis bientôt dix ans. Il était même étonnant, après tant d'années, au cours desquelles j'aurais à tous les coups répondu à cette question que j'allais mal, très mal, et que le moment de la vie où je me trouvais était particulièrement catastrophique, de pouvoir sans mentir, et même en minimisant plutôt ma bonne fortune, répondre que ma foi, ça allait bien, que je n'avais pas connu récemment d'épisodes dépressifs, que je n'avais pas de problèmes ni amoureux, ni familiaux, ni professionnels, ni matériels. Mon seul vrai problème est son état, certes, mais tout de même un problème de nantie, étant un égo encombrant, despotique, dont j'aspirais à restreindre l'empire et la méditation est précisément faite pour ça. Les autres Il sont une trentaine d'hommes autour de moi, en compagnie de qui je vais m'asseoir et me taire pendant dix jours. Je les dévisage discrètement, je me demande qui parmi eux est en crise, qui a comme moi une famille, qui est seule, abandonnée, pauvre, malheureuse, qui est fragile, qui est solide, qui risque dans le vertige du silence de perdre pied. Tous les âges sont représentés, entre 20 et je dirais 70 ans. En termes de conditions sociales, c'est varié aussi, quelques types facilement identifiables, le professeur de lycée campeur, naturiste, végétarien, ami des mystiques orientales, le jeune mec au dreadlocks et bonnet péruvien qu'on pourrait rencontrer chez des activistes no borders de Calais, où j'ai récemment fait un reportage, le kiné ou l'ostéopathe adhonné aux arts martiaux, et puis d'autres qui pourraient être aussi bien violonistes que guichti à la SNCF, c'est impossible à dire. En somme, le type de clientèle assez mêlée qu'on rencontre à la fois dans les dojos et les gites jalonnant le chemin de compostelle, le noble silence, comme ils disent, n'étant pas encore entré en vigueur, on peut parler et j'écoute les conversations des petits groupes qui se sont formés, tandis que la nuit commence à tomber, très tôt, très noire, derrière les petits carreaux embuyés des fenêtres. Tout tourne autour de ce qui nous attend à partir du lendemain matin. Une question revient, c'est la première fois toi ? Il y a, je dirais, une moitié de néophytes et une moitié de vétérans, les premiers curieux, excités, inquiets, les seconds auraient allé du prestige de l'expérience, et parmi ceux-ci, un petit bonhomme qui me rappelle quelqu'un, mais je ne sais pas qui et sur lequel, négatif comme je suis, je me focalise immédiatement, boucle, taille en pointe, porteur d'un pull jacquard, adominante lit de vin, jouant avec une pénible fatuité le rôle du sage souriant, bénin, fertile en aperçu sur l'alignement des chakras et les benfaits du lâcher prise. Voilà, donc, Yoga, Emmanuel Carrère a acheté ce livre, un bijou.