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RETOUR A JAMES BAILLIE PARK

RETOUR A JAMES BAILLIE PARK

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Paris, Bercy, le Cap, les Arcs, Rouge jusqu'à Mont, la Cireuse, Flix, Puce, Fric-Rouge, la Pluie roule à gauche. Welcome back. Dix-huit heures trente, l'homme, horizontal, au rayon des vins mauvais, me conseille la saumoire au goulot. Il dit que les bouteilles ont des oreilles, qu'elles ont des mains, que c'est ce qui lui a manqué, gamin. Que les aliens sont des humains, à qui il manque le troisième oeil, la deuxième bouche, la troisième main, rose de Jéricho, que l'éthanol maintient en vie, chimère, liquide, que le fond du dernier verre humilie. Quand les tiges rachidiques et tristes ont l'allure d'une allumette humide, que rien ne rallumera plus. Que sa bouche, à lui, est une bouve affamée, à l'écume lave-rouge, au creau de basalte noir. Que son œil est un panoptique liquide en l'innocence, un regard, hantant jusqu'à la honte recluse, à qui il refuse le répit, qui de trois vites en trois vites s'épuise et réagit en haine triste sur une vie sans rumeau. Un tronc, dont la serrure de la chambre sur un cordon s'ennuie. Que ses mains sont une greffe de branches d'arbres dont la sève séchée coagule, et les branches-branches responses d'une seconde temps dans ce dernier affront. Prendre une goutte de sang, et lécher. Ses mains sont une lèvre délaissée en laissant un tronc mort, et serrant, serrant, serrant plus fort. Il tend ses mains bleues sous la lumière cirrhose du Sainsbury. Only one, two. Il prend les miennes, at least four. De sa palmure crépusculaire, il caresse mes étiages en patte-doigts, en bordure de paupières, et il sourit de mes peines planchées, et il dit que si j'ai tout donné, je n'ai rien perdu. Je repense à la fin du monde qui gronde depuis mes cuisses aérées, rouges et blanches, à mes cicatrices d'acné hieroglyphes de mon adolescence, à mes escapades nocturnes sur le toit du château d'eau, où je priais la lune pour un destin plus grand. Plus grand que mon village, plus grand que mes racines, plus grand que mes pires cauchemars, que la piste siédasse dans le lit une place. Ses yeux scrutent mon corps de poupée russe. Ils voient ma grand-mère à l'intérieur, courbée, qui recoue mes béances au tricot. Sèchent mes larmes aux sèches-cheveux devant amour, gloire et beauté. Collent mes initiales en stickers sur mes 26 quarts d'anniversaire, perdus, sang en silence dans la baignoire. Ce n'est pas ses règles, non, mais celles de ton grand-père. Quarante ans plus tard, l'horloge taquicardique sacrifie sa neutralité axiologique et se tait. La tartine de beurre plonge sans bruit dans le café au lait. Un long silence avant le viol, Célia. Voilà ce que c'était, ton grand-père. Voilà ce que c'était. Depuis, les miettes gonflées ont bu la terre, Sticks ivres d'un sens sepsis, c'est tout ce qu'il nous reste. Des miettes gonflées d'une vérité qui engonce. Demande-moi de profaner sa tombe, noircir ses photos, brûler sa maison, taper dans les murs, le dire à tout le monde, je ne sais pas. Mais ne me dis pas qu'il n'a rien à faire. Que le mal est fait, que l'effet du mal est héréditaire. Pot palimpseste où les gestes ancestraux restent en relief sous les gestes nouveaux. A la surface, libosité des mots, au sud de l'oxypute et au fond de l'eau. Mots, corps mort, tissés de filins rouges. Des années, des centaines de milliers pour la grande traversée. Du Larousse à nos bouches, fouiller les faits divers, les silences, les ombres des persiennes closes. Remonter les lignes de nos mains jusqu'à leur origine et trouver le mot nu. Le mot juste. Dépecer de ses trois peaux, nature, amour ou mensonge. Découvrir le mot pour le perdre aussitôt. Car se reconnaître victime, c'est ne plus l'être assez. Car les victimes ont des bleus sur la gueule, les victimes ont des bleus sur la gueule, les victimes ont des bleus sur la gueule, c'est vrai. Les victimes n'ont pas de sourire, d'ailleurs les victimes n'ont pas de dents, elles n'ont pas d'orgasme, pas d'argent. Les victimes sont blanches, comme neige. Les victimes sont des anges, des saintes pour les vives, leur rédemption tient à leur silence. Car les victimes sont mortes. Les victimes ne disent pas non, toi le même, mon cul. Les victimes portent plainte, le sang et le sperme encore chaud sur leurs cuisses, canevas. Les victimes ne déchirent pas la chair humiliée de leurs ongles bourreaux. Les victimes ne lavent pas les preuves, ben non c'est con. Les victimes disent non, non, non, non, non, non, non, non, non, non, non, non, non, non. Les victimes pardonnent, elles sont victimes à plein temps en sursis. Car survivre c'est consentir, survivre c'est consentir, survivre c'est consentir, n'est-ce pas ? Les victimes n'ont pas de haine, les victimes n'ont pas peur des hommes, d'ailleurs les victimes sont hétéros, toutes. Les victimes n'en veulent pas au monde entier d'être ce qu'il est. Tout ça, juste ça. L'homme du Sainsbury voit, à l'intérieur de moi, mon arrière-grand-mère dans le cul des vaches, son tissu, sa moustache, son insulte métier, peignot de cul terreux, plouc bouzeuse, paysanne agricultrice. Mon grand-père dans son bain de sang. Mon père, cocotte minute, qui siffle, siffle. Ma mère qui épile, lisse et maquille, qui rit, qui écrit des lettres à son père, mort, parce qu'un mort qui se tait, c'est moins humiliant qu'un vivant. Et toi, dans tous les pores de ma peau, l'homme du Sainsbury t'a à l'oeil, il entend que je vaux mieux que ça, mieux que moi. Mais valoir mieux que soi, ce n'est pas pratique. Alors moi de moins en moins moi, parce que le rouge à lèvres sur moi ça fait pute, le blond c'est vulgaire, alors moi brune, moi lèvre nue. Il entend que je sens le clochard quand je bois, quand je fume. J'ai honte. Il ne s'en offusque pas. Cela fait longtemps qu'il ne s'en offusque plus. Qu'il est la ligne rouge à ne pas franchir, la ligne de crête qui sépare les humains des aliens, l'indicateur de notre dignité humaine selon qu'on lui ressemble un peu, beaucoup ou pas du tout. J'ai appris depuis que la conséquence précède l'agression, que le silence et la honte d'avant ressemblent au silence et à la honte d'après, que ce sont les mêmes, le même silence et la même honte. L'homme du Sainsbury dit que pour un corps sain, il en faut deux, au moins, que ceux qui n'en ont qu'un meurent de froid, de faim, que les aliens ont un gouffre à la place du cœur, il me montre le sien. D'ici deux heures à peine, du haut de son trottoir sain, il jouera pour les passantes en attendant Godot. Lui s'attend à rien. Il crachera ses larmes entre ses dents de passage piéton, son corps de métaux lourds, ses membres par haut de prison achélatés. À l'angle du monde, il tournera du côté des ombres, nous glissant au passage que la lune aussi lui sourit poliment, mais que ça paye pas le loyer. La pluie continuera à tomber du mauvais côté. La pluie continuera à tomber du mauvais côté.

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