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Chroniques de l'érable et du cerisier

Chroniques de l'érable et du cerisier

Gaëtan

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Les chroniques de l'érable et du cerisier Livre 1 Le Masque de Noël Prologue Dans la pénombre qui descendait doucement du ciel, les lucioles dessinaient des points lumineux sur la toile sombre de la nature. La lune venait apparaître à l'est, accompagnée d'une étoile solitaire qui semblait veiller sur la forêt. Au milieu des arbres, une très vieille bâtisse au lourd toit de chaume prenait racine dans le sol de terre noire et sableuse. Assise en tailleur sur la galerie ouverte au jardin, un homme contemplait le balai nocturne des insectes en buvant une tasse de thé. En ce début de septième lune, la tombée du jour était le seul moment de la journée où la touffeur écrasante de l'été semblait céder sous les assauts d'une brise que chassait bientôt la chaleur montée des entrailles de la terre. Tous les soirs, l'homme, afin de profiter de ces quelques minutes de fraîcheur que provoquait la disparition du soleil à l'ouest, sortait sur la galerie et buvait en silence une tasse de thé. Tout autour de la bâtisse, la forêt n'était que brussement. Du cœur des grenouilles au ririri des grillons, des hauts cèdres aux jeunes pousses de bambous, la moindre bête, le moindre brin d'herbe y allait de sa petite chanson pour célébrer la nuit d'été. À peine parvenait-on à distinguer, au milieu de cette symphonie végétale, le tintinavulement léger que laissait échapper, sous les effets d'un souffle invisible, la clochette de céramique accrochée à l'une des poutres de la galerie. La nuit était enfin tombée. L'homme avait reposé sa tasse et s'apprêtait à rentrer dans la maison, quand un bruit lui fit redresser la tête. Il s'agissait de pleurs, tout proches, qui déchiraient la pénombre. D'un pas alerte, l'homme contourna la bâtisse et s'engagea sur un chemin de terre. Ce dernier reliait la petite maison à un vieux sanctuaire abandonné qui occupait en silence les sous-bois désertés. Plus l'homme approchait, plus les pleurs s'estassaient. Pour finir, ils cesserent tout à fait. L'homme regarda autour de lui quelques instants. Enfin, ses yeux butèrent sur quelque chose. Derrière une imposante lanterne aux toits moussus, une forme inhabituelle apparaissait. Il avança doucement avant de se figer. Au pied de la lanterne se trouvait un enfant emmailloté dans un linge blanc. Il reposait dans un grand panier insolite, fait d'une coque de biwa évidée. La petite créature ne pouvait guère avoir plus de deux ans. Comme l'homme se penchait pour regarder de plus près, l'enfant le dévisagea avec de grands yeux écarquillés, les joues encore humides des larmes qu'il avait versées. Pour tout signe distinctif, il portait autour du cou une cordelette de chambre à laquelle pendait une feuille d'érable dorée. Soudain, il se remit à pleurer, perçant à nouveau de ses cris le paisible recueillement du sanctuaire à l'abandon. L'homme demeurait penché au-dessus du panier, le menton calé dans le crou de sa main, avec sur le visage un air préoccupé. Puis il se saisit du panier, lancera fermement entre ses deux bras, et reprit le chemin de terre qui conduisait jusqu'à la maison au toit de Chaume. Chapitre 1 Je m'appelle Ichiro. Bien que j'aie été connu sous d'autres prénoms, je reste attaché à celui-ci comme on s'accroche à un vêtement usé et sans forme, qui n'est plus digne d'être porté, mais que l'on garde par nostalgie d'un moment, d'une rencontre dont le souvenir nous renvoie à l'image de celui que l'on aurait voulu être, ou que l'on croyait pouvoir devenir. À ma naissance, je n'avais pas de parents. J'ai été recueilli et élevé par un maître du sabre, vivant reclus dans les montagnes de la région de Kamakura, dans la province de Sagami. Mais avant d'en dire plus à ce sujet, il faut que je commence par le commencement, à savoir le pourquoi de ce récit. Mon cœur a longtemps balancé avant que je parvienne à la conclusion que le seul moyen pour moi d'y voir plus clair sur les événements funestes de ces dernières années était de coucher mon histoire sur le papier, dans l'espoir que les caractères fassent ressortir le canevas d'un sens caché. Quant au lecteur, hélas, je ne pense guère qu'il y en aura, car ces feuillets que je noircis d'encre n'auront d'autre destination que les flammes de l'âtre rougeoyant. Je m'appelle Ichiron, et je suis né aux alentours de l'an quatre de l'ère Keiichô. J'ignore la date exacte de ma naissance. Il est cependant probable qu'elle ait précédé d'un an, ou presque, la plus grande bataille de notre histoire, celle qui marqua le terme des grandes guerres qui déchiraient le pays et consacra l'avènement d'un tyran. Des deux premières années de ma vie, je ne sais rien. Je n'ai rien gardé non plus des deux années qui suivirent le moment où je fus trouvé dans la forêt par un maître du sabre. Ce dernier vivait coupé du monde et m'éleva comme un fils. L'un de mes premiers souvenirs est un anniversaire, celui de mes quatre ans. Au bas, la vieille domestique du maître avait acheté de l'anguille spécialement pour l'occasion, un mais extrêmement coûteux qui sortait complètement de notre ordinaire. Je me souviens encore du goût sucré de la chair de poisson sur ma langue d'enfant, et de l'excitation que je ressentais à l'idée d'ouvrir le cadeau qui m'attendait. C'était l'une de ces nuits d'été étouffantes, au cours desquelles le crissement des insectes est tel qu'ils percent jusqu'à l'âme. Un objet long et mince, enveloppé dans du tissu, reposait sur le parquet usé de la galerie couverte. Avec impatience, je dégageai l'objet de son emballage. Il s'agissait d'un sabre miniature, aux manches protégées par du cuir, et dont la lame en bois est illustrée comme de la soie. À la différence des bâtons grossiers que le maître taillait habituellement, il s'agissait là d'un objet raffiné, qui avait sans doute été fabriqué spécialement pour moi par un artisan du village au pied de la montagne. Le cadeau me rendit fou de joie et m'occupa tout l'été. Je ne m'en séparais jamais, pas même pour dormir, au point qu'Auba se mit à me surnommer affectueusement Kenichi. Premier été

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