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Chien Blanc Romain GARY

Chien Blanc Romain GARY

HOUYENGAHHOUYENGAH

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En résumé, "Chien Blanc" de Romain Gary est l'histoire autobiographique de son enfance aux États-Unis, marquée par la ségrégation raciale et la violence. Le livre se concentre sur la relation de Gary avec son chien, un berger allemand nommé Chien Blanc, qui devient un symbole de lutte contre la discrimination après avoir

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In Paris, the city is filled with debris and graffiti, showcasing the revolution and its impact. The narrator listens to sound tapes left by a journalist, Gravitz, who collects stories from around the world. The streets are filled with protests and slogans, and the narrator meets an old friend who is writing graffiti on a billboard. The narrator joins in and they discuss the revolution. The narrator then considers going to dinner but finds the restaurants crowded due to the revolution. The narrator overhears a conversation about police violence and atrocities. They meet an American who discusses the impact of the world's injustices and the revolution in Paris. They discuss their writing projects and the isolation that comes with seeking authenticity. Je trouve Paris toute tripe dehors, débordant de détritus dans un immense élan de sincérité. On dirait que la Révolution fait passer la ville aux aveux. Gravitz, le reporter de la station KLX, à qui j'avais prêté mon appartement, n'était pas là. Mais ses bandes sonores et ses appareils traînent partout. Je mets une bande au hasard, j'entends des explosions et une voix qui hurle « Ah, les salauds, les salauds ! Allongez-les ! Allongez-les ! » Puis une autre qui gémit « Mes yeux, mes yeux ! » Gravitz est un grand collectionneur d'histoires sonores. Dans sa sonothèque à Magnolia, j'écoutais le dernier souffle des mourants enregistré au Vietnam et la bande magnétique portant les mots « G.I. Dying, Tet Offensive, Battle of Seagone ». Je mets quelques autres bandes au hasard, des cris de mouettes, le bruit des vagues, une femme en train de jouir, une autre bande, Biafra, 1968. J'écoute le silence pendant que la bande se déroule. Pas un son, pas un cri, le silence absolu. Je vous jure que ça fait travailler l'imagination. La nuit parisienne est ponctuée d'explosions, j'entends un bruit de galop. Je vais à la fenêtre, une dizaine de jeunes gens remontent la rue du Bac en scandant « Nous voulons le tiercer, nous voulons le tiercer ». Ils entourent et ils entonnent en chœur « Les bourgeois, c'est comme les cochons, plus ça devient gras, plus ça devient con ». C'est bien possible, mais je trouve que les milliers de graffitis qui couvrent les murs de Paris, tous ces slogans griffonnés sur les affiches consacrent à la victoire de la publicité de marque. Et j'imagine presque M. Blanquet Blanchetin offrant une bourse de vocation publiciste à l'étudiant vainqueur du concours. Je sors pour aller dîner chez Lippe et rue de Sèvres, devant le panneau d'affichage je tombe sur B. Un de mes anciens camarades de la faculté de droit, aujourd'hui avocat célèbre, en train de méditer devant les inscriptions « Empaillé de Gaulle, CRSSS, le fascisme ne passera pas ». B. ne me voit pas, il est là, devant le panneau, avec sa rosette sur canapé de commandeur de la Légion d'honneur, le regard perdu. Puis furtivement il sort un crayon fait de sa poche, jette un coup d'œil prudent autour de lui, il se retourne vers le tableau et commence à écrire, je lis « Libérez Tellemann, Franco no pasaran, Tchap o poto, Abba la kagoule ». Je lui tape sur l'épaule, il fait un petit bond, puis me reconnaît, nous nous serrons la main, je lui prends le crayon, j'écris « Libérez Dimitrov, Vengeons Mathéoti, Sauvez l'Ethiopie ». Il m'arrache le crayon des mains, l'œil fiévreux, il écrit « La roque ne passera pas, J.P. assassin, désarmé les ligues, ils ont tué Roger Salango ». C'est mon tour, « Libérez Karl von Ostelski, Abba les deux sans famille, Vengeons Guernica, tous à Teruel ». Je me redresse, on se regarde, c'est un moment émouvant entre tous, ce n'est pas tous les jours qu'on a vingt ans, il me reprend le crayon, les morts du 6 février demandent des comptes pour un front uni de la gauche, tous à la mutualité, Staline avec nous. Un terre de CRS passe lentement, et nous prenons un air innocent, Béat l'œil humide, on les aura, me murmure-t-il, Madrid tient toujours, Madrid tient toujours. Blum leur enverra les avions, dis-je. Je reprends le feu, mais il ne nous reste plus de noir, ça ne fait rien, ce n'est pas le noir qui manque. Nous nous serrons encore une fois la main, avec émotion, et je le quitte soulagé, je marche fièrement, la tête haute, j'ai pris part à la lutte, moi aussi. J'hésite entre une choucroute chélipe et un cassoulet chez René Mey, depuis qu'il y a la révolution, les restaurants sont bondés. Je me casse, tout de même chélipe, ou une jeune fille à la table voisine explique que les CRS ont déjà tué une centaine d'étudiants et ont été jeter les corps dans la Seine, pour que ça ne se sache pas. Elle est en train de se taper un bœuf grossel, tout en donnant des détails précis sur les étudiants violés dans les commissariats, où l'on achève aussi les blessés. Elle commande un millefeuille, j'ai une envie terrible de ce millefeuille, mais ça fait engraisser. La jeune femme finit le gâteau à la hâte et se lève avec ses amis, ils vont finir la nuit sur les barricades. Je demande à Roger Caz comment va le ravitaillement, on me tient, me dit-il, rassuré, je me retire. Ils ont mis le flottonnant de goudron devant le bon marché, où il y a un chantier et des silhouettes gesticulantes s'agitent autour du brésilier. Sur le fond puant et grésillant des flammes, j'aperçois un noir qui porte une calotte nigérienne et un burdaka de Zambie, avec sur le dos les mots « screw you » en caractère psychédélique. Ils gueulent « burn baby burn » « brûlez bébé » « brûlez ». Entendre ce cri de guerre du black power américain à Sèvres-Babylone me donne chaud au cœur, éveille en moi une nostalgie que seuls peuvent comprendre ceux qui ont laissé là-bas très loin, à Bézalise, une piscine chauffée, une Holtz mobile air-conditionnée et 14 chaînes de télévision sans compter les chaînes éducatives « burn baby burn ». Chaque fois que je vois un américain à Paris, j'éprouve un élan de sympathie, il lève les bras, brûle. Et il est tout près de la vérité, cet américain, face à la flamme française. Car pour moi, aucun doute, lorsque nos CRS se jettent en avant, matraquent au point à Sèvres-Babylone, c'est au ghetto américain qu'ils ont affaire, au Vietnam, au Biafra et à tous ceux qui crèvent de faim sur la terre. La révolte de la jeunesse de Paris s'inscrit tout naturellement dans ce récit parce qu'elle ne vise aucune situation sociale spécifique. Elle les vise toutes, ces points français serrés, ces points blancs, ce sont aussi des points noirs, il n'y a aucun doute là-dessus. Depuis la télévision et le transistor, le monde qui nous bombarde de ses indignités est devenu une immense entreprise de provocation. Et vous vous attaquez à ce que vous avez sous la main, vous cassez tout, vous vous exprimez, Pompidou paye pour l'assassinat du Che Guevara. C'est ainsi que, d'une certaine façon inattendue, les étudiants de Paris sont en train de renouer, en lui donnant cette fois un contenu authentique, avec la vénérable tradition humanitaire française et même avec notre mission universelle. S'il n'y avait pas la condition noire sud-américaine, le Vietnam, le Biafra et la servitude ailleurs, la révolution des étudiants de Paris ressemblerait singulièrement à une meute de souris dans un fromage. Mais l'impact instantané du monde sur les consciences, non encore ravivies, mènent ou bien à l'avachissement et à l'indifférence, celle qui permet au journal télévisé de vous servir ses cadavres et ses horreurs, ses misères et ses famines à huit heures du soir, pendant que vous êtes en train de dîner tranquillement, ou bien à l'explosion. Burn, baby, burn, je m'approche. Américain, you bet, Chicago, bien sûr, je l'invite à boire un verre chez moi, il hésite le regard méditatif derrière ses lunettes. No, thanks, de deux choses l'une, ou bien vous êtes un pédé, ou bien vous êtes le genre de français qui n'a pas grand chose à se mettre sous la dent et qui s'accroche au noir. J'en ai marre d'être exploité par les belles sensibilités blanches. Qu'est-ce que vous faites dans la vie ? J'aime beaucoup l'expression « qu'est-ce que vous faites dans la vie ? » Cela me fait toujours rêver aux autres, à tous ceux qui doivent faire des choses formidables dans la mort, là où tout reste à faire. Je suis écrivain. « Oh, shit ! » dit-il, j'aurais dû m'en douter. Moi aussi, c'est mon tour d'être écœuré. Nous nous regardons avec dégoût. D'un seul coup, on a l'impression de savoir tout l'un de l'autre. Je demande « vous êtes sans doute à Paris pour travailler tranquillement à un roman sur la lune des noirs américain ? » « Une bourse de fondation Rockefeller ? » Il joue l'étonnement. « Tiens, comment avez-vous deviné ? » « Parce que je fais la même chose, c'est un sujet à ne pas rater. » Il se marre. Les noirs paraissent toujours beaucoup plus joyeux et rieurs que les autres, simplement parce que leurs dents éclairent davantage par contraste. « J'ai un joli sujet, » dit-il, « il s'agit d'une mère de famille blanche qui s'envoie en l'air uniquement avec les noirs, parce qu'avec les noirs, ça se passe dans un autre monde. Elle n'a pas l'impression de tromper son mari. Je crois saisir dans ses yeux une petite intrinsède de complicité terroriste. Aurais-je rencontré un frère de race ? Je le tâte un peu. Ensuite, je suppose que votre bonne femme va vivre avec un noir, mais le trompe avec un blanc pour procurer à son amant noir un merveilleux sentiment d'égalité raciale avec les blancs. » Quelques grenades lacrymogènes explosent du côté de Lutetia. Il fait un signe d'approbation. C'est à peu près ça. Le noir est un chanteur millionnaire. Il va vivre au bas masse. Il explique à tout le monde que c'est parce qu'il ne peut plus supporter l'Amérique blanche. En réalité, il en a marre des militants noirs qui le traitent de salaud parce qu'ils trouvent qu'il ne fait pas assez pour eux. Un frère vous dit, un frère de race, « Je reconnais en lui cette étincelle sacrée du terrorisme qui n'excue personne. » Il lève un doigt. Coup de théâtre. Le noir reçoit une lettre anonyme. Sa bien-aimée est en réalité un travesti. Il ne s'en était jamais aperçu avant parce que c'était la première fois qu'il couchait avec une blanche. Il ne savait pas comment cesser. Nous nous serrons la main devant le bon marché. Les lances des pompiers pissent sur les flammes. Nous allons boire un pot ensemble. Je suis venu en Europe pour écrire un roman sur l'or et Pétarque. Non pas une lore et Pétarque noire, mais les vrais, ceux de l'histoire. Je suppose que je suis un réactionnaire. Je rentre chez moi soulagé. Il y a encore dans le monde un noyau d'authentique résistant, une permanence assurée. Mais il faut pourtant reconnaître que cette soif de pureté et d'authenticité absolue vous isole, vous éloigne, vous enferme à l'intérieur de votre petit royaume du jeu et empêche tous les ralliements. Je rôde dans l'appartement vide en écoutant les grenades lacrymogènes. Jamais Margot n'a autant pleuré. Fin du chapitre 21, on attaque le chapitre 22. J'écris pendant une heure ou deux, cette façon d'oublier. Lorsque vous écrivez un livre mettant sur l'horreur de la guerre, vous ne dénoncez pas l'horreur, vous vous en débarrassez. Je laisse tomber mon stylo et monte au cinquième. Madeleine est là, dans la chambre minuscule. Les vrais vivants à Paris, c'est dans les chambres de Bonne qu'il faut les chercher. Je l'embrasse. Elle attend son bébé pour fin juin. Ses yeux sombres ont cette curieuse expression en suspens, cette sorte de temps d'arrêt que j'ai souvent remarqué dans le regard des femmes enceintes. Un psychiatre m'a dit que la plupart des névroses disparaissent pendant la grossesse, par un mécanisme physiologique encore inconnu. Comment ça va Madeleine ? Elle sourit. C'est un sourire courageux. Donc ça va, ça va mal. Des ennuis d'argent ? Pas tellement. Sa famille leur vient en aide. Mais Ballard n'arrive pas à se faire à la vie en France. Vous savez, il est très américain. Qu'est-ce qui lui manque ? On peut trouver ici aussi le racisme en cherchant bien. Oh, ce sont de petites choses. The World Series. Le baseball. Je prends soudain conscience de mon agressivité. Je suis le genre de monsieur qui ne reconnaît le droit de ne pas aimer la France qu'aux français. Si un lyonnais me dit que la France est un pays de cons, je me montre très bienveillant. Mais si c'est un américain qui me sort le compliment, je deviens hargneux. Allez-y comprendre quelque chose. Il ne trouve pas de travail, dit Madeleine. Il a suivi un cours de perfectionnement de couche coiffure pour dame, mais c'est impossible. Vous comprenez. Si c'est une question de permis de travail, je peux arranger ça. Ce n'est pas ça. On ne veut engager un coiffeur pour dame noire en France. Elle fait un geste résigné. Même au cours, ils coiffaient gratuitement. Il y avait de bonnes femmes qui ne voulaient pas qu'un noir les touche. J'aimais une sorte de ricanement haineux. Les grenades qui explosent au loin prennent soudain un sens lumineux. J'essaie de me calmer. Je me dis que la bêtise, c'est grand, c'est sacré. C'est notre mère à tous. Il faut savoir s'inquiéter devant Dieu. La vraie connerie crasse avec des complications gynécologiques. Ces poussières qui refusent qu'un noir les touche me font penser à une fille, il y a 35 ans, qui avait d'abord repoussé ma main en me demandant Non, non, si vous me touchez, je perdrai la tête. En grec classique, ça s'appelle invitation à la valse. Il faut vraiment croire qu'une main de noir doit leur faire un drôle d'effet. J'écoute les grenades exploser dehors, mais c'est du toque, des lacrymogènes. La révolution de mai me fait soudain l'effet d'un, d'une bluette. Je ne me rendais pas compte à quel point le dernier mois avec gêne en Californie avait ébranlé mes nerfs. Je ressens dans les bras et dans les poings une tension, une frustration, comme une dernière trace des grands besoins physiques de l'adolescence. J'essaie de m'adoucir en fermant les yeux et en faisant le compte de tous les nazis que j'ai tués pendant la guerre, mais cela ne fait que me déprimer. Vous voulez tuer la justice, mais vous ne tuez que des hommes, comme il est écrit que l'on condamne à mort un coupable mais qu'on fusille toujours un innocent. Toujours cet infernal dilemme. L'amour des chiens et l'horreur de la chênerie. Je viens à jeter au gros ventre de Madeleine un regard d'antipathie. « Bayard a le mal du pé, voilà ! » dit Madeleine. J'éclate de rire, sans guetter. Ce noir déserteur par amour et qui manque à son cher pays natal, celui-là, même que ses frères de couleur aspirent à faire sauter, c'est exactement ce qu'il me fallait pour me divertir. Je me reprends, en laisse péniblement. Il a été levé en Californie, à Los Angeles, dit-elle, et ici, évidemment, c'est très différent. « What ? Vous connaissez Madeleine ? C'est en Californie, à Los Angeles, un quartier rasé par les meutes et trente-deux morts. Oui, bien sûr, Bayard m'en a parlé, mais il n'est pas raciste. » J'aboie presque. « Quoi ? Qu'est-ce que ça veut dire ? » Il pense que c'est un mauvais moment à passer, mais qu'avec la menace chinoise, le père est jaune. Je l'avais oublié, celui-là. « Nom de Dieu ! » dis-je, avec un désespoir total. Il croit qu'avec la menace qui pèse sur l'Amérique, la question de la couleur va disparaître. Regardez au Vietnam. Les Blancs et les Noirs se battent côte à côte, comme des frères. Je serre les dents, mais pourtant, ce qu'elle me dit n'est pas entièrement fou. C'est peut-être très mal présenté, mais il y a un fond de vérité. Ce qui manque aux Blancs et aux Noirs américains, c'est une communauté de souffrance. Au moment où je corrige ces épreuves, le cyclone Camille vient de ravager le sud, rasant des agglomérations entières. Un centre de secours a été établi près de Hattieburg, dans le Mississippi, royaume de la suprématie blanche. Au doux miracle, ce camp de secours était entièrement intégré. Les Blancs et les Noirs, sauvés des eaux, dormaient ensemble, comme dans un quelconque Auschwitz. Et le Newsweek du 1er septembre 1969 cite cette phrase adorable et peut-être prophétique d'une dame sudiste blanche. Je ne pense pas que, par le temps qui court, on puisse faire attention à la couleur de la peau. Je crois que Ballard a tragiquement raison. Il manque aux Blancs et aux Noirs américains une communauté de malheur, qu'ils n'ont jamais connue au cours de leur histoire, telle celle qu'ont connue les pays européens. Un cataclysme fraternel. Ballard est un garçon très marqué par le mode de vie américain, dit Madeleine. Elle sourit tristement. J'ai même acheté un livre de cuisine américain. Je récite automatiquement. J'entends des pas dans le couloir et Ballard entre. Il a maigri. La première fois que je l'ai vu, il avait 22 ans. Une bonne tête de petit gars de chez nous, aux traits fins comme presque tous les Noirs, dont la souche vient de la Jamaïque. Long cou, pomme d'Adam en avant. Il a l'air tellement désorienté qu'il m'aperçoit à peine s'assier sur le lit. Il porte des godasses de l'armée. Il me regarde, puis il fait un geste vers la fenêtre. Qu'est-ce qui leur prend à cela ? Ils n'ont même pas de problème. Ils sont tous Blancs là-dedans. Alors quoi ? C'est désarmant parce qu'il y a dans ce cri du cœur de Ballard un merveilleux aveu. L'amour de l'Amérique pour lui, et je dirais sans hésiter pour 99% des Noirs américains, leur pays serait le plus beau du monde s'il n'y avait pas le racisme. Le seul défaut de ce pari terrestre est qu'il les refuse. Ballard est assis sur le lit. Regarde ses pieds. Tu sais quoi ? Ils m'ont perdu ici. Il me jette un coup d'œil. Assez mauvais. J'en ai marre de vos abstractions, dit-il. Il faut les entendre parler du problème Noir. Boulevard Saint-Michel. C'est comme s'ils avaient réussi leur vie. Il paraît que c'est la lutte des classes. Le problème Noir le capitalise. Ils n'ont pas la moindre idée de quoi ils parlent. Pour comprendre ça, il faut être Américain. C'est exactement ce que disent aux étrangers les politiciens sudistes. Tu regrettes d'avoir déserté ? Il jette un regard vers Madeleine sur les dents. Elle est debout près du réchaud à gaz. Nous tournons le dos en train de pleurer. Les dos qui pleurent, vous connaissez. J'ai envie de me lever, d'aller mettre mon bras autour de ses épaules, mais elle n'est pas à moi. Je jette à Ballard un regard de travers. Ça ne lui va pas, ce petit beret basque. Est-ce que je serais un peu jaloux par hasard ? Il secoue la tête. La société de consommation. Vous en avez entendu parler ? Ils veulent foutre les supermarchés en l'air. Nous, à Watts, on les pieds. C'est toute la différence entre eux et nous. Des poules de luxe. Classic Cats. Je trouve soudain quelque chose de complètement incongru dans la présence ici, sous les toits de Paris, de ce grand Américain Noir. C'est son cou très long et cette paume d'Adam. Des oreilles qui rend le petit beret basque aussi ridicule. Je voudrais bien savoir ce qu'elle lui trouve, Madeleine. Je soupire. Enfin, en amour, on ne choisit pas. All the cats here are communists, m'explique-t-il. Tous les mecs ici sont communistes. Dès qu'ils me voient, ils se mettent à jouer du violon. Toujours le même air de la propagande communiste. Ils deviennent copains avec moi uniquement parce que j'ai la peau noire. Ce n'est pas moi qui les intéresse, c'est ma couleur. J'ai jamais vu des mecs aussi color conscious. Pas même chez nous. Ils me regardent moqueusement. Say, what do you know when you are a black American and you are homesick crazy? Que faire quand on est noir américain et qu'on a le mal du pays? C'est dingue. Dès que la guerre sera finie, il y aura l'amnistie. Il bat la mesure du pied. Ça peut durer des années, dit-il. Madeleine se tourve à nous. Il y a des femmes qui pleurent comme si elles ne pleuraient pas. Le visage demeure entièrement paisible. Et cela évoque toutes les acceptations et résignations millénaires. Il veut se constituer prisonnier. Ballard bat la mesure du pied. Sa tête suit le rythme. Il faut que je fasse mettre une ou deux autres prises dans cette chambre. Il fait trop sombre. Nous nous taisons. Les grenades se font de plus en plus lointaines. Homesick, évidemment. Le noir américain est ce qu'il y a de plus traditionnellement américain. La population noire est d'un américanisme encore proche de la source. La raison est évidente. Parce qu'elles ont été oubliées par les cultures et l'éducation. Les masses noires croient encore aux rêves américains. À l'American way of life. À l'Amérique telle qu'on la parle. Dans la mesure même où ils ont été maintenus dans les couches sociales inférieures, la majorité des noirs américains croient encore aux valeurs dont ils n'ont jamais été affranchis par un intellectualisme sophistiqué. Avers leur retard dans l'éducation et l'émancipation. Les familles noires pauvres du sud sont aujourd'hui ceux qui restent là-bas le plus proche de l'idéal de vie des pionniers. Le provincialisme tellement ahurissant d'un homme comme le pasteur Abernathy est représentatif d'un mécanisme de base qui n'a pas encore été remis en question par l'intellectualisme et l'abstraction. Bayary silencieusement secouant la tête. Pas croyable dit-il. Dès qu'il me voit, c'est à qui il va taper le plus fort sur l'Amérique. Et pourtant ils sont en train de tout faire sauter. Et ils ont même pas le problème. Si on avait pas le problème, nous, vous vous rendez compte du pays qu'on aurait. Qui est-ce qui pourrait dire mieux ? Les russes ? Les chinois ? Ils me font rigoler. La seule chose qu'ils voient en moi, ces petits français, c'est le problème. Il y a des moments où je me sens avec eux comme si j'étais avec des espèces de raciste. Sauf que c'est même plus grave parce que je peux même pas leur casser la gueule. Ils ont de petits sourires supérieurs quand ils me parlent de l'Amérique. Ils font de la suprématie. Comme les bons blancs dans le sud, quand ils parlent des noirs. Les Etats-Unis pour eux, c'est pourri. C'est dégueulasse. C'est de la merde. Moi, je suis censé écouter ça. Et je leur dis oui, merci beaucoup. C'est comme si j'étais un américain à leurs yeux parce que j'ai la peau noire. C'est tout ce qu'ils voient en moi, la peau noire. Au fait, il y a combien de temps que tu es parti ? Ça fait 18 mois. Comment va mon père ? C'est dur là-bas en ce moment. Le Black Clash ? Choc en retour. Il y a surtout du championnat. Ils me regardent. Oui, le championnat. La grande compétition. C'est à qui il ira le plus loin dans le fanatisme. Qui est le champion en ce moment ? J'hésite. Ron Caranga. Il a des appuis solides. Ce qu'il y a d'atroce, c'est que le championnat exige l'élimination du concurrent. La compétition intérieure de certains groupements du pouvoir noir commence à faire penser aux mitraillettes des années 30 à Chicago. La domination du marché. Trois étudiants ont battu encore l'autre jour à UCLA. On réfléchit un moment, oui, mais au moins là, là-bas, back home, everything makes sense. On sait ce que ça ne va pas. On sait pourquoi. You know why ? Il y a des raisons précises. La couleur de votre peau, ça explique tout. On sait pourquoi on se bat. Mais ici, on ne sait plus. Il n'y a rien. Il n'y a plus d'explication. Je pense ici, il a perdu sa clé universelle. La couleur de sa peau. Alors, il reste une angoisse plus profonde, plus confuse. Quand j'écoute la nuit française qui gronde, ses étudiants, vous pouvez me dire pourquoi ils font ça. La sensibilité. La sensibilité, il secoue la tête. I don't get it. Je ne comprends pas. C'est les communistes qui sont derrière les nouvelles de Philippe. Ils ont été promus officiers. Il a été promu officier, mais il croit que c'est foutu là-bas. Les sud-vietnamiens ne veulent pas se battre. Il me répète dans chaque lettre que s'il y avait des soldats comme les viet avec lui, il serait à Hanoi en 15 jours. C'est un guerrier, Philippe. On ne se ressemble pas. Tu veux vraiment rentrer ? Il se tait. Bayard ne s'habitera jamais à la France, dit Madeleine. C'est trop, trop pas américain ici. Ce sont les petites choses qui lui manquent. C'est même pas moi, comme mes parents, lorsqu'on a été oublié. On a oublié de quitter l'Algérie. Des traits d'une finesse presque fragile, de longs cheveux noirs. Il y a chez cette fille une extraordinaire simplicité, droite comme le regard, qui semble toujours venir de quelque source de loyauté originelle. Vous rencontrez ce regard et vous vous dites, on peut compter sur elle. Il n'y a pas de beauté plus grande chez une femme. Finalement, tout ça, c'est de ma faute. Je ne sais pas si elle est croyante, mais cette voix d'une tranquillité un peu triste est chargée de toutes les animations chrétiennes. Quand il a déserté pour me rejoindre, j'étais tellement heureuse que je n'ai pensé à rien. Et maintenant, je répète sans aucune conviction, comme un automate, il y aura l'amnistie. Je ne suis jamais parvenu à changer mon regard. C'est encore celui de mes vingt ans. Madeleine, comme tu es jolie. J'ai toujours été plus sensible aux femmes jolies qu'aux femmes belles. Les femmes belles ont toujours l'air de n'avoir besoin de personne. Elles nous versent le café. C'est du café américain, je m'y suis habitué. Bayard la regarde un moment avec une intensité figée qui me donne l'impression d'être ici un intrus. Je me surprends à penser, c'est à eux, cet amour. Tant pis, il faut savoir finir. Je vais encore écrire douze heures. Bayard se lève et va la prendre dans ses bras. Cette peau si blanche contre la joue noire donne à ce couple que guettent mes yeux envieux cette absolue perfection que peuvent offrir seulement les contrastes qui se cherchent pour se compléter naturellement. Une des grandes lois du monde. J'ai la gorge serrée et je me débarrasse de mon émotion. Comme d'habitude, en débitant dans mon fort intérieur un chapelet d'obscénité. Dans ce moment de colère impuissante où l'impossibilité d'aider, de redresser, de remédier s'exaspère à l'évidence même du ramène, je mêle en général à mon tumulte intérieur tout le complexe enfer-terrestriel. Mais comme il y a peut-être des croyants parmi les racistes qui me lisent, je tiens à respecter leur profondeur spirituelle. J'ai pour le dieu des autres le plus grand respect. Je regarde la solution qui est là, sous mes yeux et dans le ventre de cette blanche enceinte, le seul avenir possible, cette harmonie des contrastes qui a été depuis toujours la loi la plus profonde de la terre. Hurler, c'est-à-dire écrire. Dites-moi donc le titre d'une seule oeuvre littéraire depuis Homer jusqu'à Tolstoy, depuis Shakespeare jusqu'à Sloane Genétine qui y est remédiée. Je me lève. Je ne peux plus rester ici. Mes poings serrés proclament surtout l'impuissance des poings. Je vais embrasser Madeleine sur la joue, paternellement, avec le sentiment d'être un tricheur. J'ai envie de la prendre en mes bras, d'appuyer sa joue-tête contre mon épaule. Cette chevelure brune a le parfum des forêts de mon enfance. Il n'y a rien de plus heureux que le bonheur des autres. Je dis, avec cette autorité exagérée qui masque un manque absolu d'assurance, ça s'arrangera. Je donne une tape sur l'épaule de Bayard sans le regarder. Ce n'est pas de ces moments pour moi totalement insupportables où je me sens vieux et hypocrite. Il ne faut tout de même pas qu'il s'imagine que je suis un peu amoureux de sa femme à cinquante-quatre ans. Leur situation est déjà assez dure sans ça. Paternelle, c'est tout. Cependant, je ne peux pas m'empêcher de lui lancer en sortant. Tu ne devrais pas porter ce petit béret, ça ne te va pas. Je sors de l'art écrasé avec l'horrible sentiment d'être une belle nature. Il paraît qu'au Tuamotu, il y a encore des atolls vierges, mais au lieu de prendre l'avion, je me contente d'aller dîner chez Lit avec Kaba, l'étudiant guinéen, lequel est une de ses créations extraordinaires de notre temps. Un mélange de rêve africain avec la dialectique marxiste où le Mao-léninisme remplace la vieille sorcellerie toute puissante capable de faire pleuvoir. Sa barbe dure à Saint-Germain-des-Prés. Les CRS et les étudiants font du troc, pavés contre gaz lacrymogène. Roger Caz a fait baisser le rideau de fer de la brasserie, et pour sortir, on nous fait passer par le premier étage et une autre porte. Il y a un cordon de CRS devant la brasserie, un CRS Rubicon du genre Roi Pozole casqué, qui vous sent le territoire, le bon vin, le bon foutre, le caparaconné jusqu'au botte, le bouclier de Saint-Louis à la main, m'arrête sur le trottoir. On ne passe pas. Je regarde la genèse intellectuelle et du côté de l'église à droite, j'essaie de lui expliquer que la rue du bac où j'habite est du côté opposé. Écoutez, je tourne à gauche. Le Roi Pozole pisse ses yeux, je constate qu'il ressemble énormément à Sa Majesté le Roi Carnaval de ma chère ville Nice presque natale. Ses yeux se plissent de plus en plus, et c'est accompagné d'un sourire de célèbre dodu. Lorsque la connerie pisse les yeux, c'est quelque chose, ça pétille littéralement, d'impécilité là-dedans, le vent de l'esprit souffle et m'envoie à la figure des Roland de Gnoll. Ah ! Tu tournes à gauche ? Tiens, salope ! Je prends un coup de matraque sur la nuque, un moment d'indignation, et puis brusquement, tout s'éclaire. J'ai une barbe, je porte un blousine, un blouson, pas de cravate et comble mal habillé. Je suis en compagnie d'un jeune noir. Ce coup de matraque ne me vise pas personnellement, il est purement vestimentaire. Je suis mis en salopard, je suis mis en salopard. Le roi Pozole s'est trompé de classe. Des larmes de gratitude me montent aux yeux. Foix de bourgeois, je suis défendu. Ce n'est pas pour rien que je paye des impôts. Ce coup de matraque que j'ai pris sur la gueule prouve que je suis protégé contre un canaille. Je ressens une merveilleuse sensation de sécurité. Je sors mon passeport diplomatique, ma carte d'identité de compagnon de la Libération, ma carte d'adjoint numéro 2 du ministre de l'Information, et je vais trouver le lieutenant, je lui montre mes papiers. Commandant Garry de Cassieu. Lieutenant, permettez-moi de vous féliciter. Il jette un coup d'œil sur mes documents, me salue. Je me suis mis dans cette tenue de salopard pour faire une petite inspection. Vos hommes sont remarquables. Dans le genre réflexe instantané, on ne peut pas mieux faire. Le coup de matraque est parti pratiquement au même temps que le coup d'œil. J'ai moi-même un chien qui a été dressé pour attaquer les salopards. Je m'y connais au dressage, bravo. Je lui serre la main, chaleureusement. Il m'accompagne jusqu'à son Gaulois, Rubicon. Je lui serre la main, cuillère également. Je lui serre la cuillère également. Continuez, mon ami, la soupe est bonne. Il hésite un peu, louche vers le lieutenant. Trop de faillot sans doute, c'est toujours trop de faillot. Ça peut aller, mon commandant. Vous aurez tous demain droit à un litron supplémentaire. J'en parlerai à mon ministre. Je m'éloigne avec le sentiment du devoir accompli. Cabas trotte à mes côtés, très inquiet pour moi. Pendant cet incident, il s'est rendu invisible. Et pourtant, il ne m'avait pas quitté d'un centimètre. Un véritable coup de magie noire. Ce gars-là a une telle habitude des mêlées de rue qu'il a mis au point une technique de sorcerie qui consiste à se volatiliser sur place tout en restant physiquement présent. Il doit y avoir des générations de sorciers derrière lui. Vous n'avez pas mal ? Aucune importance. Le tout est de savoir que nous sommes défendus. Je me précipite chez moi, bouillonnant de jeunesse. Mes 20 ans reviennent au galop. Une montée hormonale formidable. Je mets mon costume pied de poule le plus distingué. J'épingle ma rosette de la Légion d'honneur. Je me coiffe de mon Homburg hat des grandes occasions. C'est sur mesure chez Djalot. Le parapluie, on ne peut pas sans ça bien rouler. Je suis paré. Maintenant, Kaba, vous allez me laisser. Vous allez mal avec ma tenue. Allez, filez. Je vais faire la révolution. Il hoche la tête et s'en va à des impôts batteurs. Il a horreur d'annihiliste. Ceux qui n'ont pas éprouvé un sentiment de libération en regardant des films des frères Marx ou le dictateur de Chaplin ne comprendront sans doute rien à ma gestification fraternelle dans les rues de Paris ce soir-là. Provocation, bien sûr. Que voulez-vous ? Qu'il fie contre trois. Qu'il se fie cheval. La nuque encore rougie par le coup de matraque. Je n'avais qu'une idée en tête. Verser de l'huile sur le feu de la colère. Tiré à quatre épingles, je descends donc dans la rue de Sèvres où il y a une jolie confrontation devant le Lutetia. Trois reprises, l'SRS m'arrête politiquement, poliment. Attention, monsieur, vous risquez de prendre un pavé. Laissez-moi tranquille. J'ai fait Koufra. J'exhibe mon laissé-passé ministériel. Il y a un salopard qui s'avance, une barbe de fer à la main. Un bête de français noirot, tout en muscle, un mégolève. Banane qu'il me lance. Bane mou, je lui réponds. Fasciste hébraïque. Sale juif, je renvoie. Cette fois, j'ai visé juste. Il n'y a rien qui mette plus en rogne les travailleurs qui ne s'entendent traiter de sales juifs. Je sais exactement ce qu'ils ressentent. C'est comme lorsque je me fais traiter de sale français en Amérique. Toute ma peau devient alors un drapeau tricolore. Il y a une sorte de vague humaine qui roule en moi. J'effectue un repli stratégique vers les CRS tout en gueulant. Tous des youpas ! Je suis assez content. Je sens que j'ai ranimé la flamme sacrée. Il y a sûrement parmi eux de bons petits gars, bien de chez nous. Alors vous imaginez. Quand je pense que j'ai perdu ma sainte Russie natale à cause des juifs et que les juifs sont allés si loin dans la traiterie, que même ma mère était juive et qu'ils m'ont ainsi rendu juif moi-même. Je ne me retiens plus. La France aux Français, je gueule. Les CRS foncent en avant. Matraque au point. Je sens que j'accomplis quelque chose pour ma mère, patrie. Je veux dire que j'ai vengé Moscou, brûlée par Napoléon, et tous nos morts à Borydino. Je suis allé au salon de Kerensky. Tout de même, il avait eu dix fois l'occasion de liquider les Bolcheviques. Maintenant, ils ont même appris l'Odéon. Je marche tristement rue de Varennes, en proie à l'humiliation. C'est terrible, l'immigration. Ça vous rend consul général de France, pré-concours, patriote, décoré, égoïste, porte-parole de la Déclaration française aux Nations Unies. Terrible. Une vie brisée. Je sors mon mouchoir de soie de chez Hermès, et je m'essuie les yeux, les gaz. Je m'aventure sur le boulevard Saint-Michel. Toute décoration d'or, les étudiants s'écartent en se bouchant le nez. La plus belle expérience du Paris révolutionnaire m'attend dans la cour de la Sorbonne, où je me rends avec mes rubans de décoration bourgeoise et ma tenue de salonard pour ce même goût de provocation terroriste qui anime ceux qui me lancent des colibés. Déception. L'accueil est glaçable, mais poli. Les étudiants reconnaissent un ennemi du peuple notoire et la discussion s'engage. On m'attaque sur Malraux, les journaux ayant écrit que j'avais été placé par lui comme sa créature auprès du ministre de l'Information. Je leur dis qu'ils ont raison. La culpabilité de Malraux est évidente. Dès 1936, il invente Che Guevara, Thiem, le premier garde rouge, et Régis Debré dans ses romans. Dès 1960, il met en place ses Maisons de la Culture, où est partie la contestation. Bref, comme devait l'écrire le célèbre Marcel Clavel dans Combat, Malraux est une vieille ganache teintée de salaud. Tous mes arguments sont solides et les vôtres délirants, mais c'est vous qui avez raison. Pour le constater, il suffit d'ouvrir le Figaro du 24 juillet 1968 sous le titre Voyage au bout de l'horreur dans les camps où les réfugiés meurent lentement de faim. Vous trouverez un article effrayant de Jean-François Chauvel sous le Biafra. L'article commence par les mots Ô Seigneur, entend notre colère. Et juste sous le texte, il y a un joli placard publicitaire avec photo à la pluie le nouveau port de plaisance de Beaulieu-sur-Mer. Une réalité. La voilà notre société de provocation. Ne me dites pas qu'il n'y a pas d'autre rapport qu'un voisinage typographique entre le Biafra et le nouveau port de plaisance de Beaulieu-sur-Mer. Parce que cette absence de rapport signifie justement un rapport effrayant. Je sors de là déprimé, avec l'impression d'avoir laissé ma jeunesse derrière moi. Et c'est alors que la beauté se met soudain à régner. Rue des écoles. Un garçon qui lui ressemble. Elle a l'air ave, épuisée. Elle me rappelle ces femmes russes des années 1905, qui préparaient la révolution et se faisaient déporter en Sibérie pour que leurs enfants et leurs petits-enfants se fassent un jour déportés en Sibérie. Une révolution qui triomphe. C'est encore une révolution de foutus. Essayez donc de me démentir. Donnez-moi donc un exemple historique du contraire. J'ai entendu sa voix derrière mon dos. Monsieur Romain Garry ? Monsieur Romain Garry ? Je me retourne. Nous avons besoin d'aide. Qui, ça nous ? Ce visage-là, je le connais. Ce n'est pas le genre de visage qui demande quelque chose pour lui-même. Qui, ça nous ? Les étudiants ? Un sourire un peu merveilleux. Oh, les étudiants, vous savez. Je sais. Il y a quelques instants à peine, j'ai entendu lancé par l'heure dans la cour de la Sorbonne ce merveilleux appel. On demande un camarade avec une voiture pour se rendre dans le 16e arrondissement. Le lendemain matin, au Demago, j'ai eu droit à quelque chose d'encore plus cocasse. Un vrai bijou. Je vous le sers tout de suite. La dame aux yeux déchirants attendra un peu sur le trottoir. Elle a le temps. Elle est immortelle. C'est à la terrasse des Demago que je devais rencontrer Alain L. Un industriel éclairé qui est dans la soie, collectionneur de beaux tableaux. Je le connais peu, mais nous avons Walter Goetz en commun. Il y a dans le monde des tas de gens qui n'ont absolument rien en commun sauf Walter Goetz. Alain L. me parle de son fils qui fait partie d'un des groupements les ministres skis révolutionnaires qui sortent partout du sol en ce moment, champignons succulents dont se délectent depuis toujours en salade les véritables connaisseurs comme Staline. Et c'est ce fils révolutionnaire qui est venu consulter son industriel de père. Le croupuscule anarchisant dont il fait partie s'est béniblement constitué un capital qui doit assurer l'organisation et la vie du mouvement. Or, à cause justement des événements et de la grève générale, on parle d'évaluation. Comment préserver ce capital de lutte révolutionnaire ? Faut-il acheter de l'or ? Dites-lui d'investir dans l'argent métal. Ça va continuer à monter. Vous croyez ? Je ne peux pas me permettre de jouer un tour de cochon, mon fils, si son groupe révolutionnaire subit des pertes. Il va croire que je l'ai fait exprès. Ce père bourgeois, caussu, et son fils trotskiste discutent ensemble de la meilleure façon de faire prospérer le petit magot révolutionnaire. C'est le triomphe de la logique sur les idées. Je regarde la dame au visage, ave aux yeux, ou brûle invincible le feu de toutes les révolutions foutues. Il s'agit des grévistes de chez Renault. J'attends. Elle hésite un peu. Le parti communiste veut la faire, de la grève générale. Les capitaux de soutien sont épuisés. Les grévistes chez Renault ne sont plus soutenus que par eux-mêmes. La femme à la maison commence à en avoir assez. Est-ce que vous ne pourriez pas, avec vos amis, j'entends bien avec vos amis, réunir des fonds pour leur permettre de tenir ? Je me mets quelques secondes à réaliser et puis j'ai l'impression qu'à force de les regarder, les yeux vont me sortir de la tête. Je me trouvais en face d'un être qui venait à moi, fort de cette naïveté sacrée qui assure depuis des âges immémoraux la survie de l'espèce. Il y a là une confiance dans les hommes qui dépassait toutes les lignes de partage et toutes les catégories. Car enfin, cette dame me connaissait. Je me présente à elle avec tous les signes extérieurs de l'ordre bourgeois en gaullisme notoire. Elle ignore donc rien de mon ignominie. Elle sait que je suis exclu de tous les statuts en vigueur et de ce « nous sommes tous les juifs allemands » scandé par les étudiants français dans la rue de Paris. Et elle vient me demander à moi de réunir avec mes amis des fonds pour aider les grévistes de chez Renaud à tenir. Elle croira peut-être que j'exagère mais les larmes me sont montées aux yeux. Bien sûr, ça ne veut rien dire les larmes. Elles ont la puissance légère. Mais cette femme, malgré tous mes signes extérieurs de bassesse, est allée au-delà des signes. Le côté totalement irrationnel de sa quête relevait de la plus instinctive et profonde compréhension. Celle qui retrouve spontanément, c'est au-delà, où rien ne peut branler notre foi humanitaire. Déjà, sans même attendre ma réponse, elle griffonne quelque chose sur un bout de papier. Qu'elle me tend. Je lis Cléop. Comité de liaison étudiant. Un mot invisible. Agro. 16 rue Claude-Cale 47. Permanence, salle 4. Je lui donne tout l'argent que j'ai sur moi. Elle veut me faire un reçu. Ah non, je vous en prie Madame, à la fin. Merde, je n'ai pas besoin d'un reçu. C'est ce qu'il y a ici. Des voyous qui font la quête dans la rue et gardent l'argent pour eux-mêmes. Elle plie soigneusement les billets et les met dans son sac. Et si seulement vous et vos amis pouviez réunir quelques millions, les femmes des ouvriers sont excédées. Je suis en proie à ce tic nervé de l'épaule droite qui me tient lieu de palpitation emotive. Je regarde cette femme pour la première fois. J'ai l'impression d'être debout dans une rue de Moscou en 1905. Il n'en reste plus une en Russie. La révolution a triomphé sur toute la ligne. Chapitre 24 Je rentre chez moi, juste à temps pour décrocher le téléphone qui sonne. Jeanne me parle de Bélairis et je reconnais dès le premier accent le désarroi que les mots essayent de dissimuler. Je t'appelle pour te dire que je suis obligé de quitter la maison. Ça ne répond pas, ne t'inquiète pas. Qu'est-ce qu'il y a ? Oh, des menaces ! Sa voix se casse. Ils ont empoisonné les chats, à titre d'avertissement. Mais non ! Chamaco et bang ! Après coup, après quoi ? Coup de téléphone allumine. La prochaine fois, salope, ce sera ton tour. Ne viens pas te mêler de nos affaires. You bitch ! La voix reprend l'espoir. Ce sont sans doute les blancs qui font de la provocation, tu parles. Leur phrase continue à résonner dans mes oreilles. Ne viens pas te mêler de nos affaires. You bitch ! En un an, cette chienne a versé le plus clair de ce qu'elle gagnait aux groupes noirs. Ils ont aussi saboté ma voiture. Une roue dévissée. On a tiré à travers les fenêtres de la cuisine. Et comme je suis seul à la maison, c'est alors que j'entends ma voix qui diffredemande quelque part hors de moi dans un autre monde, celui du grand dominateur commandant de le chênerie. Retire Batka du chenil. Tu ne trouveras pas meilleur gardien. A l'autre bout du film, exclamation intouffie. Quoi ? C'est toi qui dis ça ? Oui, c'est moi. Téléphone à Guaruta qu'il te ramène le chien immédiatement. Je me sentirai plus rassuré. Tu veux que je reprenne un chien dressé à sauter à la gorgée noire ? Légitime défense. Un salop est un salop, quelle que soit la couleur de sa peau. Elle hurle et pourtant, cela ne lui arrive guère. Jamais, tu m'entends jamais. Tu as prévenu la police ? Tu veux que j'aille leur dire que je suis menacé par des noirs après toutes nos protestations contre la brutalité policière ? Je réprime quelques jurons et je reprends lentement mon souffle à cent francs la seconde. Jeanne, le droit le plus sacré c'est de ne pas se laisser faire. Elle m'interrompt. Je t'appelle uniquement pour te dire que je ne dormirai plus à la maison. Ne t'inquiète pas. Elle raccroche. Je tourne en rond. Au bout de cette laisse d'angoisse dont l'autre bout est tenu par des mains inconnues à Hollywood, il y a là-bas assez de drogués, de fous et de maniaques pour qu'aucune menace ne puisse être prise à la légère. Vers 4h du matin je décide de tirer les choses au clair. Je téléphone à un ami, un jeune noir, un avocat auquel je n'oserai pas refuser des informations. Je lui explique l'affaire. Il garde de l'autre côté de l'Atlantique un long silence de millionnaire qui me coûte dans les 10 dollars. Ok, Guitine. J'ai comme une idée que ça ne va pas être trop difficile. Il lui a fallu exactement 36 heures pour me donner avec une certaine lassitude dans la voix toutes les explications nécessaires. C'est sérieux ? Pour l'instant, c'est seulement moche. Tu comprends la belle vedette riche, célèbre qui descend là-bas. Alors ? Alors c'est trop. J'ai un petit verre pour les femmes noires du mouvement. C'est trop. Je me tais. Je vois. C'est humain. Ce n'est pas à proprement parler de la jalousie ou de l'envie. C'est du ressentiment. Nos femmes vivent dans l'état de siège à peur, la pauvreté. Mais elles ont quand même tout ça bien à elles. Alors, quand une belle vedette du cinéma descend là-dedans et attire tous les regards et les égards, elles se sentent volées. Elles ont l'impression qu'une star de cinéma vient de leur prendre un peu de leur bien, de leur drame, de leur fraternité. Tu vois ? Je vois. Nous nous taisons tous les deux. Je sens qu'il y a lourd sur le cœur comme moi, mais ce n'est pas le même point. Alors, leurs copains ont organisé une petite campagne d'intimidation pour écarter Jen, pour que nos bonnes femmes puissent garder leur misère, leur privilège de la souffrance et de l'injustice bien à elles sans partager ça avec une vedette de cinéma. Tu vois ? Je vois. Tu comprends quand une vedette de cinéma apparaît dans leur petit monde barricadé à siéger. Qu'est-ce qu'elle devient là-dedans ? Elle devient une vedette. C'est ça. Tu vois le coup ? Oui, je le vois. Alors, nos bonnes femmes se sont arrangées pour l'écarter comme ça. Elles restent elles-mêmes vedettes de leur négritude, de leur place à siéger. C'est tout. C'est tout ? Merci. Allez. Un de ces jours. Un de ces jours. Merci. Qu'est-ce que tu veux ? C'est comme ça ? Oui, c'est comme ça. On sonne à la porte. Il est trois heures du matin. Moi, qui ai besoin de mes huit heures de sommeil, j'accumule les nuits blanches. Je reste assis près du téléphone. On sonne encore. Je ne vais pas leur ouvrir. Ils restent dehors, dans leur négritude bien à eux. Je vais à la porte et j'ouvre. Cette maudite curiosité, j'attends toujours quelqu'un. Je ne sais pas qui. Naturellement, ce sont eux. Depuis la racine du ciel, je suis devenu, pour les Africains de Paris, une espèce de Fokar Rivegauche. Fokar Rivegauche. Je la regarde sombrement. C'est un de ces moments racistes où la vie d'une peau noire me fait un peu le même effet que la vie des peaux blanches. On va à la cuisine où on bouffe des oeufs durs. Il y a parmi eux un Américain noir de Paris du genre Creep que je soupçonne de faire de petits rapports sur les Américains noirs de Paris pour les services spéciaux américains. Plus un poète du Tennessee qui continue sans désemparer une tirade commencée sans doute à Saint-Germain-des-Prés il y a vingt-quatre heures. Notre tête est éraillée. On a envie de lui verser de l'huile dans le gosier. Nous n'arrivons à rien politiquement tant que les dix-sept millions de noirs ne seront pas représentés au sommet dans les syndicats du crime. Braille-t-il. Deux oeufs durs entre deux oeufs durs. Notre retard date du moment où le monopole du crime a été organisé en dehors de nous. Frapper à la tête de la causa nostra. Saisir les commandes. Il s'arrête, un oeuf dans la bouche, les lunettes étincellantes de dialectique sous la broussaille de ses cheveux à l'africaine qui ressemble à des barbelés électrifiés. Et pourquoi porte-t-il une écharpe de laine autour du cou en plein mois de mai à quatre heures du matin après des nuits d'insomnie ? L'oeuf dur au milieu de ce visage d'ébène prend un aspect ahurissant. « Qu'est-ce que tu proposes ? » demande le crêpe. « Attention à ta réponse, Pogo. Ce salaud-là va la transmettre directement à la CIA. » Il rit. « Comme c'est une blague courante parmi les immigrants américains, c'est une vérité qui ne blesse pas. Mais qu'est-ce que je propose ? Kidnapper les chefs italiens de la causa nostra ? Menacer les familles ? Exiger la participation ? » Je vois les yeux du crêpe prendre un crayon à la main. On sonne. Je vais mettre la porte à l'écriteau. Focale gauche ouverte jusqu'à deux heures. Je suis tellement fatigué que je me vois entouré d'oeufs durs en train de manger des têtes noires. Je vais ouvrir. C'est Coso, la plus belle malienne de Paris, j'annonce. On ferme. « Rentre au mali, je t'en supplie. Il ne m'aime plus, m'informe-t-elle. Coso va les liser et dit à Foucart « Moi, je n'y peux plus, je n'y peux rien. Elle me dit que c'est fini. Qu'est-ce que je dois faire ? Va manger des oeufs durs à la cuisine. Je vais me coucher mais je ne peux pas dormir. Je pense à Jane. L'Amérique est un pays où tout peut arriver. Je retiens ma place dans l'avion mais retarde mon départ lorsqu'un ami me téléphone pour m'annoncer qu'un dernier carré de Français Libres va descendre cet après-midi les Champs-Elysées. Le dernier carré, c'est quelque chose à quoi je n'ai jamais pu résister. J'ai horreur des majorités. Elles deviennent toujours menaçantes. On imagine donc mon désarroi lorsque, me présentant plein d'espoir sur les Champs-Elysées, je vois déferler des centaines de milliers d'hommes qui donnent une telle impression d'unanimité que j'en ai la chair de poule. Immédiatement, je me sens contre. Venu pour brandir le drapeau tricolore et la croix de l'Eau Lorraine sous l'Erysée en compagnie de quelques centaines d'autres irréguliers, je me sens volé. Je leur tourne le dos. Tous les déferlements démographiques, qu'ils soient de gauche ou de droite, me sont odieux. Je suis un minoritaire né. Chapitre 25 J'arrive à Béverly le lendemain matin et, dès que je m'approche de la porte, j'entends un miaulement désespéré. Les chats siamois ont tous des voix déchirantes mais, lorsqu'ils souffrent, cela devient d'atroces. La maison est vide. Couché sur un coussin, Maï est immobile, squelettique, à côté d'une nourriture qu'elle n'a pas touchée. Elle est en train d'agoniser. Ses enfants de putes noires les ont empoisonnés, comme ils ont empoisonné nos deux autres chats. Je la prends dans mes bras et, les nuits sans sommeil aidant, je pleure de haine impuissante. Elle me parle, me regarde intensément, essaie de m'expliquer quelque chose. Oui, je sais, je sais, tu n'étais pourtant pour rien. Je ne peux plus m'arrêter de chialer. Je laisse ainsi une heure ou deux ou trois à ir et je me trouve à son retour du studio, en train d'essayer de nourrir Maï au compte-gouttes. Je bondis. Pourquoi ne m'as-tu pas dit qu'ils avaient empoisonné Maï ? Qui protégeais-tu ? Ainsi exactement, les salopards ou ma sensibilité ? Mais il n'y a pas de mer qui tienne. Les brutes sont des brutes, quelle que soit la couleur de leur peau. J'en ai marre de voir des canailles traitées comme de la portionnelle de sèvres uniquement à cause de la couleur de leur peau. C'est un chantage. Elle pleure. Son petit visage est épuisé. Elle a un tabou de nerfs. Maï n'a pas été empoisonnée. Ça n'a rien à voir. Je l'amène à la clinique tous les jours. Le vétérinaire dit que c'est une maladie dégénérative. Tu veux sauver l'honneur de qui exactement ? Ils ne lui ont rien fait, eurent-elles. Elle s'enfuit. Et j'entends la voiture qui démarre. Heureusement, j'ai l'impression de toucher enfin le fond de la solitude. Exploit que je ne croyais pas possible. Je téléphone à Paname et je retiens une place pour l'île Maurice où je crois avoir un ami avec qui je n'ai pas correspondu depuis vingt-cinq ans. Mais Jane revient, s'assit à côté de moi, me prend la main. Je passe les quelques journées suivantes à veiller May qui agonise lentement et atrocement. Katzenbogen vient m'expliquer d'un ton doctoral que l'on n'a pas le droit de faire un tel cas d'un chat alors que le monde entier. Je le mets à la porte tous les deux, lui et le monde. May est un être humain auquel je me suis attaché profondément. Tout ce qui souffre sous vos yeux est un être humain. Elle reste couchée dans mes bras. Ce poil terne, ces éclats qui lui donnent un affreux air empaillé, poussant de temps en temps des miaulements que je comprends mais auxquels je ne peux répondre. Nos corps vocaux ne nous permettent pas de nous exprimer vraiment. On peut gueuler, évidemment, hurler mais je vous l'ai déjà dit, seul l'océan a la voix qu'il faut pour parler au nom de l'homme. Que d'histoire pour un chat, n'est-ce pas? Mais alors, que faites-vous dans ce livre? May meurt le 7 juin à trois heures et demie et nous allons l'enterrer dans Chiroquiline, sous les plus beaux arbres du monde. Elle aimait grimper aux arbres. Je connais quelqu'un qui comprendra sûrement. Je reviens à la maison et je prends mon stylo. Cher André Malraux, que vous avez rencontré chez moi, est morte cet après-midi après de longues semaines de souffrance. Nous l'avons enterrée sous les écaliptices au coin de Beaumont Drive et de Chiroquiline, derrière une maison de briques rouges. Je pensais que je devais vous le dire. Voilà, bien fidèlement à vous. Vers sept heures du soir, une chevrolette bleue s'arrête devant la maison, cependant qu'une autre voiture s'immobilise à quelques mètres derrière. Deux noirs restent au volant, cependant qu'un troisième sort et se pose en observation au milieu du trottoir. Le conducteur de la chevrolette se dirige vers la maison. La nuit est déjà presque tombée et c'est seulement lorsque j'ouvre la porte que je reconnais Ray. Il a changé à un point incroyable, physiquement d'abord. Il s'est rasé le crâne complètement, ce qui lui donne un air vaguement mongol, mais ce sont les yeux qui ont le plus changé. Je ne sais trop comment définir cela. Les yeux ont perdu leur regard. Ils sont devenus vides. C'est un regard qui ne vient de rien, qui ne va à rien. Il ne me dit pas un mot. Va t'asseoir. Lorsque Jeanne vient, le salué répond par une vague et l'eau. Est-ce que je peux passer la nuit ici ? Bien sûr. Il repousse le whisky que je lui sers. Ça risque de te causer des ennuis avec la police. Ça ne fait rien. Il faut bien être de son temps. On peut savoir s'il a été tué. Je pense à May. Je comprends ce qu'il ressent. Il menait une patrouille chez les viettes et il s'est fait descendre. Il regarde le mur en face. Il était lieutenant. Il était devenu lieutenant pour mieux connaître le métier, pour mieux faire son boulot ici. Je me tais. Il fait nuit. Une vague de lumière sous les abats jaunes. Jeanne est assise dans un coin, les mains jointes autour des genoux, la tête baissée, les épaules secouées. Je me tais. Il ne saurait, il ne saura jamais. Il vivra fier de son fils, ignorant jusqu'au bout que ce n'est pas le pouvoir noir qui a perdu un de ses futurs chefs révolutionnaires mais seulement les US armés, un de ses jeunes officiers décidé à faire carrière sous le drapeau étoilé. Il y a deux mois, il y a des mois qu'il ne m'avait plus écrit. Il ne répondait même plus à mes lettres. Et puis ça, il me demande d'une voix morte. Comment va Daya? Tu sais ce que c'est pour un Américain la vie à Paris. Il se sent déraciné. Il fait huit de la tête silencieusement. Il n'aurait pas dû déserter. Il aurait dû apprendre le métier. Mais ce n'est pas dur. Alors il est normal qu'un noir soit contre la guerre au Vietnam et qu'il déserte. Il se ment. Il sait que Bayard n'a pas déserté par refus de la guerre et que le Vietnam, il s'en fout, qu'il a déserté pour être avec une fille qu'il aimait et parce qu'il avait horreur de la contrainte de l'armée, de la discipline des chefs, des armes à feu, de la violence, de marcher au pas, du salut au drapeau. Il a déserté parce qu'il était un jeune de son temps, c'est-à-dire un insoumis, un garçon qui ne pouvait plus accepter de charger sur ses épaules le poids mort des traditions pourries. Des lueurs jaunâtres parcourent le creux de cette peau de noir et éveillent un éclat terne dans les yeux qui me rappellent le dernier regard de Maï. Il se ment. Il se ment. Ils l'ont coincé dans l'irréalité. Un des meilleurs des plus nobles américains que je connaisse condamné à la fantasmagorie, à l'irréalité comme un quelconque roi nègre. Je n'en peux plus. Je n'en peux plus en lui. Qu'est-ce qu'ils te veulent, les flics ? Ce qu'ils voudraient vraiment, c'est que je leur tire dessus pour qu'ils puissent m'abattre. Ils se spécialisent dans la légitime dévance. Mais à part ça, j'ai tué un mec. En français dans les textes. Un flic ? Oui. Non, enfin, un agent provocateur noir. Ça revient au même. Les types de Cabinda sont entrés avec des mitraillettes dans une de nos réunions et ils ont abattu deux des nôtres. Des étudiants. J'en ai eu un le lendemain. Vous ne pourriez pas cesser de vous entretuer ? Difficile, lorsque tous les jeux de l'ennemi consistent à nous faire éliminer par nous-mêmes. Mais justement alors, si on ne réagit pas, le pouvoir noir tombera entièrement entre les mains des groupements dirigés par les FBI. Qu'est-ce que tu veux faire ? Je ne sais pas. Mais je sais que je sais ce que je ne veux pas faire. Je ne vais pas quitter le pied. D'abord, parce que je n'ai pas où aller. J'ai été en Afrique. Je m'y suis senti un étranger. Pas question de Castro, je tâcherai de trouver un bon avocat. Un de ceux qui savent causer de tels emmerdements à la police que celle-ci préfère vous laisser tranquille. Sa voix se fait qu'aux sourdes rentrer. Elle s'intériorise à la recherche de sa rancune profonde. La CIA veut discréditer les chefs en les accusant ou les enculant vers Castro, Nasser ou Pékin. Et les FBI cherchent à nous disperser comme cliveurs. Car Mickaël et dix autres en nous forçant à l'immigration. Mais surtout ils veulent encourager la lutte pour le pouvoir intérieur du pouvoir noir afin d'empêcher l'unité et de faire disparaître les meilleurs en nous poussant à nous éliminer les uns les autres. Mais il y a encore mieux, beaucoup mieux et c'est en train de réussir. Nous tombons dans le panneau. Moi le premier parce que cette manipulation ne peut pas rater. Sa voix gronde, il baisse la tête. Ses mains énormes se nouent furieusement. Il s'agit de nous pousser à la surenchère dans la violence afin de pouvoir procéder à l'escalade dans la répression et à la longue faire pencher la balance du côté de la soumission par l'assitude, désapprobation et peur dans l'émasquement. Par-dessus tout, la manipulation vise à créer, à isoler parmi les jeunes noirs une génération perdue qui se couperait des réalités et des possibilités à force d'auto-intoxication psychique. Alors tu comprends. Il me regarde et sourit. Si je ne deviens pas un tueur ou si je désapprouve le meurtre, je cesse d'être un chef aux yeux des jeunes. Mais si je tue ou approuve les assassinats, je deviens extrêmement facile à éliminer légalement. Et à quoi mène l'auto-intoxication des jeunes ? Non pas au soulèvement des masses mais à la rupture avec elle. On cherche à obtenir notre suicide. Ce que je veux dire, c'est que nous sommes entièrement manipulés. Tant que la minorité noire continuera à s'acculer à la violence, la majorité blanche n'aura rien à craindre. Il n'y a qu'une solution réaliste, la conquête du pouvoir politique local par des méthodes politiques. Mais si je le dis, je suis foutu aux yeux des jeunes et je ne peux plus sauver. Je demande et tes cadres militants, militaires noirs t'ont armé ? C'est la seule façon pour nous de nous discipliner. Sans ça, c'est la dispersion dans l'anarchie terroriste. Je ne suis pas assez fou pour songer à une armée noire battue d'avance par la loi du nombre. Je parle d'organisation. La lassitude s'empare de sa voix. Lorsqu'on ressent quotidiennement et profondément la justice, il est beaucoup plus facile de se laisser aller à l'héroïsme et au romantisme qu'à l'organisation à la meuf. Le sacrifice individuel est une solution de facilité. Seulement, la jeunesse n'a jamais le temps d'attendre. Ils se lèvent, moi aussi. Je vais te montrer ta chambre. Nous montons l'escalier. Qu'est-ce que je fais si la police vient ? Je ne crois pas qu'ils viennent. Je préfère garder ça en réserve contre moi. Ils espèrent que je me rendrais moins visible. C'est tout ce qu'ils demandent. Et tes types dehors ? C'est contre les petits copains ? J'hésite un peu. Comment ? Elle est cette môme ? Très bien. L'enfant va naître dans quelques jours, je crois. Je ne devais pas. Je ne devrais pas, mais c'est un moment de vérité, après tout. C'est lui-même qui avait parlé d'auto-intoxication. Je suis sûr que je ne lui apprends rien. Tu sais bien que c'est pour elle que Bayard a déserté. Rien d'idéologique. Rien à voir avec le Vietnam. Une histoire d'amour. La plus vieille histoire du monde. Il s'est arrêté devant la porte. Le dos tournait vers moi. Je sais, dit-il. Et Philippe ? Il se fige. Attends. Il sait. A présent, j'en suis sûr. Il est entré. Ferme la porte derrière lui. Je descends dans le salon. Jen est là. C'est un peu comme l'équité. C'est assez terrible d'aimer les bêtes. Lorsque vous voyez dans un chien un être humain, vous ne pouvez pas vous empêcher de voir un chien dans l'homme et de l'aimer. Vous n'arrivez jamais à accéder à la misanthropie, au désespoir. Vous n'avez jamais la paix. Raid a été abattu le 27 novembre 1968 dans une rue de Détroit. Onze balles de mitraille tirées d'une voiture. Bayard s'est constitué prisonnier en février 1969, six mois après la naissance de son fils. Chapitre 24 Je suis revenu à Beverly Hills dans la maison d'Arbenne quelques semaines plus tard. Il m'est impossible de rester longtemps loin de l'Amérique parce que je ne suis pas encore assez vieux pour me désintéresser de l'avenir. De ce qui va m'arriver. Amérique est en train de nous vivre intensément, violemment, parfois inoubliablement. Mais face aux grandes raideurs cadavériques de l'Est, c'est un continent à l'état aigu. Quelque chose là-bas, douloureusement, cherche à naître. C'est la seule toute-puissance de l'Histoire à se poser des questions de ses crimes. Cela ne s'est jamais vu. C'est pourquoi, au plus profond de son désespoir, c'est un pays qui ne permet pas de désespérer. J'ai revu Chien Blanc. Il me faudra vivre très vieux pour parvenir à oublier nos retrouvailles. Il faudra que mon fils grandisse, devienne un homme parmi tant d'autres hommes enfin digne de ce nom. Il faudra que l'Amérique sorte de sa préhistoire et qu'un monde nouveau me permette enfin de mourir dans le soulagement et la gratitude de l'avoir entrevue. Depuis mon retour, j'essaie à plusieurs reprises de joindre Keynes au téléphone. Mais le disque répète de sa voix morte «You have reached a disconnected number». Ce numéro a été déconnecté. Chaque fois que j'entends cette phrase, je pense à toute une jeunesse et pas seulement américaine, aliénée, déconnectée. J'appelle Jack Carter à son domicile mais Keynes ne travaille plus chez lui. «He is in his business He is safe. Il s'est établi à son compte. J'ai son adresse au bureau. Attends. Attendez. C'est dans Cohen Street, derrière le terrain de football. Une maison verte à Clanton. La troisième rue à droite dans Florence Avenue. Lyot Kratzenberg qui est venu parler affaire à Jean. Nous la trouvons pas à la maison. M'offre de me conduire. Il connait le quartier. Nous descendons la bière. Nous sommes dans Queensway. Je suis passé par là il y a quelques semaines pour voir un film italien «La bataille d'Alger» sur ce terrain là-bas. Il me montre un terrain vague qui attend la hausse des prix à droite. Il y avait une vingtaine de gosses noirs en uniforme militaire avec des fusils de bois qui s'entraînaient au combat de rue sous la direction d'un instructeur, sans doute dans un syndicat du Vietnam. Pendant que je regardais le film, il a été interdit en France, je crois. C'est une reconstitution dans le style néoréaliste de la lutte héroïque des arabes contre les oppresseurs français. Je tique. Il n'y a aucune raison pour que les mots oppresseurs français me fassent tiquer. Mais ça grince intérieurement. Réflexe de Pavlov. J'ai été bien dressé. Alors que je regardais le film, le même groupe est entré assez boyamment dans la salle. Les gosses venaient là pour s'instruire. Lorsque les félaggards abattaient un soldat français dans la rue, l'instructeur leur haussait à haute voix des commentaires techniques. Chaque fois qu'un français tombait, il y avait des rires, des applaudissements. Qu'est-ce que vous en dites ? Je le vise entre les deux yeux. Qu'est-ce que cela aurait été si le film avait montré la lutte théorique des palestiniens contre les oppresseurs israéliens ? Il tique. Nous roulons un moment dans un silence hostile. Je crois que c'est ici, dit Lloyd. C'est en tout cas la seule maison vers de la rue. Et il y a en effet un terrain de football un peu plus loin. Les enfants noirs nous regardent, assis sur le trottoir. J'aperçois alors une autre maison verte, de l'autre côté de la rue, légèrement en retrait. Nous sortons de la voiture. Demandez si Keynes habite là. Moi, je vais voir en face. Je traverse la rue. Je tourne le doigt à la première maison. Je ne sais pourquoi. J'éprouve au moment où j'écris le besoin de préciser que je portais un costume de lin blanc. Peut-être à cause du verre de Victor Hugo qui a fait rire tant de lycéens. Vêtus de probité, candide et de lin blanc. Je fais quelques pas sur le gazon sous les platanes. Soudain, j'entends derrière moi un cri de terreur, puis un hurlement de bête. Des abois à mon bref furieux. Rageur entrecoupée de silence parce que le chien devait avoir la gueule pleine. Je fais demi-tour et cours vers la maison. Il n'y a personne dans la petite cour. La porte est ouverte et j'entends à présent des cris d'enfants et ce hurlement de gorge de chien à la querelle. Lloyd était par terre, le visage et les mains couverts de sang, essayant de repousser Batka dont l'écrou cherche la gorge de l'homme. Il y a de nombreux enfants dans la pièce et le plus grand, qui ne doit pas avoir plus de cinq ans, essaie de tirer le chien par la queue, cependant qu'un autre gosse pleure d'une voix de greluchon. Les autres regardent immobiles. Je me jette sur Batka. Je reçois des coups de crocs comme des coups de couteaux qui me laissent tomber en jurant que la bête qui me mord profondément au ventre. Je roule sur le plancher, accroché au poil du chien qui cherche toujours la gorge de Lloyd et je vois qu'il s'ensuive debout sur l'escalier. Il est en train de rire. Combien de temps est-il resté ainsi, le sourire aux lèvres, les mains sur les hanches, en vainqueur, savourant son égalité. Black Dog, chien noir. J'entends encore ici à Andrex, où j'écris seul avec l'horizon, ma voix rageuse, où je reconnais à présent les coups de je ne sais quelle joie, de je ne sais quelle libération, comme si j'étais enfin parvenu à désespérer. Vous avez gagné, c'est chien noir maintenant. Batka venait sur moi. Il m'avait mordu à plusieurs reprises, mais aveuglément dans la mêlée alors que j'essayais de lui faire lâcher prise. Lloyd ne se défendait même plus. Il était étendu sur le dos, inerte, les bras repliés pour se protéger le visage. En une seconde, le chien fut sur moi. Je reçus une morsure au poignet et roulais en arrière. Ma nuque heurta le mur. J'attendais la bête baisser les poings l'avant. Il ne se passa rien. Je levais la tête. Je vis devant moi les yeux de ma mère, des yeux de chien fidèle. Batka me regardait. J'ai vu des camarades fauchés, agonisés à côté de moi, mais le ce que je voudrais me rappeler, ce qui peut être une expression de désespoir, d'incompréhension et de souffrance, c'est ce regard de chien que j'irais le chercher. Je levais brusquement la gueule. Il leva brusquement la gueule et lança un hurlement déchirant d'une tristesse de ténèbre. L'instant après, il était dehors. L'œil était sans connaissance. On lui fera quatorze points de suture et la perfaçon la plus profonde était à quelques millimètres à peine de sa carotide. Kents était immobile au-dessus de nous, dans l'escalier et dans sa nudité, il ressemble à la gigantesque figure de proue d'un vaisseau de nez gaillé. C'est ça que vous avez voulu. Vous, que vous avez cherché dès le début. Que chien blanc devienne chien noir. Vous avez gagné. Bravo et merci. Comme ça, au moins, nous ne sommes pas seuls à nous déshonorer. Oui, nous avons appris de vous pas mal de choses. Now, you can even do the teaching. A présent, nous pouvons même vous donner des leçons. Le choc et l'épuisement nerveux se mit en moi en une rancune enfantine par la démesure. Je me souviens aussi que je me disais, en regardant l'homme, moi, c'est nous, c'est nous, c'est nous. Je ne sais plus très bien ce que j'entendais par là. Peut-être, c'est nous qui l'avons dressé. Et ce n'est pas du tout cela que je lui dis. C'est parti tout seul du fond de ma rancune. Et il n'a pas manqué, le malin, de relever l'emphase de cette phrase que justifiait pourtant ma totale sincérité. Écoutez-moi, Keynes, les noirs comme nous, qui trahissent leurs frères et nous joignons dans la haine, perdent la seule bataille qui vaille la peine d'être gagnée. Il rit silencieusement. Je sais que vous êtes un écrivain connu, monsieur. Oh, ça va, chien blanc, chien noir, c'est tout ce que vous connaissez. We've got, well, we've got to be somewhere, dit-il. Il faut bien commencer par le commencement. L'égalité dans la chaînerie, légitime défense, c'est comme ça que ça s'appelle. C'est tout de même triste. Parce que les juifs se mettent à rêver d'une gestapo juive, et les noirs d'un coup plus qu'un noir. Son visage prend une expression d'extraordinaire fierté. Sa voix se libère, s'enfle, gronde. Je ne le reconnais plus. C'est la première fois que je le vois sortir de lui-même. Manifestement, soudain, des siècles de rancune accumulées. Ils nous ont tués. Vingt frères, cette année. On se défend, c'est tout. Mon boulot, c'est de dresser des chiens, nous. Pas des chiens de garde, des chiens d'attaque. Alors, vous verrez. J'entends les sirènes de la police et l'ambulance, et je revois encore l'visage de l'Hodge, le brancard, ses yeux stupéfaits, agrandis par l'horreur, et je regarde Keynes pour la dernière fois. Dommage, vous êtes en train de rater la seule vraie chance du peuple noir, celle d'être différents. Vous vous donnez beaucoup trop de mal pour nous ressembler. Vous nous faites trop d'honneur. Nous avons si bien fait les choses que, même si notre engagement disparaissait totalement, il n'aurait rien à changer. Rien de changé. Il se marre. C'est dans. That so it be, but let it not stop you from vanishing, le dit-il. Ça ne se peut, mais que cela ne vous empêche surtout pas de disparaître. Les flics nous écoutent sans rien comprendre. Ils veulent savoir si le chien a été vacciné contre la rage. Je leur dis qu'il n'y a pas encore de vaccin pour ça. Il courait à travers la ville. Sur son chemin, les voitures de police se passaient ce message. Watch out for a mad dog. Watch out for a mad dog. Il y avait dans ses yeux toute l'incompréhension et toute la détresse du croyant que son dieu d'amour a trahi. Au coin de la Sénégal, de la Santa Monica, la voiture de police du sergent John L. chercha à l'écraser, mais le manqua. Il était à ce moment-là presque arrivé. Il n'y avait plus que 200 mètres à faire jusqu'à Ardennes. Je l'ai trouvé dans les bras de Jane. Vingt minutes plus tard, il n'y avait pas trace de blessure sur son corps. Il s'était roulé en boule devant notre porte. Il était mort. Je suis resté à la clinique quinze jours, dont deux jours et trois nuits de sommeil drogué. Il y avait cependant des moments trépisculaires. Les pensées se reformaient dans ma tête et aussitôt se mettaient à triompher de moi. Cet espoir invincible qui me pose à voir dans toutes nos batailles perdues le prix de nos victoires futures. Je ne suis pas découragé, mais mon amour excessif de la vie rend mes rapports avec celle-ci très difficiles, comme il est difficile d'aimer une femme que l'on ne peut ni aider, ni changer, ni quitter. Lorsque je me suis réveillé, pour la première fois, j'ai vu Jane. Mais je la vois souvent, lorsqu'elle n'est pas là. Et puis, le temps d'un sourire, ce fut à nouveau une plongée dans l'oubli. Le lendemain matin, il y avait toujours Jane, mais il y avait aussi Madeleine, avec son enfant, François Gaston Claude. Je ne sais pas ce que ça donnera en Amérique. Comment va Bala ? Vous savez qu'il s'est constitué prisonnier ? Je sais. Il va être jugé bientôt. Il risque d'avoir cinq ans. Et vous Madeleine ? Il faudra bien qu'il me le rende un jour. La voix est calme, assurée. La voix des certitudes. Je pense à la cathédrale de Chartres. Je ne sais pourquoi. Je vais me trouver du travail. Elle sourit. Je souris moi aussi. La facilité. C'est un tel soulagement que de pouvoir enfin respecter quelqu'un. J'attends simplement de savoir dans quelle ville peut être produit. J'ai droit à deux visites par semaine. Nigalova, Nigalova. Andrext, septembre 1969. Vraiment extraordinaire ce roman. Chien Blanc de Romain Garry. Extraordinaire. J'ai vraiment adoré.

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