ARMÉNOLOBY is a new show that focuses on politics and media. Recent news includes Charles Michel, the president of the European Council, meeting with the Armenian prime minister and the Azerbaijani dictator. Belgium will also open a diplomatic representation in Armenia, which is welcomed by the Armenian community. The show's topic today is historian Ramsoukas Kizer's biography of Talat Pasha, known as the architect of the 1915 Armenian genocide. The discussion explores the significance of Talat Pasha in the context of modern Turkey and the challenges in Turkey-Europe relations. There is a need for Europe to recognize the deep-rooted problems in Turkey and address issues such as the Armenian genocide for true democratization to occur.
ARMÉNOLOBY, votre nouvelle émission avec Nicolas Tavitian et ses invités, tous les lundis à 15h et les mercredis à 11h. Bonjour et bienvenue sur ARMÉNOLOBY, l'émission qui s'intéresse au rouage de la politique et des médias. L'actualité belge et européenne est riche en ce qui nous concerne. Vous l'avez sans doute entendu, Charles Michel, qui est le président du Conseil européen, a réuni récemment le premier ministre arménien et le dictateur azerbaïdjanais. Et puis, plus près de nous, de manière plus concrète, la ministre des affaires étrangères de Belgique, Radja Labib, a annoncé aussi que la Belgique va ouvrir une représentation diplomatique en Arménie.
Cette décision a été accueillie très favorablement par le comité des Arméniens de Belgique qui avait plaidé cette cause auprès d'elle. Une ambassade, cela a beaucoup d'utilité, mais la plus évidente pour beaucoup d'Arméniens de Belgique est que leurs associés et leurs familles ne devront plus passer pour Moscou pour obtenir un visa pour la Belgique. Pour l'instant, seule la décision de principe est connue. Je vous promets de vous en dire davantage lors d'une prochaine émission que nous consacrerons spécialement à ce sujet.
Le sujet de l'émission d'aujourd'hui est tout autre, c'est un sujet d'actualité aussi, puisque le mardi 23, c'est-à-dire demain si vous écoutez l'émission le lundi, et hier si vous l'écoutez le mercredi, la Ville d'Ampin accueillera ou a accueilli l'historien Ramsoukas Kizer. Cet historien qui est très connu, qui est un spécialiste de la fin de l'Empire Ottoman et du début de la République Turque, il présentera sa biographie politique de Talat Pasha. Il paraît que c'est la première biographie en français du dirigeant jeune Turc qui est surtout connu comme l'architecte du génocide de 1915.
Ramsoukas Kizer sera accueilli et présenté à la Ville d'Ampin par le journaliste et politologue Gaëlle Minassian. Il est aussi journaliste au Monde et enseigne à Sciences Po Paris. Pour en savoir davantage donc, j'ai parlé à Gaëlle Minassian. J'ai voulu qu'il nous explique pourquoi parler aujourd'hui de Talat Pasha et en quoi le sujet peut servir à éclairer l'actualité. – Voilà, bonjour Gaëlle, bienvenue. – Nicolas, bonjour Nicolas et merci. – Alors, vous êtes connue comme journaliste, comme politologue et vous animez régulièrement des conférences à la Ville d'Ampin, accueillie donc par la Fondation Borossian.
Mardi prochain, il y aura une conférence sur un thème très particulier avec Ramsoukas Kizer, l'historien. Parlez-nous de cette conférence, de son thème et dites-nous pourquoi vous l'organisez. – Alors, merci de l'invitation. Ça fait maintenant quelques années que la Fondation Borossian m'a confié la charge d'animer quelques fois par an, à peu près 6 fois, 7 fois, une conférence d'actualité mais avec un sujet assez profond sur un thème entre, je dirais, Orient-Occident qui est l'ADN de la Fondation Borossian.
Et donc, moi, avec grand plaisir, je m'investis dans cet exercice. Et normalement, on a deux rendez-vous réguliers en avril et en novembre. Le premier sur un sujet autour de l'Arménie et en novembre, un sujet autour du Liban. Cette année, le sujet sur l'Arménie tombe au mois de mai parce que les éditions, CMRS Editions, ont publié une version française de la biographie de Talat Pacha qui est sortie il y a quelques années en anglais et en allemand.
Et le livre que je vous présente ici, c'est de Hans-Lukas Kieser. C'est un livre qui est sorti au mois de mai, là, mais je crois qu'il n'est pas encore sorti exactement. Il va sortir le 25 mai. Et on a dû, avec la direction de la Fondation, repousser un petit peu la conférence du mois d'avril consacrée à une question arménienne au mois de mai. Donc c'était en rapport aussi avec les élections en Turquie. Ce livre devait sortir quelques semaines avant le scrutin en Turquie.
Mais comme le scrutin en Turquie a été avancé de 1 mois, du 18 juin au 14 mai, donc nous, on ne pouvait pas changer, CMRS Editions ne pouvait pas changer son propre calendrier. Donc c'est pas plus mal parce que... – C'est la version française du livre, je crois, non ? – C'est ça. C'est la version française. C'est traduit magistralement par Garo Hulubéyan qui connaît bien le sujet. C'est un encyclopédiste puisqu'il travaille sur des encyclopédies, journaliste également.
Et ce qui est intéressant dans cet ouvrage, c'est à la fois le fait que ce soit une première en français. Il faut attendre 2023 pour avoir une biographie de Talat Kocha. C'était quand même assez révélateur. Et puis outre la résonance avec l'actualité, il y a une préface extraordinaire. Je ne dis pas ça parce que je le tiens entre les mains, mais d'Antoine Garapon. Et apparemment, l'auteur, l'éditeur et le traducteur ont sûrement dû vouloir mettre l'accent sur le volet juridique de la biographie de Talat Kocha et pas sur le volet historique uniquement, puisqu'Antoine Garapon est un grand juriste français, européen et mondialement reconnu parmi la communauté des juristes.
Et c'était très important de recevoir Hans-Lucas Kieser en exclusivité à la Fondation Boghossian de la Ville à Rampin parce que la Belgique étant la capitale de l'Europe, un pays très important sur la scène européenne, voire mondiale, puisque c'est le siège de l'OTAN. La Turquie est membre de l'OTAN. La Turquie tape à la porte de l'Union Européenne. Enfin bref, on connaît tout ça et vous connaissez ça mieux que moi à vous à Bruxelles. Et donc recevoir... – Nous sommes de la même opinion que la Belgique est un pays très important, c'est clair.
– C'est vrai, je ne dis pas ça parce que vous êtes au bout du fil ou au bout de la caméra, mais le fait est que la capitale de l'Union Européenne est en même temps le siège de l'OTAN, c'est pas rien. Et donc recevoir en exclusivité Hans-Lucas Kieser à propos de son livre sur Talat Pasha résonne de façon particulière, vu à la fois la relation entre l'Union Européenne et la Turquie, l'Union Européenne et l'Arménie, et puis tout simplement l'implication des opinions publiques de plus en plus désinhibées.
Les opinions publiques comptent plus, les opinions publiques veulent davantage participer au processus de décision. Bref, tout ceci participe de cette prise de conscience de la tyrannie d'un homme, de la barbarie d'un homme, parce que ça ressort effectivement dans cet ouvrage massif qui fait 611 pages. – Oui, mais donc Talat Pasha c'est d'abord avant tout l'architecte du génocide, c'était l'un des trois membres du Triumvirat qui gouvernait la Turquie pendant la Première Guerre mondiale. Quelle est son importance aujourd'hui ? Quelle est la signification ? Peut-être qu'il transparaît dans le livre ou qu'il transparaîtra à la conférence.
Pourquoi s'intéresser à lui aujourd'hui ? – Alors c'est une bonne question parce qu'en fait Ransouka Schiesser répond tout de suite dans le sous-titre de son ouvrage. Le titre est Talat Pasha. Et le sous-titre, et ça répond à votre question, l'autre fondateur de la Turquie moderne, architecte du génocide des Arméniens. – Donc l'autre fondateur avec Mustafa Kemal, bien sûr. – Exactement. Et en fait Talat Pasha arrive à un moment donné dans l'histoire politique turque, l'histoire tout court de l'Empire ottoman, où on sent qu'il y a un processus parallèle entre une sortie d'un empire, que l'on ne peut pas accepter mais qu'il y a une sortie d'un empire, et de l'autre côté la construction de quelque chose de nouveau.
Et en fait le génocide arménien c'est quoi ? C'est une volonté d'un régime, jeune turc, dirigé entre autres par Talat Pasha, donc une volonté d'un régime de transformer un empire en un état-nation, sur la même assiette territoriale, ce qui est impossible, d'où le génocide. – Oui. – On n'a jamais vu ça. Et donc c'est en cela que Talat Pasha est l'autre fondateur de la Turquie moderne, parce qu'il a posé les jalons de la modernité turque pour aller vers quelque chose qui s'appelle la Turquie républicaine.
Sauf que Talat imaginait cette Turquie Kemal de 23, non pas sur le territoire que l'on connaît aujourd'hui de la Turquie, mais sur l'ensemble de ce qui restait de l'Empire ottoman. C'est-à-dire qu'en gros la Turquie de Talat, c'est la Turquie de Kemal en plus grand. Voilà. – L'Empire ottoman, c'est-à-dire avec les territoires des pays arabes actuels. – Exactement, puisque le régime jeune turc est arrivé au pouvoir en 1908 pour empêcher le démembrement de l'Empire. Et on a vu que quelques mois après la révolution jeune turc, dès le mois d'octobre, il y a eu à nouveau la crise bosniens et bovines.
Et là, on a vu que c'était trop tard, que le démembrement était inéluctable, et que la suite allait s'annoncer avec la guerre tripolitaine, avec la guerre en Albanie, puis les guerres balkaniques, etc. Et la Première Guerre mondiale. Donc Talat Pasha est d'une modernité implacable pour comprendre la Turquie d'aujourd'hui. Et d'ailleurs, c'est tellement d'actualité que l'une des références de Talat Pasha, c'est Zia Gogalp. C'est un théoricien du panturquisme qui est né en Turquie. Et Zia Gogalp, qui a théorisé sur la transformation de l'Empire en état-nation turc, est aussi la référence d'Erdogan.
Et Erdogan est la synthèse d'Abdoulhamid II, de Zia Gogalp et de Moustapha Kemal. Mais pas de Talat Pasha. Erdogan ne se voit pas comme l'héritier Talat Pasha. Bien sûr, j'allais dire, à travers Zia Gogalp, c'est Talat Pasha. Donc voilà, Abdoulhamid II, Zia Gogalp, Talat Pasha et Kemal. Erdogan et tout ça. C'est-à-dire qu'il y a une continuité entre les projets de ces personnalités, Zia Gogalp, Talat Pasha, Moustapha Kemal et Abdoulhamid, et le projet du dirigeant turc actuel.
La principale source de cette résonance entre ces deux époques, c'est l'idée d'un état violent structurellement. L'état violent structurellement, c'est quoi ? C'est l'idée qu'au sein même du corps social, vous avez un élément, un segment que vous considérez comme votre ennemi. L'autre n'existe pas. Soit il est détruit, soit il doit disparaître, soit il doit quitter l'espace social. Et à partir du moment où je parle souvent de violence structurelle, je parle de ce point-là. C'est-à-dire que l'état turc est un état qui est structurellement violent en raison de ce que je viens de vous dire.
Et ça, c'est la continuité de l'Empire jusqu'à aujourd'hui. On voit bien comment Erdogan, aujourd'hui, criminalise l'autre. Même son principal rival, Kemal Kiliç Adorlu. Donc il en fait un ennemi. Je ne vous parle même pas des Kurdes, des Alevis dont se réclame Kiliç Adorlu, ou des minorités chrétiennes, du moins ce qu'il en reste. Ça va poser un sérieux problème dans les années qui viennent, d'ailleurs. Mais on en est là. Ça, c'est la principale raison du lien. Après, il y a par exemple la concentration du pouvoir autour d'un homme, Erdogan, Kemal, ou Talat Pasha, ou Abdelhamid II.
Il y a le lien entre l'islam-nationalisme, il y a le lien entre sultan et confrérie. En bref, il n'y a que des liens. Erdogan est la synthèse de tout ça. Et cette violence, c'est une fatalité pour la Turquie ? Oui, à partir du moment où vous n'essayez pas d'extraire de votre État cette violence structurelle, et que vous vivez avec, quel que soit le sujet important à l'agenda du pouvoir en Turquie, vous avez ce réflexe d'usage de la violence pour régler une question.
En fait, on ne règle rien, on repousse le traitement. Et quelle est l'implication de cette analyse-là pour les perspectives de relation entre la Turquie et l'Arménie ? Ça n'a pas l'air très prometteur, ce que vous dites. Non, non, effectivement. Soit il a un éclair de lucidité, Erdogan, quand il va gagner dans quelques jours, parce que bon, il reste 0-5 points, il devrait l'emporter largement. Soit il a un éclair de lucidité et il se dit, je ne peux pas commencer mon mandat dans l'inimitié à l'égard de l'Europe, etc.
Et à ce moment-là, il y a un virage à 180 degrés et il redevient celui qu'il était en 2003, 2004, 2005, c'est-à-dire modéré, ouvert, tolérant, prêt à trouver des solutions. Soit il s'enfonce dans ce qu'il est depuis 2012, surtout 2015-2016, c'est-à-dire un hyper-autocrate, un dirigeant dangereux pour à la fois la société turque, mais aussi son voisinage, dont l'Arménie. C'est quelqu'un qui essaye de résoudre les problèmes en se trouvant un ennemi, en quelque sorte. Mais bien sûr.
Des ennemis, oui. Souvenez-vous, c'était en 2001, il y avait un ouvrage fondamental d'Ahmet Davoudorlu, l'ancien ministre des Affaires étrangères, qui a rejoint d'ailleurs la coalition de Pélica-Dorlu, sur la profondeur stratégique de la Turquie. Zéro problème aux frontières. Donc zéro problème avec nos voisins. Or ce principe, qui était intéressant d'ailleurs, qui était une preuve d'ouverture et de volonté de créer une sorte de nouvel espace de tolérance et de paix avec son voisinage, qui prenait à contre-pied le principe même de l'état structurellement violent, et bien ce principe de zéro problème aux frontières est devenu en fait que des problèmes avec les voisins.
Aujourd'hui vous avez de la Grèce à l'Arménie, en passant par la Syrie, l'Irak et l'Iran, sans compter Chypre, sans compter les Balkans, vous n'avez que des problèmes. Vous passez à zéro voisin sans problème. Voilà, exactement. Et donc il reste la Georgie et puis la relation particulière avec la Russie soutienne. Donc il y a une forte résonance. Il ne peut pas y avoir de démocratie et de démocratisation irréversible en Turquie si vous ne réglez pas trois problèmes.
Cousin, voisin, convergent. La question arménienne, la question kurde et la question gréco-chypriote pour faire simple. Si l'une avance, les deux autres progressent, et inversement. C'est pour ça que les trois acteurs, les arméniens, les kurdes et les gréco-chypriotes, les grecs et les chypriotes, se regardent, s'observent pour voir quelle est l'évolution de leur dossier en Turquie. Mais tout ça, ce sont des restes d'empires, ce sont des restes d'impérialisme de la part de la Turquie, ce sont des problèmes d'hier et d'aujourd'hui et de demain, ce sont des problèmes de devant et de dehors, et ce sont des problèmes d'identité et d'altérité.
On est vraiment au cœur de la question turque, d'autant que, parce que tout ça, ça devient des questions turques, d'autant que, vu les résultats du premier scrutin du 14 mai et qui va sûrement se confirmer le 28 mai, eh bien, on a le sentiment que, comme c'est un vote identitaire qui a eu lieu, on a le sentiment, en Turquie, on a le sentiment qu'il y a une recomposition du spectre politique turc autour de l'ultranationalisme. Et c'est ça qui est dans l'œuvre, pour tout le monde, à commencer pour la société civile turque.
Oui, d'autant que l'un des opposants à Erdogan au premier tour était lui-même un ultranationaliste. Donc Erdogan n'est pas du tout à l'extrême du spectre. Exactement. Et beaucoup ont cru que le débat allait se jouer entre islamo-conservateur et démocrate, je dirais, islamo-démocrate ou démocrate-nationaliste. Non, non. Le débat porte entre nationalisme et ultranationalisme. Oui. Ultranationalisme étant le train de l'emporter. Alors, par rapport à la manière européenne, on va dire, on va prendre l'Europe d'une manière générale. Je sais que chaque pays a sa perspective et son histoire, mais au fil des années, il y a eu de nombreuses discussions.
J'ai suivi le débat en Europe, dans les institutions européennes, sur la Turquie. Et on n'a pas l'impression que ce type d'analyse soit compris. C'est-à-dire qu'il y a des problèmes structurels en Turquie et que, par exemple, la manière d'aborder le génocide en Turquie, mais aussi la question chypriote, aussi la question kurde, ce sont des symptômes d'un mal très profond en Turquie et qu'on ne peut pas normaliser la Turquie, ni dans ses relations avec les voisins, ni dans son mode de gouvernance intérieur, sans aborder ces questions-là.
C'est-à-dire que tout est lié d'une certaine manière. Il y a eu une approche très superficielle en Europe. Alors, comment se fait-il ? Est-ce que, d'abord, vous êtes d'accord sur les diagnostics ? C'est-à-dire qu'en Europe, on a du mal à saisir à quel point ce problème est profond. On a une perspective un peu à court terme. On espère toujours que le dirigeant suivant va remettre la Turquie sur la voie de la paix et de la démocratisation. Oui, alors, est-ce que vous êtes d'accord sur les diagnostics ? Et comment expliquer cette attitude ? – D'abord, je suis d'accord avec votre diagnostic, ça c'est clair.
Vous l'avez dit deux fois et je le répète une troisième fois. Je partage votre analyse et moi je pense que j'y vois deux choses. D'abord, un problème, je dirais, de conscience qui va entraîner un problème d'agenda. Le problème de conscience, c'est qu'on a le sentiment que le génocide arménien est loin derrière nous, nous Européens. On a le sentiment que ça appartient au passé. On a le sentiment que ça dépend de l'état des lieux en Turquie actuelle.
C'est-à-dire que c'est un problème intérieur, pour faire simple. Et à partir de cet état d'esprit, on veut lier, et les Européens ont raison là-dessus mais il y a un problème quand même, on veut lier la reconnaissance du génocide à la démocratisation de la Turquie. Sauf que, quand on est belge d'origine arménienne, français d'origine arménienne, on souhaiterait que la reconnaissance du génocide soit impréalable en amont et pas à la fin d'un processus. On souhaiterait que, par exemple, les critères de Copenhague soient adaptés en fonction de l'état de puissance, l'histoire, l'identité, la place de l'état candidat.
Parce que les critères de Copenhague sont valables pour tout le monde, mais qu'il n'y a pas de critères à la carte. Or, il faudrait, pour que vraiment on ait le sentiment que la démocratie est irréversible, il faudrait que la reconnaissance du génocide des Arméniens, au nom de la valeur et au nom de la démocratie en Turquie, et les libertés, etc., il faudrait en faire un préalable. Et ça, non pas pour antiquiner Ankara, mais pour sauver, je dirais, le citoyen turc du narratif nationaliste qui l'empêche d'avancer et de penser.
La différence qu'il y a entre un citoyen turc qui a reconnu le génocide des Arméniens et un autre qui n'a pas reconnu le génocide des Arméniens, c'est quoi ? C'est qu'il y en a un qui est libéré d'un poids officiel et qui vit pleinement sa citoyenneté, sa liberté de penser, etc., et qui voit l'autre comme son égal. Il y a un travail réparateur à faire, mais il voit l'autre comme son égal. En revanche, le citoyen turc qui reste collé à un discours officiel, lui, il est dans un narratif nationaliste.
Et c'est la porte ouverte au CHP, au MHP, à la KP, voire à des mouvements plus marginaux, mais encore plus ultranationalistes. Donc, on n'en sort pas. Et l'Europe veut mettre en aval d'un processus la reconnaissance du génocide des Arméniens. Jusqu'à maintenant, c'était ça. Alors qu'elle devrait prendre conscience qu'il ne peut pas y avoir de reconnaissance du génocide des Arméniens en aval, alors que cette question est profondément liée en amont à la démocratisation, la déconcentration, la décriminalisation de l'État turc.
Donc, ce n'est pas une erreur de diagnostic, c'est une erreur de traitement de la part de l'Europe. On va dire que c'est peut-être une vision un peu bureaucratique de la démocratie. Une vision très procédurale de la démocratie. Il faut se rendre compte qu'une démocratie ne peut avoir lieu que dans une société qui est libérée de ce type de poids, de cette interdiction, de ce tabou. Ça va plus loin qu'une lecture bureaucratique. C'est politique. Ça relève de la souveraineté des États.
La Turquie est membre de l'Alliance. La Turquie est un grand marché dont l'économie est parfaitement intégrée au marché européen. Donc, ce n'est pas que bureaucratique, c'est aussi politique. Et on a réussi à faire tomber l'apartheid en Afrique du Sud, fort heureusement, au tournant des années 90, grâce à des pressions extérieures, européennes, américaines, etc. Je pense qu'il serait souhaitable de maintenir cette pression, alors pas n'importe comment, pas de manière débile et batanguère, mais en multipliant les démarches auprès des autorités européennes et des autorités turques et de la société civile turque, pour faire comprendre qu'il ne peut pas y avoir de paix régionale tant qu'il y aura ce négationnisme d'État, tant qu'il y aura cet ultra-nationalisme comme narratif qui empêchera la question kurde d'évoluer, la question grecque et chypriote de progresser.
Et en fait, pourquoi je dis ça ? Extrait à la violence structurelle de l'État turc, c'est remettre les clés des libertés de la démocratie aux citoyens turcs et c'est dénationaliser les politiques publiques turques et, par ricochet, dénationaliser les nationalismes des voisins, y compris le nationalisme arménien. Oui, c'est-à-dire inviter tout le monde à se détendre un petit peu. Et travailler pour l'avenir et pour la paix. Et Turquie serait une sorte de pôle attractif, puisque c'est le marché le plus important, c'est l'économie la plus développée, même s'il y a des retards, notamment dans les provinces, mais ça reste un marché fort, une économie qui est grippée aujourd'hui, mais qui est une économie qui peut être prometteuse si elle est bien gérée.
Bref, ce que je veux dire, c'est que si la Turquie basculait dans autre chose que la logique impériale, elle pourrait devenir ce pôle attractif, redistributeur de paix, dans toute la région, des Balkans au Caucase, en passant par le Proche-Orient. – Voilà qui donne à réfléchir, on va en rester là. – Sauf qu'il reste dans un logiciel impérial, et c'est également le cas pour la Russie. – Oui, la Russie ce sera pour une autre fois, on en parlera lors d'une prochaine émission, c'est une bonne idée.
– Merci beaucoup Gaët, c'est une conclusion tout à fait appropriée. On va rappeler que la conférence est à la Fondation Groscian, à la Villa Hopin, le 23 mai à 19h, donc c'est Gaët Minassian et Hans-Lucas Kieser, et donc pour la suite, rendez-vous mardi. Merci beaucoup Gaët. – Merci Nicolas, et bon courage à vous. Sous-titrage ST' 501 – Sous-titrage ST' 501