Une certaine dose de peau, de peau, et une certaine dose de peau et, et, et, et, et vie ! Le temps est venu, des nuages rouges, de l'été vif, et de l'enfance joue écarlate. L'air a goût de paille, et dansent sur les robes les gentils coquelicots, mesdames, des souvenirs lointains. Le temps est venu, de la pavane des grandes soifs, sur l'orbe de Gaïa fragile. L'enfance foule d'instincts, l'humus de feuilles pêle-mêles, et de cette peau, retournée du sec, qu'elle sème, pleut et soigne de ses doigts de magicien, s'élève un jardin lent, aux odeurs de girofles, et aux espoirs violents, suivent des oiseaux plumes, pavanes d'échevellements d'ailes, sur le grelot des fleurs.
Agnès Bruger, La pavane du sec Au sortir du rêve, les spectateurs s'éveillèrent transformés en feuilles mortes. Yann Béthins, Vivre sa vie, extrait Le jeu d'échec Je commence ainsi à prendre conscience que si je continue à tirer sur ce fil, le fil du jeu d'échec, c'est toute la pelote de ma vie qui pourrait se dévider, se débobiner et se dérouler dans ses pages. Un large pan de mon passé enfoui reviendrait à la vie. Ce seraient les feux des parties d'échec avec mon père au Portugal qui se rallumeraient soudain sur la scène de ce livre.
Ce seraient les lieux de mon enfance à Bruxelles qui sortiraient de la gangue de brouillards où ils étaient depuis si longtemps ensevelis que je verrais s'incarner sous mes yeux dans une évocation purement littéraire. Car les lieux de notre enfance n'appartiennent plus au monde matériel, ils sont devenus une composante du temps et ce n'est qu'en moi-même que je pourrais les retrouver, ce n'est que par l'écriture que je pourrais les faire revivre. Jean-Philippe Toussaint Les Chiquiers Exprès Le visage de la grand-mère de Proust est inscrit dans une matière incorruptible avec une inclinaison qui lui permet d'être à la hauteur de l'enfance du narrateur.
Mais cette grand-mère éclairée ne peut pas bouger, elle est clouée sur un fond pour mieux la discerner et elle reste ainsi avec une voix que nous n'entendons pas mais que le narrateur entend lorsque les contours de sa grand-mère envahissent le temps présent. Alors que celui du narrateur est aboli et retourne au néant de l'autre côté des années, sans oublier la robe de chambre portée par la grand-mère qui plonge à pic dans le passé enfouie dans l'obscurité.
Mais l'inclinaison du visage, si adaptée à la tendresse des années de l'enfant, du chocolat des pâtisseries qui sont contenues dans les replis de l'habit de la grand-mère qui n'est pas effacé, qui s'est levée sur les décombres des années en rejetant le présent de la réalité dans l'indéterminé et nous apprenant qu'entre ces deux extrêmes il ne reste qu'un passé où rien ne s'est passé. Puisque le narrateur ne vit jour après jour que pour oublier, tassant ainsi année après année le néant de notre vie passée.
Vianney la Combe, la robe de chambre de la grand-mère de Proust. Une fois, une seule fois, un rêve m'a rappelé à la poésie, une vision plutôt, celle d'un arbre bleu. Je ne contemplais pas l'arbre en entier, je participais à la respiration de ses branches comme à la respiration du ciel, de très légères nuances permettant de les distinguer sans les désunir et en même temps une voix me disait C'est ainsi qu'il te faut écrire, ne cherche pas ailleurs, c'est cela la beauté.
Je l'approuvais sans réserve, c'était à la fin d'une nuit, la dernière où j'eus droit à la morphine, j'ai gardé longtemps la sensation qu'elle me donna du bien-être. Pierre Desnault, Retour sur Écoute, extrait En somme, il est difficile de définir en termes précis l'indétermination des états d'âme amoureux qui consistent en une impatience joyeuse de posséder un vide, en une attente gloutonne de ce qui pourra venir à ma rencontre depuis le vide, avec en même temps la douleur d'être toujours privée de ce pourquoi je suis dans un état d'attente impatiente et gloutonne, avec cette souffrance déchirante que j'éprouve de me sentir virtuellement doublée afin de posséder virtuellement quelque chose ou un objet virtuellement mien et à la fois contraint à ne pas posséder, à considérer comme non-moi, et donc par conséquent virtuellement d'un autre, ce que virtuellement je possède.
Italo Calvino, Temps Zéro, Traduction de l'italien, Jean Thibauda Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org Il marche, il commence à marcher dans la lumière du jour d'été, dans la chaleur blanche, éblouissante, et bientôt devant lui qui la regarde, là devant lui sur le sable, elle dit qu'il fait si beau, si chaud qu'il faut retirer le manteau, oui, c'est là, quand à cause de la chaleur si grande, elle commence à retirer le manteau, qu'en lui tendant le sac qu'elle porte au poignet, elle se défait du manteau et que d'un coup, d'un seul et même long regard, sans qu'il s'y attende et sans qu'il contraine, elle laisse apparaître la robe.
Car ce ne serait pas cette robe qu'on a dite et qu'on voit sur les photographies, la robe triste et morne qu'elle revêt les jours qu'elle veut paraître bien mise, ce ne serait pas cette robe-là de vieille proprette et bien mise, avec ses rayures pâles dans le sombre de l'étoffe, ce serait une autre, et qu'il ne lui aurait jamais vue, bleue comme ses yeux, bleue comme la mer, où ils sont, ce jour-là, une robe longue et bleue, si légère dans le vent, qu'elle lui paraît d'un autre temps, une robe comme autrefois, lui semble-t-il, et d'un coton, d'une toile qui dit le radieux d'un jour d'été, une étoffe qui se lève dans le vent légère, bat les chevilles, et parfois d'un grand mouvement vole autour d'elle, un calico, une étamine bleue, une toile douce où passe l'air, la brise du bord de l'eau, Michel déborde, la robe bleue extrait.