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Le Chaos Social de René GUENON dans La Crise du Monde Moderne 1946 (Folio Essais)

Le Chaos Social de René GUENON dans La Crise du Monde Moderne 1946 (Folio Essais)

HOUYENGAHHOUYENGAH

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L'idée de démocratie est une illusion. Plus on donne la possibilité aux plus faibles de peser dans le débat politique, plus le chaos s'installe et plus on gouverne par les émotions imposées aux plus naïfs... C'est le propos de René GUENON, qui rappelle que l'aristocratie vaut mieux que la démocratie... Réné GUENON est celui qui influence le plus Alexandre DOUGUINE, le cerveau de POUTINE. Alors faut-il gouverner par le maillon faible, les comédiens,... faut-il gouverner par les hommes durs...?

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In this transcription, the author discusses the social chaos in the modern world. They argue that the elimination of social hierarchies and the promotion of equality has led to a lack of stability and a disregard for individual differences. They criticize the idea of equality, stating that it is impossible for two beings to be both distinct and completely similar. The author also highlights the influence of false ideas and verbalism in shaping public opinion, particularly through the use of emotional appeals. They emphasize the negative consequences of denying true hierarchy, such as individuals being assigned to roles for which they are not qualified. The author concludes by suggesting that this confusion and incompetence are natural outcomes of democratic ideals that prioritize majority rule over competence. Je vais partager un texte issu du livre La crise du monde moderne écrit par René Guénon, un livre écrit il y a bien longtemps, et donc René Guénon est un franc-maçon de la grande loge de France qui s'est converti au soufisme. Il est né à Blois et mort au Caire. Il a écrit un livre publié chez Gallimard en 1946, donc on est juste après-guerre. 1946 après-guerre, la deuxième guerre mondiale. Nous sommes sur un chapitre intitulé le chaos social. En 1946 on parle de chaos social. Chapitre 6 La crise du monde moderne, le chaos social. Nous n'entendons pas dans cette étude nous attacher spécialement au point de vue social ce qui ne nous intéresse que très indirectement parce qu'il ne représente qu'une application assez lointaine des principes fondamentaux et que par conséquent ce n'est point dans ce domaine que pourrait, en tout cas en tout état de cause, commencer un redressement du monde moderne. Ce redressement en effet, s'il était ainsi entrepris à rebours, c'est-à-dire en partant des conséquences au lieu de partir des principes, on manquerait forcément de bases sérieuses et serait tout à fait usoir. Rien de stable ne pourrait jamais en résulter et tout serait à recommencer incessamment parce qu'on aurait négligé de s'entendre avant tout sur les vérités essentielles. C'est pourquoi il ne nous est pas possible d'accorder aux contingences politiques, même en donnant ce mot son sens le plus large, une valeur autre que celle de simple signe extérieur de la mentalité d'une époque. Mais sous ce rapport même, nous ne pouvons pas non plus passer entièrement sous silence les manifestations du désordre moderne dans le domaine social proprement dit. Comme nous l'indiquions tout à l'heure, personne dans l'état présent du monde occidental ne se trouve plus à la place qui lui convient normalement en raison de sa nature propre. C'est ce qu'on exprime en disant que les castes n'existent plus car la caste, entendu dans son vrai sens traditionnel, n'est pas autre chose que la nature individuelle elle-même avec tout l'ensemble des aptitudes spéciales qu'elle comporte et qui prédispose chaque homme à l'accomplissement de telle ou telle fonction déterminée. Dès lors que l'accession à des fonctions quelconques n'est plus soumise à aucune règle légitime, il en résulte inévitablement que chacun se trouvera à mener à faire n'importe quoi et souvent ce pour quoi il est le moins qualifié. Le rôle qu'il jouera dans la société sera déterminé non pas par le hasard qui n'existe pas en réalité, mais par ce qui peut donner l'illusion du hasard, c'est-à-dire par l'enchevêtrement de toutes sortes de circonstances accidentelles. Ce qui y interviendra le moins, ce sera précisément le seul facteur qui devrait compter en pareil cas, nous voulons dire, les différences de nature qui existent entre les hommes. La cause de tout ce désordre, c'est la négation de ces différences elles-mêmes en prenant celles de toute hiérarchie sociale, et cette négation d'abord peut-être à peine consciente et plus pratique que théorique, car la confusion des castes a précédé leur suppression complète, ou en d'autres termes, on s'est mépris sur la nature des individus avant d'arriver à n'en plus tenir aucun compte. Cette négation, disons-nous, a été ensuite érigée par les modernes en pseudo-principe sous le nom d'égalité. Il serait trop facile de montrer que l'égalité ne peut exister nulle part, par la simple raison qu'il ne saurait y avoir deux êtres qui soient à la fois réellement distincts et entièrement semblables entre eux sous tous les rapports. Il ne serait pas moins facile de faire ressortir toutes les conséquences absurdes qui découlent de cette idée chimérique, au nom de laquelle on prétend imposer partout une uniformité complète, par exemple en distribuant à tous un enseignement identique, comme si tous étaient pareillement aptes à comprendre les mêmes choses, et comme si, par les leur faire comprendre, les mêmes méthodes convenaient à tous indistinctement. On peut d'ailleurs se demander s'il ne s'agit pas plutôt d'apprendre que de comprendre vraiment, c'est-à-dire si la mémoire n'est pas substituée à l'intelligence dans la conception toute verbale et livresque de l'enseignement actuel, où l'on ne vise que l'accumulation de notions rudimentaires et hétéroclites, et où la qualité est entièrement sacrifiée à la quantité, ainsi que cela se produit partout dans le monde moderne pour des raisons que nous expliquerons plus complètement par la suite. C'est toujours la dispersion dans la multisplicité. Il y aurait à ce propos bien des choses à dire sur les méfaits de l'instruction obligatoire, mais ce n'est pas le lieu d'insister là-dessus, et pour ne pas sortir du cadre que nous nous sommes tracés, nous devons nous contenter de signaler en passant cette conséquence spéciale des théories égalitaires comme un de ces éléments de désordre qui sont aujourd'hui trop nombreux pour qu'on puisse même avoir la prétention de les énumérer sans en nommer aucun. Naturellement, quand nous nous trouvons en présence d'une idée comme celle d'égalité, ou comme celle de progrès, ou comme les autres dogmes laïcs que presque tous nos contemporains acceptent aveuglément et dont la plupart ont commencé à se formuler nettement au cours du XVIIIe siècle, il ne nous est pas plus possible d'admettre que de telles idées aient pris naissance spontanément. Ce sont en somme de véritables suggestions, au sens le plus strict de ce mot, et qui ne pouvaient d'ailleurs produire leurs effets que dans un milieu déjà préparé à les recevoir. Elles n'ont pas créé de toute pièce l'état d'esprit qui caractérise l'époque moderne, mais elles ont largement contribué à l'entretenir et à le développer jusqu'à un point qu'il n'aurait sans doute pas atteint sans elles. Si ces suggestions venaient à s'évanouir, la mentalité générale serait bien prête à changer d'orientation. C'est pourquoi elles sont si soigneusement entretenues par tous ceux qui ont quelques intérêts à maintenir le désordre, sinon à l'aggraver encore, et aussi pourquoi, dans un temps où l'on prétend tout soumettre à la discussion, elles sont les seules choses qu'on ne se permet jamais de discuter. Il est d'ailleurs difficile de déterminer exactement le degré de sincérité de ceux qui se font les propagateurs de semblables idées, de savoir dans quelle mesure certains hommes en arrivent à se prendre à leurs propres mensonges et à se suggestionner eux-mêmes en suggestionnant les autres. Et même dans une propagande de ce genre, ceux qui jouent un rôle de dupes sont souvent les meilleurs instruments, parce qu'ils y apportent une conviction que les autres auraient quelques peines à simuler et qui est facilement contagieuse. Mais derrière tout cela, et tout au moins à l'origine, il faut une action beaucoup plus consciente, une direction qui ne peut venir que d'hommes sachant parfaitement à quoi s'en tenir sur les idées qu'ils lancent ainsi dans la circulation. Nous avons parlé d'idées, mais ce n'est que très impromptement que ce mot peut s'appliquer ici, car il est bien évident qu'il ne s'agit aucunement d'idées pures, ni même de quelque chose qui appartienne de près ou de loin à l'ordre intellectuel. Ce sont, si l'on veut, des idées fausses, mais mieux vaudrait encore les appeler des pseudo-idées, destinées principalement à provoquer des réactions sentimentales, ce qui est en effet le moyen le plus efficace et le plus aisé pour agir sur les masses. A cet égard, le mot a d'ailleurs une importance plus grande que la notion qu'il est censé représenter. Et la plupart des idoles modernes ne sont véritablement que des mots, car il se produit ici ce singulier phénomène connu sous le nom de verbalisme, où la sonorité des mots suffit à donner l'illusion de la pensée. L'influence que les orateurs exercent sur les foules est particulièrement caractéristique sous ce rapport, et il n'y a pas besoin de l'étudier de très près pour se rendre compte qu'il s'agit bien là d'un procédé de suggestion tout à fait comparable à ceux des hypnotiseurs. Mais, sans nous étendre davantage sur ces considérations, revenons aux conséquences qu'entraînent la négation de toute vraie hiérarchie, et notons que, dans le présent état de choses, non seulement un homme ne remplit sa fonction propre qu'exceptionnellement et comme par accident, alors que c'est le cas contraire qui devrait normalement être l'exception, mais encore, il arrive que le même homme soit appelé à exercer successivement des fonctions toutes différentes, comme s'il pouvait changer d'aptitude à volonté. Cela peut sembler paradoxal à une époque de spécialisation à outrance, et pourtant il en est bien ainsi, surtout dans l'ordre politique, si la compétence des spécialistes est souvent fort illusoire, et en tout cas limitée à un domaine très étroit. La croyance à cette compétence est cependant un fait, et l'on peut se demander comment il se fait que cette croyance ne joue plus aucun rôle quand il s'agit de la carrière des hommes politiques, où l'incompétence la plus complète est rarement un obstacle. Pourtant, si l'on y réfléchit, on s'aperçoit ainsi aisément qu'il n'y a là rien dont on doit s'étonner, et que ce n'est, en somme, qu'un résultat très naturel de la conception démocratique en vertu de laquelle le pouvoir vient d'en bas et s'appuie essentiellement sur la majorité, ce qui a nécessairement pour corollaire l'exclusion de toute véritable compétence, parce que la compétence est toujours une supériorité au moins relative, et ne peut être que l'apanage d'une minorité. Ici, quelques explications ne seront pas inutiles pour faire ressortir d'une part les sophismes qui se cachent sous l'idée démocratique, et d'autre part les liens qui rattachent cette même idée à tout l'ensemble de la mentalité moderne. Il est d'ailleurs presque superflu, étant donné le point de vue où nous nous plaçons, de faire remarquer que ces observations seront formulées en dehors de toutes les questions de parti et de toutes les querelles politiques auxquelles nous n'entendons nous mêler ni de près ni de loin. Nous envisageons ces choses d'une façon absolument désintéressée, comme nous pourrions le faire pour n'importe quel autre objet d'étude, et en cherchant seulement à nous rendre compte aussi nettement que possible de ce qu'il y a au fond de tout cela, ce qui est du reste la condition nécessaire et suffisante pour que se dissipent toutes les illusions que nos contemporains se font à ce sujet. Là aussi, il s'agit véritablement de suggestions, comme nous le disions tout à l'heure, pour des idées quelque peu différentes, mais néanmoins connexes. Et dès qu'on sait que ce n'est qu'une suggestion, dès qu'on a compris comment elle agit, il ne peut plus s'exercer. Contre des choses de ce genre, un examen quelque peu approfondi et purement objectif, comme on dit aujourd'hui dans le jargon spécial qu'on a emprunté aux philosophes allemands, se trouve être bien autrement efficace que toutes les déclamations sentimentales et toutes les polémiques de partis qui ne prouvent rien et ne sont que l'expression de simples préférences individuelles. L'argument le plus décisif contre la démocratie se résume en quelques mots. Le supérieur ne peut émaner de l'inférieur, parce que le plus ne peut pas sortir du moins. Cela est d'une rigueur mathématique absolue, contre laquelle rien ne saurait prévaloir. Il importe de remarquer que c'est précisément le même argument qui est appliqué. Dans un autre ordre, voici contre le matérialisement. Il n'a rien de fortuit dans cette concordance, et les deux choses sont beaucoup plus effraquement solidaires qu'il ne pourrait le sembler au premier bord. Il est trop évident que le peuple ne peut conférer un pouvoir qu'il ne possède pas lui-même. Le pouvoir véritable ne peut venir que d'en haut, et c'est pourquoi, disons-le en passant, il ne peut être légitimé que par la sanction de quelque chose de supérieur à l'ordre social, c'est-à-dire d'une autorité spirituelle. S'il y en a autrement, ce n'est plus qu'une contrefaçon de pouvoir, un état de fait qui est injustifiable par défaut de principe, et où il ne peut y avoir que désordre et confusion. Ce renversement de toute hiérarchie commence dès que le pouvoir temporel veut se rendre indépendant de l'autorité spirituelle, puis se la subordonner en prétendant la faire servir à des fins politiques. Il y a là une première usurpation qui ouvre la voie à toutes les autres, et l'on pourrait ainsi montrer que, par exemple, la réalité française depuis le XIVe siècle a travaillé elle-même inconsciemment à préparer la révolution qui devait la renverser. Peut-être aurons-nous quelques jours de l'occasion de développer comme il le mériterait ce point de vue que, pour le moment, nous ne pouvons qu'indiquer d'une façon très sommaire. Si l'on définit la démocratie comme le gouvernement du peu par lui-même, c'est là une véritable impossibilité, une chose qui ne peut pas même avoir une simple existence de fait, pas plus à notre époque qu'à n'importe quelle autre. Il ne faut pas se laisser duper par les mots, et il est contradictoire d'admettre que les mêmes hommes puissent être à la fois gouvernants et gouvernés, parce que, pour employer le langage aristotélicien, un même être ne peut pas être en acte et en puissance, et en même temps et sous le même rapport. Il y a là une relation qui se pose nécessairement de termes en présence. Il ne pourrait y avoir de gouverné s'il n'y avait aussi de gouvernant, fût-il illégitime et sans autre droit au pouvoir que celui qu'ils se sont attribués eux-mêmes. Mais la grande habilité des dirigeants dans le monde moderne est de faire croire au peuple qu'il se gouverne lui-même. Le peuple se laisse persuader d'autant plus volontiers qu'il en est flatté et que d'ailleurs il est incapable de réfléchir assez pour voir ce qu'il y a là d'impossible. C'est pour créer cette illusion qu'on a inventé le suffrage universel. C'est l'opinion de la majorité qui est supposée faire la loi, mais ce dont on ne s'aperçoit pas c'est que l'opinion est quelque chose que l'on peut très facilement diriger et modifier. On peut toujours à l'aide de suggestions appropriées y provoquer des courants allant dans tel ou tel sens déterminé. Nous ne savons plus qui a parlé de fabrique l'opinion et cette expression est tout à fait juste. Bien qu'il faille dire d'ailleurs que ce ne sont pas toujours les dirigeants apparents qui ont en réalité à leur disposition les moyens nécessaires pour obtenir ce résultat. Cette dernière remarque donne sans doute la raison pour laquelle l'incompétence des politiciens les plus sans vue semble n'avoir qu'une importance très relative. Mais comme il ne s'agit pas ici de démontrer les rouages de ce qu'on pourrait appeler la machine à gouverner, nous nous bornerons à signaler que cette incompétence même offre à l'avantage d'entretenir l'illusion dont nous venons de parler. C'est seulement dans ces conditions en effet que les politiciens en question peuvent apparaître comme l'émanation de la majorité étant ainsi à son image, car la majorité sur n'importe quel sujet qu'elle soit appelée à donner son avis est toujours constituée par les incompétents dont le nombre est incomparablement plus grand que celui des hommes qui sont capables de se prononcer en parfaite connaissance de cause. Ceci nous amène immédiatement à dire en quoi l'idée que la majorité doit faire la loi est essentiellement erronée, car même si cette idée par la force des choses est surtout théorique et ne peut correspondre à une réalité effective, il reste pourtant à expliquer comment elle a pu s'implanter dans l'esprit moderne, quelles sont les tendances de celui-ci auquel elle correspond et qu'elle s'attissait au moins en apparence. Le défaut le plus visible, c'est celui-là même que nous indiquions à l'instant. L'avis de la majorité ne peut être que l'expression de l'incompétence, que celle-ci résulte d'ailleurs du manque d'intelligence ou de l'ignorance pure et simple. On pourrait faire intervenir à ce propos certaines observations de psychologie collective et rappeler notamment ce fait assez connu que, dans une foule, l'ensemble des réactions mentales qui se produisent entre les individus composants aboutit à la formation d'une sorte de résultant qui est, non pas même au niveau de la moyenne, mais à celui des éléments les plus inférieurs. Il y aurait lieu aussi de faire remarquer d'autre part comment certains philosophes modernes ont voulu transporter dans l'ordre intellectuel la théorie démocratique qui fait prévaloir l'avis de la majorité, en faisant de ce qu'ils appellent le consentement universel un prétendu critérium de la vérité. En supposant même qu'il y ait effectivement une question sur laquelle tous les hommes soient d'accord, cet accord ne prouverait rien par lui-même. Mais en outre, si cette unanimité existait vraiment, ce qui est d'autant plus douteux qu'il y a toujours beaucoup d'hommes qui n'ont aucune opinion sur une question quelconque et qui ne se la sont jamais posée, il serait en tout cas impossible de la constater en fait, de sorte que ce qu'on invoque en faveur d'une opinion et comme signe de sa vérité serait dû à n'être que le consentement du plus grand nombre et encore en se bornant à un milieu forcément très limité dans l'espace et le temps. Dans ce domaine, il apparaît encore plus clairement que la théorie manque de base parce qu'il est plus facile de s'y soustraire à l'influence du sentiment qui au contraire entre en jeu presque inévitablement lorsqu'il s'agit du domaine politique. Et c'est cette influence qui est un des principaux obstacles à la compréhension de certaines choses, même chez ceux qui n'auraient pas ailleurs une capacité intellectuelle très largement suffisante pour parvenir sans peine à cette compréhension. Les impulsions émotives empêchent la réflexion et c'est une des plus vulgaires habilités de la politique que celle qui consiste à tirer parti de cette incompatibilité. Mais allons plus au fond de la question. Qu'est-ce exactement que cette loi du plus grand nombre qu'invoquent les gouvernements modernes et dont ils prétendent tirer leur seule justification ? C'est tout simplement la loi de la matière et de la force brutale, la loi même en vertu de laquelle une masse entraînée par son poids écrase tout ce qui se rencontre sur son passage. C'est là que se trouve précisément le point de jonction entre la conception démocratique et le matérialisme et c'est aussi ce qui fait que cette même conception est si étroitement liée à la mentalité actuelle. C'est le renversement complet de l'ordre normal puisque c'est la proclamation de la suprématie de la multiplicité comme telle suprématie qui en fait n'existe que dans le monde matériel. Au contraire, dans le monde spirituel et plus simplement encore dans l'ordre universel, c'est l'unité qui est au sommet de la hiérarchie car c'est elle qui est le principe dont sort toute multiplicité. Mais lorsque le principe est nié ou perdu de vue, il ne reste plus que la multiplicité pure qui s'identifie à la matière elle-même. D'autre part, l'allusion que nous venons de faire à la pesanteur implique plus qu'une simple comparaison. La pesanteur représente effectivement dans le domaine des forces physiques au sens plus ordinaire de ce mot la tendance descendante et compressive qui entraîne pour l'être une limitation de plus en plus étroite et qui va en même temps dans le sens de la multiplicité figurée ici par une densité de plus en plus grande. Cette tendance est celle-là même qui marque la direction suivant laquelle l'activité humaine s'est développée depuis le début de l'époque moderne. En outre, il y a lieu de remarquer que la matière, par son pouvoir de division et de limitation tout à la fois, est ce que la doctrine scolastique appelle le principe d'individuation et ceci rattache les considérations que nous exposons maintenant à ce que nous avons dit précédemment au sujet de l'individualisme. Cette même tendance dont il vient d'être question est aussi, pourrait-on dire, la tendance individualisante, celle selon laquelle s'effectue ce que la tradition judéo-chrétienne désigne sous la chute des êtres qui se sont séparés de l'unité originelle. La multiplicité envisagée en dehors de son principe et qui ainsi ne peut plus être ramenée à l'unité, c'est dans l'ordre social, la collectivité conçue comme étant simplement la somme arithmétique des individus qui la compose et qui n'est en effet que cela dès lors qu'elle n'est rattachée à aucun principe supérieur aux individus. Et la loi de la collectivité sous ce rapport, c'est bien cette loi du plus grand nombre sur laquelle se fonde l'idée démocratique. Ici, il faut nous arrêter un instant pour dissiper une confusion possible. En parlant de l'individualisme moderne, nous avons considéré à peu près exclusivement ces manifestations dans l'ordre intellectuel. On pourrait croire que, pour ce qui est de l'ordre social, le cas est tout différent. En effet, si l'on prenait ce mot d'individualisme dans son acception la plus étroite, on pourrait être tenté d'opposer la collectivité à l'individu et de penser que des traits tels que le rôle de plus en plus envahissant de l'État et la complexité croissante des instructions sociales sont la marque d'une tendance contraire à l'individualisme. En réalité, il n'en est rien, car la collectivité n'étant pas autre chose que la somme des individus ne peut être opposée à celle-ci, pas plus d'ailleurs que l'État lui-même conçu à la façon moderne, c'est-à-dire comme simple représentation de la masse, où ne se reflète aucun principe supérieur. Or, c'est précisément dans la négation de tout principe supérieur individuel que consiste véritablement l'individualisme tel que nous l'avons défini. Donc, s'il y a dans le domaine social des conflits entre diverses tendances qui toutes appartiennent également à l'esprit moderne, ces conflits ne sont pas entre l'individualisme en quelque chose d'autre, mais simplement entre les variétés multiples dont l'individualisme lui-même est susceptible. Et il est facile de se rendre compte qu'en l'absence de tout principe capable d'unifier réellement la multiplicité, de tels conflits doivent être plus nombreux et plus graves à notre époque qu'ils ne l'ont jamais été. Car qui dit individualisme dit nécessairement division. Et cette division, avec l'état chaotique qu'elle engendre, est la conséquence fatale d'une civilisation toute matérielle, puisque c'est la matière elle-même qui est proprement la racine de la division et de la multiplicité. Cela dit, il nous faut encore insister sur une conséquence immédiate de l'idée démocratique qui est la négation de l'élite, entendue dans sa seule acception légitime. Ce n'est pour rien que la démocratie s'oppose à l'aristocratie, ce dernier mot désignant précisément, du moins lorsqu'il est pris dans son sens étymologique, le pouvoir de l'élite. Celle-ci, par définition, en quelque sorte, ne peut être que le petit nombre de son pouvoir, son autorité plutôt, qui ne vient que de sa supériorité intellectuelle, n'a rien de commun avec la force numérique sur laquelle repose la démocratie, dont le caractère essentiel est de sacrifier la minorité à la majorité, et aussi, par la même, comme nous le disions plus haut, la qualité à la quantité, donc l'élite à la masse. Ainsi, le rôle directeur d'une véritable élite, et son existence même, car elle joue forcément ce rôle dès lors qu'elle existe, sont radicalement incompatibles avec la démocratie. Ce qui est intimement lié à la conception égalitaire, c'est-à-dire à la négation de toute hiérarchie, le fond même de l'idée démocratique, c'est qu'un individu quelconque en vaut un autre, parce qu'ils sont égaux numériquement, et bien qu'ils ne puissent jamais l'être que numériquement. Une élite véritable, nous l'avons déjà dit, ne peut être qu'intellectuelle, c'est pourquoi la démocratie ne peut s'instaurer que là où la pure intellectualité n'existe plus, ce qui est effectivement le cas du monde moderne. Seulement, comme l'égalité est impossible en fait, et comme on ne peut supprimer pratiquement toute différence entre les hommes, en dépit de tous les efforts de nivellement, on en arrive, par un curieux illogisme, à inventer de fausses élites, d'ailleurs multiples, qui prétendent se substituer à la seule élite réelle. Et ces fausses élites sont basées sur la considération de supériorité quelconque, éminemment relative et contingente, et toujours d'autres purement matérielles. On peut s'en apercevoir aisément en remarquant que la distinction sociale qui compte le plus dans le présent état des choses est celle qui se fonde sur la fortune, c'est-à-dire sur une supériorité toute extérieure et d'autres exclusivement quantitatifs, la seule en somme qui soit conciliable avec la démocratie, parce qu'elle procède du même point de vue. Nous ajouterons du reste que ceux-mêmes qui se posent actuellement en adversaire à cet état de choses, ne faisant intervenir non plus aucun principe d'ordre supérieur, sont incapables de rémédier efficacement à un tel désordre, si même ils ne risquent de l'aggraver encore en allant toujours plus loin dans le même sens. La lutte est seulement entre des variétés de la démocratie, accentuant plus ou moins la tendance égalitaire, comme elle est, ainsi que, nous l'avons dit, entre des variétés de l'individualisme, ce qui d'ailleurs revient exactement même. Ces quelques réflexions nous paraissent suffisantes pour caractériser l'état social du monde contemporain et pour montrer en même temps que, dans ce domaine aussi bien que dans tous les autres, il ne peut y avoir qu'un seul moyen de sortir du chaos, la restauration de l'intellectualité et, par suite, la reconstitution d'une élite qui, actuellement, doit être regardée comme inexistante en Occident, car on ne peut demander ce nom à quelques éléments isolés et sans cohésion qui ne représentent en quelque sorte que des possibilités non développées. En effet, ces éléments n'ont en général que des tendances ou des aspirations qui les portent sans doute à réagir contre l'esprit moderne, mais sans que leur influence puisse exercer d'une façon effective. Ce qui leur manque, c'est la véritable connaissance. Ce sont les données traditionnelles qui ne s'improvisent pas et auxquelles une intelligence livrée à elle-même, surtout dans des circonstances aussi défavorables à tous égards, ne peut suppléer que très imparfaitement et dans une bien faible mesure. Il n'y a donc que des efforts dispersés et qui, souvent, s'égarent, faute de principes et de directions doctrinales. On pourrait dire que le monde moderne se défend par sa propre dispersion à laquelle ses adversaires eux-mêmes ne parviennent pas à se soustraire. Et on sera ainsi tant que ceux-ci se tiendront sur le terrain profane, où l'esprit moderne a un avantage évident, puisque c'est là son domaine propre et exclusif. Et d'ailleurs, s'ils s'y tiennent, c'est que cet esprit a encore sur eux, malgré tout, une très forte emprise. C'est pourquoi tant de gens, animés cependant d'une incontestable bonne volonté, sont incapables de comprendre qu'il faut nécessairement commencer par les principes et s'obstinent à gaspiller leur force dans tel ou tel domaine relatif, social ou autre, où rien de réel ni de durable ne peut être accompli dans ces conditions. L'élite véritable, au contraire, n'aurait pas à intervenir d'ailleurs dans ces domaines ni à se mêler à l'action extérieure. Elle dirigerait tout par une influence insaisissable aux vues de guerre, en d'autres, et d'autant plus profondes qu'elles seraient moins apparentes. Si l'on songe à la puissance des suggestions dont nous parlions plus haut, et qui pourtant ne supposent aucune intellectualité véritable, on peut soupçonner ce que serait, à plus forte raison, la puissance d'une influence comme celle-là, s'exerçant d'une façon encore plus cachée en raison de sa nature même, en prenant sa source dans l'intellectualité pure, puissance, qui d'ailleurs, au lieu d'être amoindri par la division inhérente à la multiplicité et par la faiblesse que comportent tous ceux qui aient mensonge ou illusion, serait au contraire intensifiée par la concentration dans l'unité principielle et s'identifierait à la force même de la vérité. C'était donc la crise du monde moderne de René Guénon, et je viens de lire le chapitre intitulé « Le chaos social ». Nous étions en 1946, juste après guerre, il faut dire que ce texte a été écrit bien avant, et on découvre là finalement ce que nous vivons aujourd'hui. Notre société a perdu les valeurs, les valeurs qui permettent de dire qu'un tel a réussi par rapport à certaines aptitudes, quelles qu'elles soient, la connaissance, on est finalement rentré dans un principe dit démocratique, où dans cette chaîne, la chaîne où vous avez tous les éléments qui sont mis à égalité, et la chaîne finalement à la force du maillon faible. Si vous prenez une chaîne avec plein d'éléments, la force de tension, le point de rupture, tient au maillon faible. Donc en plus une société démocratique, plus elle permet par rapport à ce principe d'inégalité qui en fait une illusion, d'après René Guénon, on est sur finalement la force du maillon faible. Donc on travaille au minimum. Est-ce qu'il faut tendre vers l'excellence ? Est-ce qu'il faut remettre en place des principes ? Est-ce qu'il faut créer ce qu'il appelle des castes pour redonner au pouvoir décisionnel plus de puissance, de cohérence et d'intelligence ? Ou est-ce qu'il faut travailler par manipulation des masses ? C'est un piège. Et finalement René Guénon, comme Sioran, que j'ai partagé sur le site, reviennent toujours à la même chose. Le monde moderne est arrivé au bout du bout, où finalement dans un principe d'égalité, on se retrouve à être affaibli. Ce qui fait que le monde orthodoxe, où les castes existent toujours, prend de l'ampleur. On a une orthodoxie en Russie, on a peut-être une orthodoxie cachée aux Etats-Unis. Donc ce sont deux mondes qui s'opposent et nous on est au milieu, en disant liberté, égalité, fraternité. Mais qui y croit encore ? A réfléchir.

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