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Une réflexion sur l'origine de l'opposition entre l'orient et l'occident. Ecrite en 1927 par René GUENON
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Une réflexion sur l'origine de l'opposition entre l'orient et l'occident. Ecrite en 1927 par René GUENON
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Une réflexion sur l'origine de l'opposition entre l'orient et l'occident. Ecrite en 1927 par René GUENON
René Guénon, an esoteric writer and former Freemason, wrote a book called "The Crisis of the Modern World" in 1927, predicting the events of World War II. He believed that we are currently in the fourth age, the Kali Yuga or Dark Age, where spiritual truths are hidden and difficult to attain. Guénon's ideas have influenced thinkers like Alexandre Douguin, who in turn has influenced Russian President Vladimir Putin. Understanding Guénon's philosophy is key to understanding the current state of Russia. The manifestation of the world follows a cyclical pattern, with periods of descent and ascent. We are currently in a phase of descent, where the spiritual is becoming more hidden. However, there are moments where a counteracting force can temporarily halt this descent. The period known as "historical" dates back to the 6th century BCE, and before that, historical information becomes more vague and uncertain. This shows the limitations of modern knowledge and the L'âge sombre, premier chapitre, la crise du monde, moderne de René Guénon, publié dans la collection Folio Essai chez Gallimard, maison d'édition Gallimard. René Guénon est un ésotériste qui a été franc-maçon à la Grande-Douche de France et qui est mort en Égypte en étant soufiste. Donc il a vécu jusqu'à dans les années 50, 1952, non il est mort le 7 janvier 51. Donc il est né à Blois en 1886. Donc il a écrit un livre, La crise du monde moderne, publié en 1927, avant la deuxième guerre mondiale, c'est-à-dire qu'il sentait arriver les choses. On va dire que la deuxième guerre mondiale s'est terminée pour l'Allemagne d'une certaine façon et pour le Japon on sait comment, notamment la bombe atomique. Donc René Guénon pensait la fin du monde dans ces temps-là et il faut dire qu'aujourd'hui René Guénon inspire Alexandre Douguin qui est le maître à penser de l'esprit traditionnel suivi par Vladimir Poutine avec toute l'orthodoxie russe. Donc pour comprendre la Russie actuelle, il faut comprendre les penseurs tels que René Guénon qui inspire donc ce mouvement traditionnaliste et patriotique russe. L'âge sombre La doctrine hindoue enseigne que la durée d'un cycle humain auquel elle donne le nom de Manvantara se divise en quatre âges qui marquent autant de phases d'un obscurcissement graduel de la spiritualité primordiale. Ce sont ces mêmes périodes que les traditions de l'antiquité occidentale de leur côté désignaient comme les âges d'or, d'argent, d'airain et de fer. Nous sommes présentement dans le quatrième âge, le Kali Yuga ou âge sombre et nous y sommes, dit-on, depuis déjà plus de 6000 ans, c'est-à-dire depuis une époque bien antérieure à toutes celles qui sont connues de l'histoire classique. Depuis lors, les vérités qui étaient autrefois accessibles à tous les hommes sont devenues de plus en plus cachées et difficiles à atteindre. Ceux qui les possèdent sont de moins en moins nombreux et si le trésor de la sagesse non-humaine antérieure à tous les âges ne peut jamais se perdre, il s'enveloppe de voiles de plus en plus impénétrables qui le dissimulent au regard et sous lesquels il est extrêmement difficile de le découvrir. C'est pourquoi il est par tout question, sous des symboles divers, de quelque chose qui a été perdu, en apparence tout au moins et par rapport au monde extérieur, et que doivent retrouver ceux qui aspirent à la véritable connaissance. Il est dit aussi que ce qui est ainsi caché redeviendra visible à la fin de ce cycle qui sera en même temps, en vertu de la continuité qui relie toutes choses entre elles, le commencement d'un cycle nouveau. Mais demandera-t-on sans doute pourquoi le développement cyclique doit-il s'accomplir ainsi dans un sens descendant, en allant du supérieur à l'inférieur, ce qui, comme on le remarquera sans peine, est la négation même de l'idée de progrès tel que les modernes l'entendent ? C'est que le développement de toute manifestation implique nécessairement un éloignement de plus en plus grand du principe dont elle procède. Partant du point le plus haut, elle tend forcément vers le bas et, comme les corps pesants, elle y tend avec une vitesse sans cesse croissante jusqu'à ce qu'elle rencontre enfin un point d'arrêt. Cette chute pourrait être caractérisée comme une matérialisation progressive car l'expression du principe est pure spiritualité. Nous disons l'expression et non le principe même car celui-ci ne peut être désigné par aucun des termes qui semblent indiquer une opposition quelconque étant au-delà de toutes les oppositions. D'ailleurs, des mots comme ceux d'esprit et de matière que nous empruntons ici pour plus de comédité en langage occidental n'ont guère pour nous qu'une valeur symbolique. Ils ne peuvent en tout cas convenir vraiment et ce dont il s'agit qu'à la condition d'en écarter les interprétations spéciales qu'en donne la philosophie moderne dont spiritualisme et matérialisme ne sont, à nos yeux, que deux formes complémentaires qui s'impliquent l'une l'autre et qui sont pareillement négligeables pour qui veut s'élever au-dessus de ces points de vue contingents. Mais d'ailleurs, ce n'est pas de métaphysique pure que nous nous proposons de traiter ici et c'est pourquoi, sans jamais perdre de vue les principes essentiels, nous pouvons, tout en prenant les précautions indispensables pour éviter toute équivoque, nous permettre l'usage de termes qui, bien qu'inadéquats, paraissent susceptibles de rendre les choses plus facilement compréhensibles, dans la mesure où cela peut se faire sans toutefois les dénaturer. Ce que nous venons de dire du développement de la manifestation présente une vue qui, pour être exacte dans l'ensemble et cependant trop simplifiée et schématique, est en ce qu'elle peut faire penser que ce développement s'effectue en ligne droite, selon un sens unique et sans oscillation d'aucune sorte. La réalité est bien autrement complexe. En effet, il y a lieu d'envisager en toute chose, comme nous l'indiquions déjà précédemment, deux tendances opposées, l'une descendante et l'autre ascendante, ou si l'on veut se servir d'un autre mode de représentation, l'une centrifuge et l'autre centripète et de la prédominance de l'une ou de l'autre procède deux phases complémentaires de la manifestation, l'un d'éloignement du principe, l'autre de retour vers le principe qui sont souvent comparés symboliquement au mouvement du cœur ou aux deux phases de la respiration. Bien que ces deux phases soient d'ordinaire décrites comme successives, il faut concevoir que, en réalité, les deux tendances auxquelles elles correspondent agissent toujours simultanément, quoique dans des proportions diverses. Et il arrive parfois, à certains moments critiques où la tendance descendante semble sur le point de l'emporter définitivement dans la marche générale du monde, qu'une action spéciale intervient pour renforcer la tendance contraire, de façon à rétablir un certain équilibre au moins relatif tel que peuvent le comporter les conditions du mouvement, et à opérer ainsi un redressement partiel par lequel le mouvement de chute peut sembler arrêté ou neutralisé temporairement. Il est facile de comprendre que ces données traditionnelles, dont nous devons nous borner ici à esquisser un aperçu très sommaire, rendent possible des conceptions bien différentes de tous les essais de philosophie de l'histoire, auxquels se livrent les modernes et bien autrement vastes et profondes. Mais nous ne songeons point, pour le moment, à remonter aux origines du cycle présent, ni même plus simplement au début du Kali-yuga. Nos intentions ne se rapportent d'une façon directe tout au moins qu'à un domaine beaucoup plus limité, aux dernières phases de ce même Kali-yuga. On peut en effet, à l'intérieur de chacune des grandes périodes dont nous avons parlé, distinguer encore différentes phases secondaires, qui en constituent autant de subdivisions. Et, chaque partie étant en quelque façon analogue en tout, ces subdivisions reproduisent, pour ainsi dire, sur une échelle plus réduite, la marche générale du grand cycle dans lequel elle s'intègre. Mais là encore, une recherche complète des modalités d'application de cette loi aux divers cas particuliers nous entraînerait bien au-delà du cadre que nous nous sommes tracés pour cette étude. Nous mentionnerons seulement, pour terminer ces considérations préliminaires, quelques-unes des dernières époques particulièrement critiques à traverser l'humanité, celles qui rentrent dans la période que l'on a coutume d'appeler historique, parce qu'elle est effectivement la seule qui soit vraiment accessible à l'histoire ordinaire ou profane. Et cela nous conduira tout naturellement à ce qui doit faire l'objet propre de notre étude, puisque la dernière de ces époques critiques n'est autre que celle qui constitue ce qu'on nomme les temps modernes. Il y a un fait assez étrange, qu'on semble n'avoir jamais remarqué, comme il mérite de l'être, c'est que la période proprement historique, au sens que nous venons d'indiquer, remonte exactement au VIe siècle avant l'ère chrétienne, comme s'il y avait là, dans le temps, une barrière qu'il n'est pas possible de franchir à l'aide des moyens d'investigation dont disposent les chercheurs ordinaires. A partir de cette époque, en effet, on possède partout une chronologie assez précise et bien établie. Pour tout ce qui est antérieur, au contraire, on n'obtient en général qu'une très vague approximation et les dates proposées pour les mêmes événements varient souvent de plusieurs siècles. Même pour les pays où l'on a plus que de simples vestiges éparts, comme l'Égypte par exemple, cela est très frappant. Et ce qui est peut-être plus étonnant encore, c'est que dans un cas exceptionnel et privilégié comme celui de la Chine, qui possède pour des époques bien plus éloignées, des annales datées aux moyens d'observation astronomiques qui ne devraient laisser de place à aucun doute, les modernes n'en qualifient pas moins ces époques de légendaires, comme s'il y avait là un domaine où ils ne se reconnaissaient le droit à aucune certitude et où ils s'interdisent eux-mêmes d'en obtenir. L'Antiquité dite classique n'est donc, à vrai dire, qu'une entité toute relative et même beaucoup plus proche des temps modernes que de la véritable Antiquité, puisqu'elle ne remonte même pas à la moitié du Kali-Yuga, dont la durée n'est elle-même, suivant la doctrine hindoue, que la dixième partie de celle du Manvantara. Et l'on pourra suffisamment juger par là jusqu'à quel point les modernes ont raison d'être fiers de l'étendue de leurs connaissances historiques. Tout cela, répondrait-il, sans doute encore pour se justifier, ce ne sont que des périodes légendaires et c'est pourquoi ils estiment n'avoir pas à en tenir compte. Mais cette réponse n'est précisément que l'aveu de leur ignorance et d'une incompréhension qui peut seul expliquer leur dédain de la tradition. L'esprit spécifiquement moderne, ce n'est en effet, comme nous le montrerons plus loin, rien d'autre que l'esprit anti-traditionnel. Au sixième siècle avant l'ère chrétienne, il se produisit, quelle qu'en ait été la cause, des changements considérables chez presque tous les peuples. Ces changements présentèrent d'ailleurs des caractères différents suivant les pays. Dans certains cas, ce fut une réadaptation de la tradition à des conditions autres que celles qui avaient existé antérieurement, réadaptation qui s'accomplit en un sens rigoureusement orthodoxe. C'est ce qui eut lieu notamment en Chine, où la doctrine primitivement constituée en un seul unique fut alors divisée en deux parties nettement distinctes. Le taoïsme, réservé à une élite et comprenant la métaphysique pure et les sciences traditionnelles d'ordre proprement spéculatif. Le confucianisme, commun à tous sans distinction et ayant pour domaine les applications pratiques et principalement sociales. Chez les Perses, il semble qu'il y ait eu également une réadaptation du mazdéisme car cette époque fut celle du dernier Zoroastre. Dans l'Inde, on vit naître alors le bouddhisme qui, quel qu'ait été d'ailleurs son caractère originel, devait aboutir au contraire, tout au moins dans certaines de ses branches, à une révolte contre l'esprit traditionnel allant jusqu'à la négation de toute autorité, jusqu'à une véritable anarchie au sens étymologique d'absence de principe dans l'ordre intellectuel et dans l'ordre social. Ce qui est assez curieux, c'est qu'on ne trouve dans l'Inde aucun monument remontant au-delà de cette époque et les orientalistes qui veulent tout faire commencer au bouddhisme dont ils exagèrent singulièrement l'importance, ont essayé de tirer parti de cette constatation en faveur de leur thèse. L'explication du fait est cependant bien simple, c'est que toutes les constructions antérieures étaient en bois, de sorte qu'elles ont naturellement disparu sans laisser de traces. Mais ce qui est vrai, c'est qu'un tel changement dans le mode de construction correspond nécessairement à une modification profonde des conditions générales d'existence du peuple chez qui il s'est produit. En nous rapprochant de l'Occident, nous voyons que la même époque fut, chez les juifs, celle de la captivité de Babylone et ce qui est peut-être un des faits les plus étonnants qu'on ait à constater, c'est qu'une courte période de 70 ans fut suffisante pour leur faire perdre jusqu'à leur écriture puisqu'ils durent ensuite reconstituer les livres sacrés avec des caractères tout autres que ceux qui avaient été en usage jusqu'alors. On pourrait citer encore bien d'autres événements se rapportant à peu près à la même date. Nous noterons seulement que ce fut pour Rome le commencement de la période proprement historique, succédant à l'époque légendaire des rois et qu'on sait aussi, quoique d'une façon un peu vague, qu'il y eut alors d'importants mouvements chez les peuples celtiques. Mais sans y insister davantage, nous en arrivons à ce qui concerne la Grèce. Là également, le VIe siècle fut le point de départ de la civilisation dite classique, la seule à laquelle les modernes reconnaissent le caractère historique et tout ce qui précède est assez mal connu pour être traité de légendaire, bien que les découvertes archéologiques récentes ne permettent plus de douter que, du moins, il y eut là une civilisation très réelle, et nous avons quelques raisons de penser que cette première civilisation hellénique fut beaucoup plus intéressante intellectuellement que celle qui la suivit, et que leurs rapports ne sont pas sans offrir quelques analogies à ceux qui existent entre l'Europe au Moyen-Âge et l'Europe moderne. Cependant, il convient de remarquer que la scission ne fut pas aussi radicale que dans ce dernier cas, car il y eut au moins partiellement une réadaptation effectuée dans l'ordre traditionnel, principalement dans le domaine des mystères, et il faut y rattacher le pythagorisme qui fut surtout, sous une forme nouvelle, une restauration de l'orphisme antérieur et dont les liens évidents avec le culte delphique de l'Apollon Hiberbourien permettent même d'envisager une civilisation continue et régulière avec l'une des plus anciennes traditions de l'humanité. Mais, d'autre part, on vit bientôt apparaître quelque chose dont on n'avait encore eu aucun exemple et qui devait, par la suite, exercer une influence néfaste sur tout le monde occidental. Nous voulons parler de ce mode spécial de pensée qui prit et garda le nom de philosophie, et ce point est assez important pour que nous nous y arrêtions quelques instants. Le mot « philosophie » en lui-même peut assurément être pris en un sens fort légitime qui fut sans doute son sens primitif, surtout s'il est vrai que, comme on le prétend, c'est Pythagore qui l'employait le premier. Étymologiquement, il ne signifie rien d'autre que « amour de la sagesse ». Il désigne donc tout d'abord une disposition préalable requise pour parvenir à la sagesse. Il peut désigner aussi, par une extension toute naturelle, la recherche qui, naissant de cette disposition même, doit conduire à la connaissance. Ce n'est donc qu'un stade préliminaire et préparatoire, un acheminement vers la sagesse, un degré correspondant à un état inférieur à celle-ci. La déviation qui s'est produite ensuite a consisté à prendre ce degré transitoire pour le but même à prétendre substituer la philosophie à la sagesse, ce qui implique l'oubli ou la méconnaissance de la véritable nature de cette dernière. C'est ainsi que prit naissance ce que nous pouvons appeler la philosophie profane, c'est-à-dire une prétendue sagesse purement humaine, donc d'ordre simplement rationnel, prenant la place de la vraie sagesse traditionnelle, suprarationnelle et non humaine. Pourtant, il subsista encore quelque chose de celle-ci à travers toute l'Antiquité. Ce qui le prouve, c'est d'abord la persistance des mystères, dont le caractère essentiellement initiatique ne saurait être contesté, et c'est aussi le fait que l'enseignement des philosophes eux-mêmes avait à la fois le plus souvent un côté exotérique et un côté ésotérique, ce dernier pouvant permettre le rattachement à un point de vue supérieur qui se manifeste d'ailleurs d'une façon très nette, quoique peut-être incomplète à certains égards, quelques siècles plus tard chez les Alexandrins. Pour que la philosophie profane fût définitivement constituée comme telle, il fallait que l'exotérisme seule demeurât et qu'on alla jusqu'à la négation pure et simple de tout ésotérisme. C'est précisément à quoi devait aboutir chez les modernes le mouvement commencé par les Grecs. Les tendances qui s'étaient déjà affirmées chez ceux-ci devaient être alors poussées jusqu'à leurs conséquences les plus extrêmes, et l'importance excessive qu'ils avaient accordée à la pensée rationnelle allait s'accentuer encore pour en arriver au rationalisme, attitude spécialement moderne qui consiste non plus même simplement à ignorer, mais à nier expressément tout ce qui est d'ordre suprarationnel. Mais n'anticipons pas davantage, car nous aurons à revenir sur ces conséquences et à en voir le développement dans une autre partie de notre exposé. Dans ce qui vient d'être dit, une chose est à retenir particulièrement au point de vue qui nous occupe. C'est qu'il convient de chercher dans l'antiquité classique quelques-unes des origines du monde moderne. Celle-ci n'a donc pas entièrement tort quand il se recommande de la civilisation gréco-latine et s'en prétend le continuateur. Il faut dire cependant qu'il ne s'agit que d'une continuation lointaine et quelque peu infidèle, car il y avait malgré tout dans cette antiquité, bien des choses dans l'ordre intellectuel et spirituel dont on ne saurait trouver l'équivalent chez les modernes. Ce sont, en tout cas dans l'obscuration progressive de la vraie connaissance, deux degrés assez différents. On pourrait d'ailleurs concevoir que la décadence de la civilisation antique ait amené, d'une façon graduelle et sans solution de continuité, un état plus ou moins semblable à celui que nous vivons aujourd'hui. Mais en fait, il n'en fut pas ainsi, et dans l'intervalle il y eut, pour l'Occident, une autre époque critique qui fut en même temps une des seize époques de redressement auxquelles nous faisions allusion plus haut. Cette époque est celle du début et de l'expansion du christianisme, coïncident d'une part avec la dispersion du peuple juif et d'autre part avec la dernière phase de la civilisation gréco-latine. Et nous pouvons passer plus rapidement sur ces événements en dépit de leur importance parce qu'ils sont plus généralement connus que ceux dont nous avons parlé jusqu'ici et que leur synchronisme a été plus remarqué, même des historiens dont les vues sont les plus superficielles. On a aussi signalé assez souvent certains traits communs à la décadence antique et à l'époque actuelle. Et sans vouloir pousser trop loin le parallélisme, on doit reconnaître qu'il y a en effet quelques ressemblances assez frappantes. La philosophie purement profane avait gagné du terrain. L'apparition du scepticisme d'un côté, le succès du moralisme stoïcien et picurien de l'autre montrent assez à quel point l'intellectualité s'était abaissée. En même temps, les anciennes doctrines sacrées que presque personne ne comprenait plus avaient dégénéré du fait de cette incompréhension. En paganisme, au vrai sens de ce mot, c'est-à-dire qu'elles n'étaient plus que des superstitions, des choses qui, ayant perdu leur signification profonde, se survivent à elles-mêmes par des manifestations toutes extérieures. Il y eut des essais de réaction contre cette déchéance. L'hélénisme à lui-même tenta de se revififier à l'aide d'éléments empruntés aux doctrines orientales avec lesquels il pouvait se trouver en contact. Mais cela n'était plus suffisant. La civilisation gréco-latine devait prendre fin et le redressement devait finir d'ailleurs et s'opérer sous une toute autre forme. Ce fut le christianisme qui accomplit cette transformation. Notons-le en passant, la comparaison qu'on peut établir sous certains rapports entre ce temps et le nôtre est peut-être un des éléments déterminants du messianisme désordonné qui se fait jour aujourd'hui. Après la période troublée des invasions barbares, nécessaire pour achever la destruction de l'ancien état des choses, un ordre normal fut restauré pour une durée de quelques siècles. Ce fut le Moyen-Âge. Si méconnus des modernes qui sont incapables d'en comprendre l'intellectualité et pour qui cette époque paraît certainement beaucoup plus étrangère et lintaine que l'antiquité classique. Le vrai Moyen-Âge pour nous s'étend du règne de Charlemagne au début du XIVe siècle et à cette dernière date commence une nouvelle décadence qui à travers des étapes diverses ira en s'accentuant jusqu'à nous. C'est là qu'est le véritable point de départ de la crise moderne. C'est le commencement de la désagrégation de la chrétienté à laquelle s'identifiait essentiellement la civilisation occidentale du Moyen-Âge. C'est en même temps que la fin du régime féodal, assez étroitement solidaire de cette même chrétienté, l'origine de la constitution des nationalités. Il faut donc faire remonter l'époque moderne près de deux siècles plus tôt qu'on ne le fait d'ordinaire. La Renaissance et la réforme sont surtout des résultantes et elles n'ont été rendues possibles que par la décadence préalable. Mais bien loin d'être en redressement, elles marquèrent une chute beaucoup plus profonde parce qu'elles consommèrent la rupture définitive avec l'esprit traditionnel, l'une dans le domaine des sciences et des arts, l'autre dans le domaine religieux lui-même, qui était pourtant celui où une telle rupture eût pu sembler le plus difficilement concevable. Ce qu'on appelle la Renaissance fut en réalité, comme nous l'avons déjà dit en d'autres occasions, la mort de beaucoup de choses. Sous prétexte de revenir à la civilisation gréco-romaine, on n'en prit que ce qu'elle avait eu de plus extérieur parce que cela seul avait pu s'exprimer clairement dans des textes écrits et cette restitution incomplète ne pouvait d'ailleurs avoir qu'un caractère fort artificiel puisqu'il s'agissait de formes qui, depuis des siècles, avaient cessé de vivre de leur vie véritable. Quant aux sciences traditionnelles du Moyen-Âge, après avoir eu encore quelques dernières manifestations vers cette époque, elles disparurent aussi totalement que celles des civilisations lointaines qui furent jadis anéanties par quelques cataclysmes. Et cette fois, rien ne devait venir les remplacer. Il n'y eut plus désormais que la philosophie et la science profane, c'est-à-dire la négation de la véritable intellectualité, la limitation de la connaissance à l'ordre le plus inférieur, l'étude empirique-analytique de faits qui ne sont rattachés à aucun principe, la dispersion dans une multitude indéfinie de détails insignifiants, l'accumulation d'hypothèses sans fondement qui se détruisent incessamment les unes les autres et des vues fragmentaires qui ne peuvent conduire à rien sauf à ces applications pratiques qui constituent la seule supériorité effective de la civilisation moderne, supériorité peu enviable d'ailleurs, et qui, en se développant jusqu'à étouffer toute autre préoccupation, a donné à cette civilisation le caractère purement matériel qui en fait une véritable monstruosité. Ce qui est tout à fait extraordinaire, c'est la rapidité avec laquelle la civilisation du Moyen-Âge tomba dans le plus complet oubli. Les hommes du XVIIe siècle n'en avaient plus la moindre notion et les monuments qui en subsistaient ne représentaient plus rien à leurs yeux, ni dans l'ordre intellectuel, ni même dans l'ordre esthétique. On peut juger par là combien la mentalité avait été changée dans l'intervalle. Nous n'entreprendrons pas de rechercher ici les facteurs certainement fort complexes, qui concoururent à ce changement si radical qu'il semble difficile à admettre qui ait pu s'opérer spontanément et sans intervention d'une volonté directrice dont la nature exacte demeure forcément assez énigmatique. Il y a à cet égard des circonstances bien étranges, comme la vulgarisation à un moment déterminé, et en les présentant comme des découvertes nouvelles, de choses qui étaient connues en réalité depuis fort longtemps, mais dont la connaissance en raison de certains inconvénients qui risquaient d'en dépasser les avantages n'avait pas été répandue jusque-là dans le domaine public. Il est bien invraisemblable aussi que la légende qui fit du Moyen-Âge une époque de ténèbres, d'ignorance et de barbarie, ait pris naissance et se soit accréditée d'elle-même, et que la véritable falsification de l'histoire à laquelle les modernes se sont livrées ait été entreprise sans aucune idée préconçue. Mais nous n'irions pas plus avant dans l'examen de cette question, car de quelque façon que ce travail se soit accompli, c'est pour le moment la constatation d'un résultat qui, en somme, nous importe le plus. Il y a un mot qui fut mis en honneur à la Renaissance et qui résumait par avance tout le programme de la civilisation moderne. Ce mot est celui d'Humanisme. Il s'agissait en effet de tout réduire à des proportions purement humaines, de faire abstraction de tout principe d'ordre supérieur et, pourrait-on dire symboliquement, de se détourner du ciel sous prétexte de conquérir la Terre. Les Grecs, dont on prétendait suivre l'exemple, n'avaient jamais été aussi loin en ce sens même autant de leur plus grande décadence intellectuelle et du moins les préoccupations utilitaires n'étaient-elles jamais passées chez eux au premier plan, ainsi que cela devait bientôt se produire chez les modernes. L'humanisme, c'était déjà une première forme de ce qui est devenu le laïcisme contemporain et, en voulant tout ramener à la mesure de l'homme, pris pour une fin en lui-même, on a fini par descendre d'étape en étape au niveau de ce qu'il y a en celui-ci de plus inférieur et par ne plus guère chercher que la satisfaction des besoins inhérents au côté matériel de sa nature, recherche bien illusoire du reste, car elle crée toujours plus de besoins artificiels qu'elle n'en peut satisfaire. Le monde moderne ira-t-il jusqu'au bas de cette pente fatale ou bien, comme il est arrivé à la décadence du monde gréco-latin, un nouveau redressement se produira-t-il, cette fois encore, avant qu'il n'ait atteint le fond de l'abîme où il est entraîné ? Il semble bien qu'un arrêt à mi-chemin ne soit plus guerre possible et que, d'après toutes les indications fournies par les doctrines traditionnelles, nous soyons entrés vraiment dans la phase finale du Kali-yuga, dans la période la plus sombre de cet âge sombre, dans cet état de dissolution dont il n'est plus possible de sortir que par un cataclysme, car ce n'est plus un simple redressement qui est alors nécessaire, mais une rénovation totale. Le désordre et la confusion règnent dans tous les domaines. Ils ont été portés à un point qui dépasse de loin tout ce qu'on avait vu précédemment. On est parti de l'Occident. Ils menacent maintenant d'envahir le monde tout entier. Nous savons bien que leur triomphe ne peut jamais être qu'apparent et passager, mais à un tel degré, il paraît être le signe le plus grave de toutes les crises que l'humanité a traversées au cours de son cycle actuel. Ne sommes-nous pas arrivés à cette époque redoutable annoncée par les livres assacrés de l'Inde, où les castes seront mêlés, où la famille même n'existera plus ? Il suffit de regarder autour de soi pour se convaincre que cet état est bien réellement celui du monde actuel, et pour constater partout cette déchéance profonde que l'Évangile appelle « l'abomination de la désolation ». Il ne faut pas se dissimuler la gravité de la situation. Il convient de l'envisager telle qu'elle est, sans aucun optimisme, mais aussi sans aucun pessimisme, puisque, comme nous le disions précédemment, la fin de l'ancien monde sera aussi le commencement d'un monde nouveau. Maintenant, une question se pose. Quelle est la raison d'être d'une période comme celle où nous vivons ? En effet, s'il est normal que soient les conditions présentes considérées en elles-mêmes, elles doivent cependant rentrer dans l'ordre général des choses, dans cet ordre qui, suivant une formule extrême orientale, est fait de la somme de tous les désordres. Cette époque, si pénible et si troublée qu'elle soit, doit avoir aussi, comme toutes les autres, sa place marquée dans l'ensemble du développement humain, et d'ailleurs le fait même qu'elle était prévue par les doctrines traditionnelles, est à cet égard une indication suffisante. Ce que nous avons dit de la marche générale d'un cycle de manifestation, allant dans le sens d'une matérialisation préclassive, donne immédiatement l'explication d'un tel état, et montre bien que ce qui est anormal et désordonné à un certain point de vue particulier n'est pourtant que la conséquence d'une loi se rapportant à un point de vue supérieur ou plus étendu. Nous ajouterons, sans y insister, que, comme tout changement d'état, le passage d'un cycle à un autre ne peut s'accomplir que dans l'obscurité. Il y a là encore une loi fort importante et dont les applications sont multiples, mais dont, par cela même, un exposé quelque peu détaillé nous entraînerait beaucoup trop loin. Ce n'est pas tout. L'époque moderne doit nécessairement correspondre au développement de certaines des possibilités qui, dès l'origine, étaient incluses dans la potentialité du cycle actuel. Et si un Ferrer que soit le rend occupé par ces possibilités dans la hiérarchie de l'ensemble, elle n'en devait pas moins aussi bien que les autres être appelées à la manifestation selon l'ordre qui leur était assigné. Sous ce rapport, ce qui, suivant la tradition, caractérise l'ultime phase du cycle, serait, pourrait-on dire, l'exploitation de tout ce qui a été négligé ou rejeté au cours des phases précédentes. Et effectivement, c'est bien là ce que nous pouvons constater dans la civilisation moderne, qui ne vit en quelque sorte que de ce dont les civilisations antérieures n'avaient pas voulu. Il n'y a, pour s'en rendre compte, qu'à voir comment les représentants de telles, de ces civilisations qui se sont maintenues jusqu'ici dans le monde oriental, apprécient les sciences occidentales et leurs applications industrielles. Ces connaissances inférieures, si vaines au regard de qui possède une connaissance d'un autre ordre, devaient pourtant être réalisées, et elles ne pouvaient l'être qu'à un stade où la véritable intellectualité aurait disparu. La recherche d'une portée exclusivement pratique, au sens le plus étroit de ce mot, devait être accomplie, mais elle ne pouvait l'être qu'à l'extrême opposée de la spiritualité primordiale, par des hommes enfoncés dans la matière au point de ne plus rien concevoir au-delà, et devenant d'autant plus esclaves de cette matière qu'ils voudraient s'en servir davantage, ce qui les conduit à une agitation toujours croissante, sans règle et sans but, à la dispersion dans la pure multiplicité jusqu'à la dissolution finale. Telle est, esquissée dans ses grands traits et réduit à l'essentiel, la véritable explication du monde moderne, mais déclarons-l'en très nettement, cette explication ne serait aucunement être prise pour une justification. Un malheur inévitable n'en est pas moins un malheur, et même si du mal doit sortir un bien, cela n'enlève point au mal son caractère. Nous n'employons d'ailleurs ici, bien entendu, ces termes de bien et de mal que pour nous faire mieux comprendre, et en dehors de toute intention spécifiquement morale. Les désordres partiels ne peuvent pas ne pas être parce qu'ils sont des éléments nécessaires de l'ordre total, mais malgré cela, une époque de désordre est, en elle-même, quelque chose de comparable à une monstruosité qui, tout en étant la conséquence de certaines lois naturelles, n'en est pas moins une déviation et une sorte d'erreur, ou un cataclysme qui, bien que résultant du cours normal des choses, est tout de même, si on l'envisage isolément, un bouleversement et une anomalie. La civilisation moderne, comme toute chose, a forcément sa raison d'être, et si elle est vraiment celle qui termine un cycle, on peut dire qu'elle est ce qu'elle doit être, qu'elle vient en son temps et en son lieu, mais elle n'en devra pas moins être jugée, selon la parole évangélique, trop souvent mal comprise. Il faut qu'il y ait du scandale, mais malheur à celui par qui le scandale arrive. Fin du chapitre 1er, L'âge sombre, livre, La crise du monde, moderne de René Guénon. Je vous remercie. Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org